ANARCHRISME !

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Mauvais sang

J'ai de mes ancêtres gaulois l'oeil bleu blanc, la cervelle étroite, et la maladresse dans la lutte. Je trouve mon habillement aussi barbare que le leur. Mais je ne beurre pas ma chevelure.

Les Gaulois étaient les écorcheurs de bêtes, les brûleurs d'herbes les plus ineptes de leur temps.

D'eux, j'ai : l'idolâtrie et l'amour du sacrilège ; - Oh ! tous les vices, colère, luxure, - magnifique, la luxure ; - surtout mensonge et paresse.

J'ai horreur de tous les métiers. Maîtres et ouvriers, tous paysans, ignobles. La main à plume vaut la main à charrue. - Quel siècle à mains ! - Je n'aurai jamais ma main. Après, la domesticité mène trop loin. L'honnêteté de la mendicité me navre. Les criminels dégoûtent comme des châtrés : moi, je suis intact, et ça m'est égal.

Mais ! qui a fait ma langue perfide tellement qu'elle ait guidé et sauvegardé jusqu'ici ma paresse ? Sans me servir pour vivre même de mon corps, et plus oisif que le crapaud, j'ai vécu partout. Pas une famille d'Europe que je ne connaisse. - J'entends des familles comme la mienne, qui tiennent tout de la déclaration des Droits de l'Homme. - J'ai connu chaque fils de famille !

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Si j'avais des antécédents à un point quelconque de l'histoire de France !

Mais non, rien.

Il m'est bien évident que j'ai toujours été de race inférieure. Je ne puis comprendre la révolte. Ma race ne se souleva jamais que pour piller : tels les loups à la bête qu'ils n'ont pas tuée.

Je me rappelle l'histoire de la France fille aînée de l'Église. J'aurai fait, manant, le voyage de terre sainte, j'ai dans la tête des routes dans les plaines souabes, des vues de Byzance, des remparts de Solyme ; le culte de Marie, l'attendrissement sur le crucifié s'éveillent en moi parmi les mille féeries profanes. - Je suis assis, lépreux, sur les pots cassés et les orties, au pied d'un mur rongé par le soleil. - Plus tard, reître, j'aurais bivaqué sous les nuits d'Allemagne.

Ah ! encore : je danse le sabat dans une rouge clairière, avec des vieilles et des enfants.

Je ne me souviens pas plus loin que cette terre-ci et le christianisme. Je n'en finirais pas de me revoir dans ce passé. Mais toujours seul ; sans famille ; même, quelle langue parlais-je ? Je ne me vois jamais dans les conseils du Christ ; ni dans les conseils des Seigneurs, - représentants du Christ.

Qu'étais-je au siècle dernier : je ne me retrouve qu'aujourd'hui. Plus de vagabonds, plus de guerres vagues. La race inférieure a tout couvert - le peuple, comme on dit, la raison ; la nation et la science.

Oh ! la science ! On a tout repris. Pour le corps et pour l'âme, - le viatique, - on a la médecine et la philosophie, - les remèdes de bonnes femmes et les chansons populaires arrangées. Et les divertissements des princes et les jeux qu'ils interdisaient ! Géographie, cosmographie, mécanique, chimie !...

La science, la nouvelle noblesse ! Le progrès. Le monde marche ! Pourquoi ne tournerait-il pas ?

C'est la vision des nombres. Nous allons à l'Esprit. C'est très certain, c'est oracle, ce que je dis. Je comprends, et ne sachant m'expliquer sans paroles païennes, je voudrais me taire.

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Le sang païen revient ! L'esprit est proche, pourquoi Christ ne m'aide-t-il pas, en donnant à mon âme noblesse et liberté. Hélas ! l'Évangile a passé ! l'Évangile ! l'Évangile.

J'attends Dieu avec gourmandise. Je suis de race inférieure de toute éternité.

Me voici sur la plage armoricaine. Que les villes s'allument dans le soir. Ma journée est faite ; je quitte l'Europe. L'air marin brûlera mes poumons ; les climats perdus me tanneront. Nager, broyer l'herbe, chasser, fumer surtout ; boire des liqueurs fortes comme du métal bouillant, - comme faisaient ces chers ancêtres autour des feux.

Je reviendrai, avec des membres de fer, la peau sombre, l'oeil furieux : sur mon masque, on me jugera d'une race forte. J'aurai de l'or : je serai oisif et brutal. Les femmes soignent ces féroces infirmes retour des pays chauds. Je serai mêlé aux affaires politiques. Sauvé.

Maintenant je suis maudit, j'ai horreur de la patrie. Le meilleur, c'est un sommeil bien ivre, sur la grève.

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On ne part pas. - Reprenons les chemins d'ici, chargé de mon vice, le vice qui a poussé ses racines de souffrance à mon côté, dès l'âge de raison - qui monte au ciel, me bat, me renverse, me traîne.

La dernière innocence et la dernière timidité. C'est dit. Ne pas porter au monde mes dégoûts et mes trahisons.

Allons ! La marche, le fardeau, le désert, l'ennui et la colère.

À qui me louer ? Quelle bête faut-il adorer ? Quelle sainte image attaque-t-on ? Quels coeurs briserai-je ? Quel mensonge dois-je tenir ? - Dans quel sang marcher ?

Plutôt, se garder de la justice. - La vie dure, l'abrutissement simple, - soulever, le poing desséché, le couvercle du cercueil, s'asseoir, s'étouffer. Ainsi point de vieillesse, ni de dangers : la terreur n'est pas française.

- Ah ! je suis tellement délaissé que j'offre à n'importe quelle divine image des élans vers la perfection.

O mon abnégation, ô ma charité merveilleuse ! ici-bas, pourtant !

De profundis Domine, suis-je bête !

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Encore tout enfant, j'admirais le forçat intraitable sur qui se referme toujours le bagne ; je visitais les auberges et les garnis qu'il aurait sacrés par son séjour ; je voyais avec son idée le ciel bleu et le travail fleuri de la campagne ; je flairais sa fatalité dans les villes. Il avait plus de force qu'un saint, plus de bon sens qu'un voyageur - et lui, lui seul ! pour témoin de sa gloire et de sa raison.

Sur les routes, par des nuits d'hiver, sans gîte, sans habits, sans pain, une voix étreignait mon coeur gelé : "Faiblesse ou force : te voilà, c'est la force. Tu ne sais ni où tu vas ni pourquoi tu vas, entre partout, réponds à tout. On ne te tuera pas plus que si tu étais cadavre." Au matin j'avais le regard si perdu et la contenance si morte, que ceux que j'ai rencontrés ne m'ont peut-être pas vu.

Dans les villes la boue m'apparaissait soudainement rouge et noire, comme une glace quand la lampe circule dans la chambre voisine, comme un trésor dans la forêt ! Bonne chance, criais-je, et je voyais une mer de flammes et de fumées au ciel ; et, à gauche, à droite, toutes les richesses flambant comme un milliard de tonnerres.

Mais l'orgie et la camaraderie des femmes m'étaient interdites. Pas même un compagnon. Je me voyais devant une foule exaspérée, en face du peloton d'exécution, pleurant du malheur qu'ils n'aient pu comprendre, et pardonnant ! - Comme Jeanne d'Arc ! - "Prêtres, professeurs, maîtres, vous trompez en me livrant à la justice. Je n'ai jamais été de ce peuple-ci ; je n'ai jamais été chrétien ; je suis de la race qui chantait dans le supplice ; je ne comprends pas les lois ; je n'ai pas le sens moral, je suis une brute : vous trompez..."

Oui, j'ai les yeux fermés à votre lumière. Je suis une bête, un nègre. Mais je puis être sauvé. Vous êtes de faux nègres, vous maniaques, féroces, avares. Marchand, tu es nègre ; magistrat, tu es nègre ; général, tu es nègre ; empereur, vieille démangeaison, tu es nègre : tu as bu d'une liqueur non taxée, de la fabrique de Satan. - Ce peuple est inspiré par la fièvre et le cancer. Infirmes et vieillards sont tellement respectables qu'ils demandent à être bouillis. - Le plus malin est de quitter ce continent, où la folie rôde pour pourvoir d'otages ces misérables. J'entre au vrai royaume des enfants de Cham.

Connais-je encore la nature ? me connais-je ? - Plus de mots. J'ensevelis les morts dans mon ventre. Cris, tambour, danse, danse, danse, danse ! Je ne vois même pas l'heure où, les blancs débarquant, je tomberai au néant.

Faim, soif, cris, danse, danse, danse, danse !

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Les blancs débarquent. Le canon ! Il faut se soumettre au baptême, s'habiller, travailler.

J'ai reçu au coeur le coup de la grâce. Ah ! je ne l'avais pas prévu !

Je n'ai point fait le mal. Les jours vont m'être légers, le repentir me sera épargné. Je n'aurai pas eu les tourments de l'âme presque morte au bien, où remonte la lumière sévère comme les cierges funéraires. Le sort du fils de famille, cercueil prématuré couvert de limpides larmes. Sans doute la débauche est bête, le vice est bête ; il faut jeter la pourriture à l'écart. Mais l'horloge ne sera pas arrivée à ne plus sonner que l'heure de la pure douleur ! Vais-je être enlevé comme un enfant, pour jouer au paradis dans l'oubli de tout le malheur !

Vite ! est-il d'autres vies ? - Le sommeil dans la richesse est impossible. La richesse a toujours été bien public. L'amour divin seul octroie les clefs de la science. Je vois que la nature n'est qu'un spectacle de bonté. Adieu chimères, idéals, erreurs.

Le chant raisonnable des anges s'élève du navire sauveur : c'est l'amour divin. - Deux amours ! je puis mourir de l'amour terrestre, mourir de dévouement. J'ai laissé des âmes dont la peine s'accroîtra de mon départ ! Vous me choisissez parmi les naufragés, ceux qui restent sont-ils pas mes amis ?

Sauvez-les !

La raison est née. Le monde est bon. je bénirai la vie. J'aimerai mes frères. Ce ne sont plus des promesses d'enfance. Ni l'espoir d'échapper à la vieillesse et à la mort. Dieu fait ma force, et je loue Dieu.

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L'ennui n'est plus mon amour. Les rages, les débauches, la folie, dont je sais tous les élans et les désastres, - tout mon fardeau est déposé. Apprécions sans vertige l'étendu de mon innocence.

Je ne serais plus capable de demander le réconfort d'une bastonnade. Je ne me crois pas embarqué pour une noce avec Jésus-Christ pour beau-père.

Je ne suis pas prisonnier de ma raison. J'ai dit : Dieu.

Je veux la liberté dans le salut : comment la poursuivre ? Les goûts frivoles m'ont quitté. Plus besoin de dévouement ni d'amour divin. Je ne regrette pas le siècle des coeurs sensibles. Chacun a sa raison, mépris et charité : je retiens ma place au sommet de cette angélique échelle de bon sens.

Quant au bonheur établi, domestique ou non... non, je ne peux pas. Je suis trop dissipé, trop faible. La vie fleurit par le travail, vieille vérité : moi, ma vie n'est pas assez pesante, elle s'envole et flotte loin au-dessus de l'action, ce cher point du monde.

Comme je deviens vieille fille, à manquer du courage d'aimer la mort !

Si Dieu m'accordait le calme céleste, aérien, la prière, - comme les anciens saints. - Les saints ! des forts ! les anachorètes, des artistes comme il n'en faut plus !

Farce continuelle ! Mon innocence me ferait pleurer. La vie est la farce à mener par tous.

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Assez ! voici la punition. - En marche !

Ah ! les poumons brûlent, les tempes grondent ! la nuit roule dans mes yeux, par ce soleil ! le coeur... les membres...

Où va-t-on ? au combat ? je suis faible ! les autres avancent. Les outils, les armes... le temps !...

Feu ! feu sur moi ! Là ! ou je me rends. - Lâches ! - Je me tue ! Je me jette aux pieds des chevaux !

Ah !...

- Je m'y habituerai.

Ce serait la vie française, le sentier de l'honneur !

(Arthur Rimbaud, "Mauvais sang", Une saison en enfer, 1873)

De la nouvelle idole

Il y a quelque part encore des peuples et des troupeaux, mais ce n'est pas chez nous, mes frères : chez nous il y a des États. État ? Qu'est-ce, cela ? Allons ! Ouvrez les oreilles, je vais vous parler de la mort des peuples.

L'État, c'est le plus froid de tous les monstres froids : il ment froidement et voici le mensonge qui rampe de sa bouche : "Moi, l'État, je suis le Peuple."

C'est un mensonge ! Ils étaient des créateurs, ceux qui créèrent les peuples et qui suspendirent au-dessus des peuples une foi et un amour : ainsi ils servaient la vie.

Ce sont des destructeurs, ceux qui tendent des pièges au grand nombre et qui appellent cela un État : ils suspendent au-dessus d'eux un glaive et cent appétits.

Partout où il y a encore du peuple, il ne comprend pas l'État et il le déteste comme le mauvais œil et une dérogation aux coutumes et aux lois.

Je vous donne ce signe : chaque peuple a son langage du bien et du mal : son voisin ne le comprend pas. Il s'est inventé ce langage pour ses coutumes et ses lois.

Mais l'État ment dans toutes ses langues du bien et du mal ; et, dans tout ce qu'il dit, il ment — et tout ce qu'il a, il l'a volé.

Tout en lui est faux ; il mord avec des dents volées, le hargneux. Même ses entrailles sont falsifiées.

Une confusion des langues du bien et du mal — je vous donne ce signe, comme le signe de l'État. En vérité, c'est la volonté de la mort qu'indique ce signe, il appelle les prédicateurs de la mort !

Beaucoup trop d'hommes viennent au monde : l'État a été inventé pour ceux qui sont superflus !

Voyez donc comme il les attire, les superflus ! Comme il les enlace, comme il les mâche et les remâche.

"Il n'y a rien de plus grand que moi sur la terre : je suis le doigt ordonnateur de Dieu" — ainsi hurle le monstre. Et ce ne sont pas seulement ceux qui ont de longues oreilles et la vue basse qui tombent à genoux !

Hélas, en vous aussi, ô grandes âmes, il murmure ses sombres mensonges. Hélas, il devine les cœurs riches qui aiment à se répandre !

Certes, il vous devine, vous aussi, vainqueurs du Dieu ancien ! Le combat vous a fatigués et maintenant votre fatigue se met au service de la nouvelle idole !

Elle voudrait placer autour d'elle des héros et des hommes honorables, la nouvelle idole ! Il aime à se chauffer au soleil de la bonne conscience, — le froid monstre !

Elle veut tout vous donner, si vous l'adorez, la nouvelle idole : ainsi elle s'achète l'éclat de votre vertu et le fier regard de vos yeux.

Vous devez lui servir d'appât pour les superflus ! Oui, c'est l'invention d'un tour infernal, d'un coursier de la mort, cliquetant dans la parure des honneurs divins !

Oui, c'est l'invention d'une mort pour le grand nombre, une mort qui se vante d'être la vie, une servitude selon le cœur de tous les prédicateurs de la mort !

L'État est partout où tous absorbent des poisons, les bons et les mauvais : l'État, où tous se perdent eux-mêmes, les bons et les mauvais : l'État, où le lent suicide de tous s'appelle — "la vie".

Voyez donc ces superflus ! Ils volent les œuvres des inventeurs et les trésors des sages : ils appellent leur vol civilisation — et tout leur devient maladie et revers !

Voyez donc ces superflus ! Ils sont toujours malades, ils rendent leur bile et appellent cela des journaux. Ils se dévorent et ne peuvent pas même se digérer.

Voyez donc ces superflus ! Ils acquièrent des richesses et en deviennent plus pauvres. Ils veulent la puissance et avant tout le levier de la puissance, beaucoup d'argent, — ces impuissants !

Voyez-les grimper, ces singes agiles ! Ils grimpent les uns sur les autres et se poussent ainsi dans la boue et dans l'abîme.

Ils veulent tous s'approcher du trône : c'est leur folie, — comme si le bonheur était sur le trône ! Souvent la boue est sur le trône — et souvent aussi le trône est dans la boue.

Ils m'apparaissent tous comme des fous, des singes grimpeurs et impétueux. Leur idole sent mauvais, ce froid monstre : ils sentent tous mauvais, ces idolâtres.

Mes frères, voulez-vous donc étouffer dans l'exhalaison de leurs gueules et de leurs appétits ! Cassez plutôt les vitres et sautez dehors !

Évitez donc la mauvaise odeur ! Éloignez-vous d'idolâtrie des superflus.

Évitez donc la mauvaise odeur ! Éloignez-vous de la fumée de ces sacrifices humains !

Maintenant encore les grandes âmes trouveront devant elles l'existence libre. Il reste bien des endroits pour ceux qui sont solitaires ou à deux, des endroits où souffle l'odeur des mers silencieuses.

Une vie libre reste ouverte aux grandes âmes. En vérité, celui qui possède peu est d'autant moins possédé : bénie soit la petite pauvreté.

Là où finit l'État, là seulement commence l'homme qui n'est pas superflu : là commence le chant de la nécessité, la mélodie unique, la nulle autre pareille.

Là où finit l'État, — regardez donc, mes frères ! Ne voyez-vous pas l'arc-en-ciel et le pont du Surhumain ?

Ainsi parlait Zarathoustra.

(Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, "De la nouvelle idole")

Autodafé*

Je suis athée.

Cela n'a rien d'une catastrophe. C'est même plutôt une libération. Comme un voile qui s'est levé. Cela faisait un moment que ça fermentait. Ça s'est précisé.

Pour être plus précis, je suis agnostique (non sachant), mais je peux dire aussi athée au sens strict (sans dieu). Non seulement je ne sais pas si Dieu existe, mais je ne crois pas que Dieu existe - en tout cas, pas le "Dieu" ou les "dieux" des humains - anthropomorphes, humains trop humains.

Si "Dieu" existe (en tout cas, un quelque chose à l'origine de ce qui est), il nous est parfaitement inaccessible, incommensurable, étranger.

Ce qui ne m'empêche pas d'être chrétien de culture, de tradition, de valeurs, de civilisation.

Le mystère est trop grand pour lui donner un nom. Les religions sont des tentatives parmi d'autres, comme les sciences, mais le mystère les déborde amplement.

Je crois que j'ai au fond un esprit trop scientifique (critique, sceptique, etc. mais pas du tout scientiste) pour être croyant.

Je n'y crois plus, c'est tout, c'est comme ça.

C'est comme se lever un matin et voir tout sous une nouvelle lumière, plus lumineuse, plus nette, plus précise, plus réelle.

Je ne remets pas en question l'existence de la foi, sa pertinence, sa cohérence.

Croit qui a envie, ou besoin, ou raison(s) de croire.

Je reste catholique, catholique agnostique, chrétien athée - et anarchiste chrétien.

Je ne suis pas antireligieux. Il faut juste remettre la religion à sa juste place - tradition, orientation, héritage, civilisation : place très importante.

Je me sens totalement libre, et pas hostile pour autant, même si critique à certains égards.

Je me sens même beaucoup plus libre de recevoir et comprendre les mystères chrétiens sans y voir folie et déraison. Avec une distance.

Il est possible d'avoir une lecture tout à fait rationnelle de tous les dogmes, révélations, récits, miracles, etc., du christianisme de manière symbolique : ils contiennent une vérité qui à interpréter, comme celle des mythes.

A cet égard, ne plus voir le dogme comme un énoncé contraignant, amis comme une "icône conceptuelle", à contempler et méditer pour en tirer une vérité de vie, une vérité qui est vie, une vérité qui fasse vivre.

Par exemple la Trinité, qui dit quelque chose de très fort de l'amour, de la paternité, de la relation, de la filialité, de l'union, l'unité, la personnalité, etc. - notre notion moderne de personne humaine, le personnalisme sous-jacent de la civilisation occidentale vient très fortement de là.

C'est typiquement une "icône conceptuelle", un "mystère" sur lequel on peut méditer sans pour autant forcément y croire.

Comme la Création, la Chute, la Rédemption, la Résurrection, l'Apocalypse, etc. Ce sont des mythes au sens fort du terme, porteurs de grandes vérités exprimées sur un mode symbolique.

La théologie est une sorte de mythologie, et j'ai toujours adoré la mythologie, sans pour autant y croire - mais elles disent des vérités, des archétypes sous une forme symbolique - comme les contes et légendes dont j'ai toujours raffolé. Cf. en psychanalyse Jung, Bettelheim... ; en anthropologie Lévi-Strauss, Girard...

L'homme est un animal symbolique.

Les religions sont des langages symboliques, des systèmes de valeurs, des ensembles de représentation.

De nombreux philosophes ont montré la rationalité à l'oeuvre dans les religions, notamment dans le christianisme (Kant, Hegel, et bien d'autres).

Hannah Arent, juive athée, a écrit à la fin de son essai sur la liberté dans La crise de la culture de très belles pages sur les miracles de Jésus comme capacité humaine à tout recommencer, à échapper à la fatalité, à affirmer sa liberté en dépit même des déterminations naturelles et sociales. En ce sens (et en bien d'autres), notre modernité est héritière de la croyance au miracle, de la foi et de l'espérance dans le miracle, comme de la charité qui fait advenir les miracles réels, concrets.

Je ne suis pas antireligieux, en tout cas pas antichrétien, tant que la religion dit quelque chose de vrai de la vie et sert la vie. Mais je serai évidemment critique envers toute tendance ou tentation religieuse allant contre la vie, la plénitude de vie, "la vie en abondance".

Littera occidit spiritus vivificat.

(Un anarchriste athée)

  • Du portugais "auto da fé", traduction du latin "actus fidei", "acte de foi".

Le credo de Dostoïevski

"Je vous dirais à mon sujet que je suis un enfant du siècle, enfant de l'incroyance et du doute jusqu'à ce jour et le serai même (je le sais) jusqu'à la tombe.

Que de souffrances effrayantes m'a coûtées et me coûte aujourd'hui cette soif de croire, qui est dans mon âme d'autant plus forte qu'il y a davantage en moi d'arguments contraires.

Et cependant Dieu m'envoie parfois des instants où je suis parfaitement tranquille : dans ces instants j'aime et je trouve que les autres m'aiment, et c'est dans ces instants-là que je me suis composé un Credo dans lequel tout pour moi est clair et sacré.

Ce Credo est simple, le voici : croire qu'il n'est rien de plus beau, plus profond, plus sympathique, plus raisonnable, plus viril et plus parfait que le Christ, et non seulement qu'il n'est rien, mais -je me le dis avec un amour jaloux- qu'il ne peut rien être.

Bien plus, si quelqu'un me prouvait que le Christ est hors de la vérité, et qu'il fût réel que la vérité soit hors du Christ, je voudrais plutôt rester avec le Christ qu'avec la vérité."

Fédor Dostoïevski, Lettre à Natalia Dmitrievna Fonvizina, 1854

Où j'en suis aujourd'hui avec Dieu ou à peu près

Comme disait le philosophe (juif) Levinas : "Dieu n'a pas de religion."

En fait, je ne crois pas en "Dieu", je pense - et c'est une exigence rationnelle - qu'il y a un "Dieu", c'est-à-dire un être ou un néant ou un au-delà de l'être, une énergie ou une force première et transcendante et immanente à la fois, d'où tout est sorti (créé ? émané ?) et dans lequel tout se maintient - et que la science ne peut approcher ni élucider car il s'agit d'un au-delà de la science et de tout savoir.

Ce mystère de l'être est appelé Dieu par chez nous, mais on peut l'appeler autrement (divinité, déité, Néant, Soi, Tout-Autre, etc.)

C'est ce que Pascal appelle le "Dieu des philosophes", qui est un concept rationnel (depuis le principe premier, moteur immobile, etc., d'Aristote) et qui correspond à une exigence de la raison de connaître l'origine radicale des chose - non seulement physique, mais métaphysique, car la physique explique le comment mais pas le pourquoi - et, pour le dire avec Leibniz, la question métaphysique fondamentale est : "pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?"

Ce qui suppose bien que si le rien peut donner quelque chose, c'est qu'il y a une puissance d'être en lui. "Dieu" pourrait désigner cette puissance d'être en tout et au-delà de tout.

A cette étape, je suis "déiste de raison", "déiste rationaliste" comme Voltaire etc.

J'aime beaucoup la mystique, qui est une pratique expérimentale de la théologie négative ou apophatique, qui est tentative d'expérimenter l'inexpérimentable, qui est étreinte de l'invisible et expression de l'ineffable, et j'aime beaucoup la théologie apophatique et mystique qui exprime de manière rationnelle tant que possible - jusqu'au point de rupture - ce mystère insondable de l'être : chez les chrétiens, Grégoire de Nysse, Denys l'Aréopagite, Maître Eckhart ("Dieu au-delà de Dieu"), Jean de la Croix, Nicolas de Cues, etc., qui comme Socrate l'inspiré professent la "docte ignorance".

J'aime également les mystiques indiennes, bouddhistes, taoïstes, musulmanes (soufis...), qui rejoignent souvent les juives et chrétiennes.

Tout ce qu'on peut dire de "Dieu", de l'"Etre", n'est finalement rien, ou pas grand-chose, ou seulement des propositions négatives (théologie négative, apophatisme) : "Dieu" n'est pas ceci, n'est pas cela, etc. - si bien que ce théisme théorique débouche sur un athéisme pratique : si "Dieu" est si autre - puissance infinie, éternelle, incommensurable, etc. - il n'a rien à voir avec vous de manière personnelle, individuelle - à part qu'en lui, comme puissance d'être, nous avons comme le dit saint Paul après Aristote "la vie, le mouvement et l'être".

Bref, comme le dit le proverbe africain : "Dieu est en haut et les hommes sont en bas." C'est-à-dire, chacun chez soi, chacun ses affaires. Mais c'est encore une vision encore trop anthropomorphique et anthropocentrée de "Dieu".

A cette étape, je suis théiste théorique ou déiste de raison, et athée pratique. D'ailleurs, la survie de l'homme, de l'âme, etc., n'est pas en question ici. On peut être déiste sans croire à l'immortalité de l'âme etc., bref être déiste et matérialiste - athée pratique.

Je crois que les religions sont cet effort de l'homme pour sonder l'insondable, toucher l'intouchable, atteindre l'inaccessible, bref se diviniser, diviniser l'homme et l'univers, et qu'en ce sens elles sont une dimension inextinguible de la condition humaine et sans doute une part de sa dignité et une expression de son dynamisme - aller au-delà de soi-même - qui lui a fait quitter l'animalité - bref, une expression centrale de la culture dont les préhistoriens font remonter l'origine aux premiers rites funéraires.

Ce qui suppose une forme de croyance en l'immortalité - expression d'une volonté d'immortalité, de s'immortaliser.

C'est une étape très importante de la culture que la croyance en l'immortalité de l'âme pour la valeur personnelle de l'individu - c'est même l'expression croissante de la valeur irremplaçable de la personne humaine, de chacun.

A cette étape, je suis théiste théorique ou déiste de raison, et athée pratique et matérialiste scientifique (pas au sens marxiste), mais pas antireligieux et même éventuellement pro-religieux, voire religieux.

Il me semble que chaque religion, sans son ensemble comme dans ses variations (et déformations voire perversions) exprime une vision de l'homme et l'univers, un projet sur l'homme et l'univers, un ensemble de valeurs fondamentales qui orientent l'existence.

Les plus grands philosophes, croyants ou incroyants, expriment depuis l'origine de la philosophie (Socrate, Platon...) jusqu'à notre philosophie (Kant, Hegel, et même Marx...) une volonté d'élucidation et de rationalisation, d'explication des vérités religieuses, c'est-à-dire de vérités sur le monde et l'homme exprimées, enveloppées dans une forme religieuse, mythique, symbolique...

Il me semble que les travaux anthropologiques de René Girard sur le judaïsme puis christianisme comme révélation et dénonciation des tendances à l'oeuvre dans l'humanité et fondatrice justement du sacré religieux et social "païen" (rivalité mimétique, violence fondatrice, bouc émissaire, sacrifice humain, etc.) sont une illustration de cette élucidation et éventuellement hiérarchisation des valeurs religieuses.

Je crois que les valeurs fondamentales exprimées dans le judéo-christianisme, fondatrices de notre civilisation, sont particulièrement pertinentes, même exprimées de manière mythique : voir l'univers comme création et cosmos doit mener à l'admirer et le respecter infiniment dans son unicité ainsi que chaque être qu'il contient, voir chacun comme devant ressusciter non seulement dans son âme mais aussi dans son corps doit amener un respect infini de chaque personne humaine dans son unicité et singularité irremplaçable et notamment dans sa corporéité et pas seulement sa spiritualité.

Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que c'est de la chrétienté qu'est sortie (dans tous les sens du terme) la modernité, pour le meilleur mais aussi pour le pire - je passerai ici sur tous les travaux innombrables et décisifs sur la modernité comme sécularisation de la chrétienté, comme chrétienté laïcisé, voire christianisme athée - voire Marcel Gauchet, pour qui "le christianisme est la religion de la sortie de la religion" ("Le désenchantement du monde").

Ce n'est pas pour rien non plus que les Eglises - et la principale qui est la catholique, et les autres réunies dans le Conseil oecuménique des Eglises - ont intégré, accompagné, voire suscité les valeurs du monde moderne.

(Même Galilée était le "physicien" du pape, son protégé et son ami, c'est d'ailleurs à cause de cette tutelle directe que certaines de ses thèses on été condamnées - précisément, ce qui a été condamné chez lui, ce n'est pas son héliocentrisme, mais sa condamnation sans appel du géocentrisme - le pape lui demandant l'exposition équilibrée des deux thèses contradictoires et une suspension du jugement jusqu'à nouvel ordre, ce que Galilée a accepté mais n'a pas fait - et comme il utilisait à l'appui de sa thèse héliocentrique de nombreux arguments bibliques, théologiques, scolastiques, etc., et non pas rigoureusement scientifiques, et surtout, sans preuves - a l'époque il ne s'agit que de grandes théories plus "philosophiques" que "scientifiques" - c'est pour cela que, voulant se démarquer de Galilée trop théologien, Descartes, et en cela véritable fondateur de la science moderne, aura pour projet une science entièrement rationnelle et expérimentale.)

J'assume l'histoire et l'historicité des Eglises même si je n'en justifie pas tous les aspects (Inquisition etc.) même si je les comprends historiquement (comment c'est arrivé) mais ce qui m'intéresse avant tout, même en m'intéressant à leur histoire (comme je m'intéresserais à l'histoire de quiconque m'intéresse), ce sont les religions aujourd'hui et les valeurs qu'elles prônent et promeuvent.

Et là, je suis, d'héritage assumé, c'est-à-dire à la fois reçu et choisi, catholique - catholique critique, mais catholique.

Je résume : je suis théiste théorique ou déiste de raison, athée pratique et rationaliste matérialiste scientifique, théologien mystique et apophatique, religieux croyant et judéo-chrétien oecuménique, catholique de culture, de tradition et de raison - et le tout non sans tension, mais sans exclusive, de manière inclusive, mais non tout sur le même plan - chaque dimension en son plan, chaque chose en son ordre ou stade - cf. Pascal et Kierkegaard.

Pour Pascal, il faut être "géomètre, pyrrhonien, chrétien", c'est-à-dire "scientifique, sceptique, catholique", ou encore "rationaliste, relativiste, croyant", ou encore "matérialiste, nihiliste, religieux", ou encore "physicien, philosophe, mystique" - simultanément et successivement, sans confusion ni séparation, dans chaque ordre de réalité concerné - "ordre des corps", "ordre des esprits", "ordre du coeur" - ordre de l'extériorité matérielle, ordre de l'intériorité spirituelle, ordre de la charité universelle.

Pour Kierkegaard, chacun doit passer du "stade esthétique" au "stade éthique" puis au "stade religieux" - c'est alors le "saut dans la foi".

Et, quelles que soient mes évolutions et variations sur ce qui précède, le credo de Dostoïevski reste le mien : croyant ou athée, je crois comme lui qu'il n'y a rien de plus beau, de plus vrai, de meilleur que le Christ - et en quoi la vérité pourrait-elle s'opposer à lui ?

Quelle vérité, d'abord, et sur quel plan ? Je crois que la vérité du Christ se place sur un plan spirituel, existentiel et moral, qui n'est pas le même que le plan matériel, physique... - où les vérités scientifiques d'ailleurs progressives, provisoires, évolutives, jamais définitives...

Je crois que le vérité du Christ est de l'ordre du projet plutôt que de celui de la description, de l'ordre donc de la liberté plutôt que de celui de la nécessité.

Comme le dit Hannah Arendt (philosophe juive athée) sur les Evangiles, la liberté est du côté de la foi, du miracle, de la résurrection, de la création et de la recréation - affirmer un Dieu créateur et recréateur, ressusciteur, dont l'homme est à l'image et ressemblance et Dieu qui vient jusqu'à se faire homme pour que, comme le dit toute la tradition de l'Eglise, l'homme se fasse Dieu, c'est affirmer l'essentielle puissance de commencement et de recommencement de Dieu, de l'homme, du Dieu fait homme et de l'homme fait Dieu, c'est-à-dire l'essentielle liberté divine, donc humaine - ou humaine, donc divine, si l'on pense que l'homme crée Dieu à son image.

J'aime le Christ, sa personne historique et mythique, je crois au Christ, je crois en Christ, je crois dans le Christ. Et je suis chrétien, au moins de projet, si, comme dit Basile de Césarée, le christianisme, c'est l'imitation du Christ.

Et tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien...

(Un anarchriste dans la nuit)

Un homme qui n'a pas été entendu

Anarchrist dans la Revue littéraire de Léo Scheer

Revue littéraire

Excellente recension du camarade Sangars. Sabre au clair !

Zang Tumb Tumb

En librairie

Juif et Dieu

ANASTASIE GÉNÉRALE




Aujourd’hui nous voyons comme dans un miroir, mais un jour je verrai face à face, dit Paul1. Ce monde est un miroir, mais il n’est pas le Royaume. Ce monde n’est pas le royaume mais pourtant il en est un miroir, il en est informé, et nulle part, en nul temps, il ne peut plus jamais se comporter comme s’il ne s’était rien passé, comme si ne se découpait pas, hologrammique, sur lui une autre image. Nous voyons trouble, mais eux, pourtant, ils L’ont vu et qui L’a vu a vu le Père. Ils L’ont vu avant sa mort et après sa résurrection.

Anastasis est le mot grec qui désigne simultanément l’insurrection et la résurrection. Il est le mot que nous cherchions confusément et l’ayant trouvé nous n’en demeurons pas moins, non dans l’incertitude car Il est là celui qui nous fonde, mais dans ce trouble au visage qui précède la vraie Jérusalem. Car ce mot lui-même est le trouble. Il n’y a pas de résurrection sans insurrection. « Ce sera l’affaire d’un instant, juste un clin d’œil ».

L’insurrection, ce n’est pas la révolution au sens où ce mot a été annexé par les églises matérialistes millénaristes de la modernité. Encore une fois, payer l’impôt à César n’est rien, et ce n’est pas ce qui nous intéresse. Les païens commandent en maîtres, mais nous qui n’avons plus de maître ici-bas, n’avons plus de serviteurs non plus. Nous payons l’impôt si nous voulons et quand nous voulons, parce que nous sommes des Fils, et que l’impôt se trouve comme la pièce de deux drachmes dans la bouche du premier poisson venu. Le pauvre est important, non la pauvreté.

Nous avons quitté le vieux monde de la loi, et c’est un risque immense : « Maintenant, nous sommes morts vis-à-vis de tout ce qui nous tenait captifs, et la Loi ne vaut plus pour nous ».

Le Royaume est en nous comme la salive dans la bouche. Il se reforme perpétuellement sans qu’on y songe. Et le péché s’est fait semblable au Royaume pour nous égarer, car : « Le péché a besoin de vos membres pour le mauvais combat » ; et « le péché a su se servir du commandement ; il m’a égaré afin que le commandement me donne la mort ». Et encore : « On voit mieux encore ce qu’est le péché quand il se sert de quelque chose de bon pour me donner la mort ».

L’arbre du bien et du mal, c’est Dieu qui l’a mis là, devant nous. Mais c’est le mal qui nous y a fait goûter. Dieu l’avait-il mis là pour me tenter ? Certes, non, car c’est un Dieu qui crée, et qui recrée sans cesse, un Dieu qui ne détruit pas. C’est donc l’usage que nous en avons fait qui a constitué le péché. De même l’arbre de la vie. Ces arbres ont été mis là pour que nous les contemplions, et c’était leur usage. Non pour que nous nous fassions semblables à eux en les ingérant. Manger le fruit pour devenir Dieu. En échange, nous mangeons Dieu pour devenir le fruit. « Mangez-Moi, puisque c’est ce que vous avez voulu. Mais c’est Moi qui me donne ».

C’est cette révolution-là que nous avons recherchée, et elle dépouille les vieilles guerres de leurs séductions, les antiques codes de leur efficace.

Les lois non-écrites d’Antigone sont bien utiles, mais elles demeurent dans l’ordre du monde, dans celui de la sagesse humaine. Certainement la famille vaut beaucoup plus que les lois positives de l’Etat ; mais le Royaume vaut lui-même beaucoup plus que la famille.

L’anarchisme véritable ne peut être que chrétien car tous les autres, au cri de liberté, ne chercheront jamais qu’un ordre banal, vie des nations améliorée.

Nous faisons feu sur toutes les communautés. Nous clouons le vieil homme à l’arbre du bon sens.

Dieu détruit en nous tout ce qui n’est pas nous.

La révolution a passé. Le temps est à l’anastasie.

La sagesse ne reviendra jamais.




Les Anarchristes, Pâques 2015

1 1 Corinthiens, 13-12

Deux mufles réalistes, deux pourris

Quelle que soit la noblesse de la fin conçue et poursuivie, l'emploi de moyens pourris pourrira la fin réalisée. Il est impossible de soustraire la fin à la contagion des moyens : autant prétendre empoisonner la mère sans léser l'embryon.

Gustave Thibon.

André Breton sur le trottoir

J'aime regarder André Breton passer sur le trottoir. Il ne me connait pas. J'aime sa tête de lion souterrain, sa chevelure solaire, ses éclairs inquiets au coin de l'oeil, sa petitesse cambrée et vaguement monstrueuse, tous les signes du truc, de l'iniquité, de la hauteur, de l'impuissance et de l'incurable distinction qui le drapent d'une brume de sainte et noire sincérité. Je crois, n'est-pas ? que c'est quelqu'un.

Jacques Audiberti, lettre non datée à Jean Paulhan, septembre 1934.

Le croyant ancien

Le croyant ancien est avant tout un homme qui se confesse, qui se confesse fréquemment, et d'autant plus souvent même qu'il se permet moins les actions que la morale catholique regarde comme des péchés. C'est un homme qui pratique l'obéissance intellectuelle, admettant en principe tout ce que l'Église enseigne, et acceptant sans examen tout ce qu'il connaît de cet enseignement ; ne discutant ni le sens ni la portée logique de ce qu'il croit ; se considérant dans l'Église comme un disciple qui apprend d'elle ce qu'il doit penser sur tous les grands sujets qui intéressent l'existence, ce qu'il doit faire pour être homme de bien, ce qu'il doit pratiquer pour être chrétien. C'est un homme dont toute l'activité se trouve ainsi réglée par une autorité extérieure, et qui n'a pas souci de penser par lui-même, qui se croirait coupable de prendre cette hardiesse, qui regarde comme une vertu la timidité intellectuelle. Il se défend de penser sur les questions religieuses, par crainte de penser mal ; il s'instruit de la religion dans les bons livres que lui recommande son directeur, et il n'a pas d'autres idées que celles qui lui sont garanties comme très orthodoxes et très sûres. Ce type de catholique existe, il ne faut pas le nier. Il n'est pas très répandu, tout au moins ceux qui le réalisent dans la perfection ne sont pas nombreux, quoi qu'on ait fait pour les multiplier. C'est que ce type n'est réalisable qu'au prix d'une abdication contre nature, à laquelle beaucoup résistent comme d'instinct, et que d'autres repoussent consciemment comme une violation de leur personnalité.

Alfred Loisy

La révolte seule

"La révolte, et la révolte seule, est créatrice de lumière et cette lumière ne peut emprunter que trois voies : la poésie, la liberté et l'amour."

André Breton

Un message de 裕仁

Gardez-vous très rigoureusement de tout éclat d'émotion susceptible d'engendrer d'inutiles complications; de toute querelle et lutte fratricides qui pourraient créer des désordres, vous entrainer hors du droit chemin et vous faire perdre la confiance du monde. Cultivez les chemins de la droiture; nourrissez la noblesse d'esprit; et travaillez avec résolution.

裕仁, Discours de capitulation du Japon (Gyokuon-Hôsô), 15 août 1945.

La fin d'un monde

L'homme-masse

L'homme-masse constitue un type d'homme nouveau, radicalement différent de tous les autres hommes. Dans sa conscience à demi-obturée, l'homme-masse en éprouve une intense satisfaction de vanité et une inquiétude obscure. C'est pourquoi, glissant sur sa propre pente, il ne veut pas se sentir seul : il lui faut des hommes, ses semblables, pour parader devant eux et ne point sentir sa solitude. D'où un prosélytisme mécanique en quelque sorte, qui ne résulte pas de la vigueur de la croyance ou d'une vitalité qui s'exonère, mais d'un impossible désir de convertir son vide en plénitude et son néant en totalité. L'homme-masse est doué d'un pouvoir de contagion illimité qui, sans une réforme radicale de nos moeurs, produira effectivement un homme nouveau, un ersatz d'homme.

Marcel de Corte, Philosophie des mœurs contemporaines, Homo Rationalis, 1944.

L'homme qui a dit oui

L'homme qui a dit non

En 1775, un ingénieur français, Du Perron, présenta au jeune Louis XVI, un "orgue militaire" qui, actionné par une manivelle, lançait simultanément vingt-quatre balles. Un mémoire accompagnait cet instrument, embryon des mitrailleuses modernes. La machine parut si meurtrière au roi, à ses ministres Malesherbes et Turgot, qu'elle fut refusée et son inventeur considéré comme un ennemi de l'humanité.

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