ANARCHRISME !

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Anarchisme chrétien

ANARCHISME CHRETIEN, CHRISTIANISME LIBERTAIRE.

Le grand romancier russe Tolstoï, dans la seconde partie de son activité intellectuelle, a essayé de concilier le christianisme ou plus exactement les enseignements donnés par Jésus de Nazareth (ou à lui attribués) avec l’anarchisme ou absence d’autorité gouvernementale, considérée sous sa forme la plus évidente et la plus brutale : la violence.Il n’est pas difficile de trouver dans les livres sacrés des chrétiens, particulièrement dans ceux appelés Évangiles, des paroles qui semblent faire de Jésus une sorte de révolutionnaire mystique, de révolté religieux mis au ban de la société de son temps. Il prêche parmi les déshérités, les en marge du milieu social d’alors, il se plaît en la compagnie des péagers et des gens de mauvaise vie, il s’entoure de personnes appartenant à la classe la plus basse, voire de prostituées, etc., il soulève tout ce monde contre la façon d’enseigner et de se comporter du clergé juif, hypocrite, machiavélique, avide de pouvoir spirituel et temporel comme le sont tous les clergés dans tous les temps. On peut voir en Jésus une sorte d’anarchiste qui finit par succomber au cours d’une lutte trop inégale, mais sans un geste de soumission ou de rétractation, ni devant le grand prêtre Caïphe, symbole du pouvoir ecclésiastique, le dogme — ni devant le roi Hérode, symbole du pouvoir civil, la loi — ni devant Pilate, symbole du pouvoir militaire, le sabre.Tolstoï considérait comme base de la doctrine chrétienne : la non résistance au mal par la violence. Jésus n’a pas seulement commandé à ceux qui le suivaient d’aimer leur prochain comme eux-mêmes (Ev. selon Matthieu, xxii, 39), il leur a prescrit de ne point résister au méchant ou au mal (id., v, 43), en opposition à l’antique précepte judaïque œil pour œil, dent pour dent. C’est sur cette « non résistance au mal par la violence » que s’étaye tout le tolstoïsme. Les conséquences qui en découlent sont incalculables, car, pratiquement, la non résistance se traduit par la résistance passive, c’est-à-dire le refus d’obéissance aux ordres de l’Etat impliquant emploi de la force ou de la violence, la non coopération aux services publics dans lesquels il entre sous une forme ou sous une autre de la coaction ou de l’obligation. La grève générale pacifique rentre dans le cadre de l’activité tolstoïenne, etc.Bien que publiquement et en privé (il me l’écrivit personnellement) Tolstoï se déclarât « anarchiste chrétien » il se montrait volontiers opposé à la création d’un mouvement tolstoïen organisé. Le tolstoïsme était surtout pratique individuelle. C’est individuellement que les tolstoïens refusaient le service militaire, de prêter serment devant les tribunaux, d’envoyer leurs enfants aux écoles de l’Etat, de payer l’impôt, etc. Les noms suivants nous viennent sous la plume : le refuseur de service militaire tchèque Skarvan ; l’ex-juge anglo-indien Ernest Grosby ; Vladimir Tchertkoff le confident de Tolstoï, et Paul Birukoff, son traducteur, Boulgakoff, son secrétaire ; les Anglais Aylmer Maulde, Arthur St. John, John C. Kennworthy ; les Américains Clarence S. Darrow et Bolton Hall ; l’ex-pope Ivan Trégouboff, combien d’autres Russes, dont Pierre Vériguine, le « conducteur » des Doukhobors, tous se sont efforcés, par la plume, la parole ou le geste, de répandre et de propager le tolstoïsme.Il convient ici de faire remarquer que les « Doukhobors » russes et les « Nazaréens yougo-slaves » sont antérieurs à Tolstoï. Les Doukhobors ont eu une influence sur Tolstoï, Tolstoï les a influencés, mais le « doukhoborisme » est en marge du tolstoïsme.

C’est en Hollande qu’on s’est préoccupé de donner à l’anarchisme chrétien un programme condensant les idées tolstoïennes, éparses ça et là. Vers 1900, Félix Ortt et le groupe rassemblé autour de lui publièrent un journal hebdomadaire Vrede (La Paix) et des brochures comme Christeljk Anarchism (Anarchisme chrétien), Denkbeelden van een Christenanarchist (Pensées d’un anarchiste chrétien), De weg te geluk (la voie du bonheur), Liefde en Huwelijk (Amour et mariage). Dans le même temps, de mon côté, je publiais l’Ère Nouvelle, paraissant moins régulièrement mais où je me tenais en contact avec les différents représentants de l’activité tolstoïenne, les colonies anarcho-chrétiennes, les Doukhobors, etc.

Le n°1 de la septième année de Vrede (1903) contient sous la signature de Félix Ortt un manifeste anarchiste chrétien, que voici :

« Anarchiste chrétien veut dire : 1° disciple du Christ ; 2° négateur de toute autorité (extérieure).« Est disciple du Christ quiconque cherche en toute droiture à vivre selon l’esprit du Christ, n’importe la secte à laquelle il appartient ou le dogme auquel il se rattache. Vivre selon l’esprit du Christ, c’est :« Aimer Dieu de toute son âme, autrement dit : rechercher l’amour parfait et la sainteté parfaite, y tendre.« Aimer son prochain comme soi-même, et la mise en pratique de cette règle de vie est incompatible avec toute convoitise, toute domination ou, si l’on veut, tout égoïsme. Dans la réalité, « chrétien » et « anarchiste » sont synonymes.« Pierre, les apôtres, étant chrétiens, étaient anarchistes, c’est ce qu’indique leur réponse aux injonctions des autorités : « il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes ». Et, de même, l’anarchie, la délivrance de toute autorité, ne sera possible que lorsque l’amour régnera dans la conscience humaine, c’est-à-dire lorsque les hommes vivront selon l’esprit du Christ.« Il va sans dire qu’une foi basée sur la Bible n’est pas nécessaire pour atteindre ce but. Un disciple de Bouddha ou de Lao-Tsé (Confucius), un hindou, un israëlite, un musulman, un athée qui recherche la perfection pour lui-même et l’amour pour le prochain, celui-là vit dans l’esprit du Christ.« Les paroles de Bouddha : « Subjuguez la méchanceté par la bienveillance, le mal par le bien », procèdent du même esprit que celles de Jésus : « Mais je vous dis, moi, de ne pas résister au méchant ».« Lao-Tsé disant : « Celui qui vainc les autres est fort, mais celui qui se vainc lui-même est tout-puissant », fait montre d’une recherche de la sainteté semblable à celle que Jésus indiquait par les mots : « Soyez parfaits comme votre Père est parfait ». Les deux esprits sont les mêmes.« Deux disciples de cet esprit-là ont exprimé en deux phrases les aspirations de ceux qui ne se satisfont pas de la théorie ni des bavardages, mais qui veulent mettre leurs théories à l’épreuve et traduire les paroles en actes, les voici :« L’amour n’est l’amour que lorsqu’il se donne lui-même en sacrifice ». (Tolstoï).« N’aimons pas par nos paroles et avec notre langue, aimons par nos actes et en vérité ». (Saint Jean).« Dans le langage courant, cela veut dire : « Ne pactisons pas plus longtemps avec l’oppression capitaliste ou de la propriété — le meurtre de nos semblables ou le militarisme — les jugements iniques ou les tribunaux — l’alcoolisme ou la dégradation physique — la prostitution ou l’amour vénal — le meurtre des animaux (carnivorisme, chasse, vivisection, etc.). En un mot, rompons avec tout ce qui fait souffrir n’importe quelle créature dans le simple but de nous assurer à nous-même une jouissance passagère quelconque. »

Ces déclarations résument (à quelques nuances près) le christianisme libertaire ou anarchisme chrétien, tel qu’on l’entend ordinairement.Dans un numéro ultérieur de Vrede (9 janvier 1904), F. Ortt est revenu sur certaines questions controversées parmi les tolstoïens. Ainsi, il déclare monstrueuse l’idée de devoir demeurer toute sa vie avec une femme à cause de rapports sexuels accidentels. L’union durable ne peut résulter que de l’amour vrai, autrement dit l’aspiration à l’unité. Vivre avec un être à l’égard duquel on ne ressentirait aucune affection véritable, ce serait attenter à la signification de cette phrase qui résumait pour Jésus toutes les relations sociales : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » — Ne résistez pas au malin, admis comme un dogme, présenterait un caractère très dangereux. D’ailleurs, on voit dans l’épître de Jacques (iv, 7) les premiers chrétiens conseiller de « résister au Malin (l’esprit du mal) », condition pour s’en débarrasser. Peu importe qu’on interprète par Malin l’homme méchant ou le mal lui-même, ce que ces paroles et d’autres nous enseignent, c’est de résister, mais sans haine au cœur, sans rendre le mal pour le mal, c’est-à-dire ne jamais agir par vengeance, ne jamais oublier que quiconque fait du mal est sous l’empire de l’ignorance et le traiter comme tel.

Il existe encore actuellement aux Pays-Bas une Union anarcho-communiste religieuse, basée sur des directives analogues, qui possède un organe à elle et dont l’activité est spécialement orientée vers le refus de service militaire. — E. Armand.

(in Encyclopédie anarchiste, dir. Sébastien Faure, 1925-1934)

https://fr.wikisource.org/wiki/Encyclop%C3%A9die_anarchiste/Anarchisme

Le fédéralisme, ou la mort

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Le désastre israélo-palestinien s'ajoute une fois de plus au désastre kurde et au désastre arménien, ou encore ukrainien, et à tant d'autres d'ailleurs, pas si anciens, comme celui de l'écroulement de la Yougoslavie dans le années 1990. L'absurde logique wilsonienne mise en oeuvre après la première guerre mondiale, quand et comme cela arrangeait les vainqueurs, n'en finit pas de détruire l'Europe et le pourtour méditerranéen. Croire qu'à un Etat doit correspondre une nation, c'est-à-dire un ensemble culturel, linguistique, religieux homogène, et en faire un principe d'organisation politique, est tout simplement grotesque et criminel, surtout dans des contextes post-coloniaux où le chaos a été scrupuleusement semé dans les communautés historiques des pays dominés. Le principe des nationalités, de correspondance entre une nation et un Etat, est absurde d'abord parce qu'une telle situation n'existe « naturellement » nulle part, ensuite parce que si elle peut sembler se mettre en place, c'est superficiellement et presque systématiquement au prix de génocides, de guerres, de déplacements de populations, de processus d'acculturation et d'écrasement des particularités sanglants, et appauvrissants pour l'humanité. Tout cela a toujours des cycles de conséquences néfastes à plus long terme. Si bien que, au final, l'application de ce principe consiste – pour reprendre la si pertinente formule d'Alfred Korzybski – à confondre la carte et le territoire, voire à imposer la carte pour effacer le territoire – et surtout les peuples qui y vivent. Le conflit israélo-palestinien en est un exemple, presque un modèle - hélas. Né dans un contexte d'impérialisme colonial où la Grande-Bretagne joua pendant plus de vingt ans un jeu consistant à rompre, parfois par la force, les fragiles équilibres locaux et à promettre à tout le monde des gains contraires aux intérêts des autres, mais conformes aux siens, ce conflit – une sanglante guerre civile doublée de menaces des nouveaux pays voisins qui se sentaient floués, eu égard au principe des nationalités lui-même – fut « réglé » par la décision de créer un Etat, Israël, un Etat « juif », laïc mais religieux (le judaïsme est une religion), à vocation ethnique (la judaïté diversifiée étant présentés comme venant d'une « ethnie » commune), mais formé d'immigrants venus en fait de cultures multiples (si bien qu'il fallut re-créer une langue pour tous) et n'ayant souvent en commun qu'une abominable histoire de pogroms et de discriminations violentes jusqu'à l'apothéose d'horreur que fut le génocide nazi, avec d'importantes minorités, des zones hybrides, une ville sous contrôle international, des déplacés et des réfugiés, cela dans une poudrière religieuse : la zone de naissance des trois principales religions contemporaines (ce n'est pas un hasard si les premiers musulmans priaient en direction de Jérusalem). Le vote à l'ONU qui se fit dans des conditions contestables, en fait et en principe, notamment sans consultation réelle et effective des populations concernées (hormis quelques notables), et dans l'oubli complet de la réalité de terrain, du territoire, lequel pour tout regard rationnel et raisonnable, rendait le projet impossible à réaliser, ainsi que les experts de Truman le lui avaient signalé, hélas en vain. Ce qui devait arriver arriva : une guerre civile quasi- continue, des guerres avec les Etats arabes alentours auxquels se mêlèrent les enjeux post- coloniaux des Etats européens puis des Etats-Unis, une surenchère continue de terrorisme et de répressions, la décisions d'un gouvernement travailliste (à rappeler à la gauche française qui semble l'oublier) de créer des colonies dans les territoires conquis par Israël victorieux, des politiques d'occupation militaire, d'apartheid, de spoliation territoriale, la déstabilisation d'un pays voisin (le Liban) par l'afflux de réfugiés palestiniens, un terreau de désespoir fécond pour les islamistes (et les pays qui les financent), l'utilisation cynique de la détresse palestinienne par les Etats alentours, des accords de paix aveuglément basés, encore et encore, sur le principe de nationalité, et qui bien sûr échouèrent, puis, aujourd'hui, un nouveau cycle d'horreur et d'absurdité. Après un siècle d'erreurs, n'est-il pas temps de changer de logique ? N'est-il pas temps de passer des fantasmes ou des intérêts meurtriers des politiciens professionnels, des fanatiques et des mafieux qui, de part et d'autre, tiennent le pouvoir en le justifiant d'un état d'exception permanent à une solution réelle, concrète, durable, de compromis assurant vraiment la sécurité et la dignité de tous, des gens ? Le réalisme, n'est-ce pas faire ce qui est souhaitable plutôt que de répéter ce qui a échoué ? Cette solution existe ; elle avait même été proposée à la fin des années trente, et l'a été maintes fois depuis dans l'indifférence générale : le fédéralisme, à l'instar de celui de la Suisse, de l'Allemagne, des Etats-Unis, de la Belgique ou, parmi bien d'autres, de l'Inde – le fédéralisme soviétique ou yougoslave n'ayant été qu'un leurre. Car la logique du fédéralisme, c'est de faire des différences ce qui fonde l'unité d'un Etat, la vie d'une population, de permettre des compromis et de limiter les conflits ou les processus de domination d'une communauté sur une autre en faisant participer toutes les communautés aux décisions de l'ensemble. Dans un Etat fédéral, la Constitution garantit aux entités fédérées (Cantons en Suisses, Etats aux Etats-Unis, Landers en Allemagne, Communautés et Régions en Belgique, etc.), leurs domaines de compétences propres et souveraines, et souvent les compétences résiduelles (celles qui ne sont explicitement pas attribuées à l'Etat fédéral, central) : on applique le principe de subsidiarité selon lequel tout ce qui peut être fait à l'échelon local, à l'échelon le plus proche de la population concernée doit l'être. Chacune de ces entités a son gouvernement et ses mécanisme de contrôle politique, et chacune participe, souvent au travers d'une chambre de représentants (par exemple, le Sénat aux Etats-Unis) et/ou en fonction de règles de vote protégeant les minorités (par exemples, des majorités qualifiées linguistiquement en Belgique) aux décisions du pouvoir central. Autrement dit, ce même pouvoir central/fédéral n'a rien à dire dans les domaines réservés aux entités fédérées alors que celles-ci contrôlent les décisions du pouvoir fédéral, lequel ne peut unilatéralement modifier les compétences d'aucune d'entre elles - contrairement aux organisations décentralisées (que l'on trouve en Grande Bretagne, en France ou en Espagne) qui sont sous tutelle, dépendantes du pouvoir central pour leur existence et leurs compétences. Le fédéralisme belge a bien des défauts (notamment son financement et son absence de démocratie directe), mais il permet par exemple que ce soit la même institution spécifique qui gère les écoles dans chacune des langues nationales, quel que soit l'endroit où se trouvent ces écoles, ce qui permet de défendre chacune des langues et chaque groupe de locuteurs, où qu'il se trouve, même dans des territoires enclavés. Ainsi peut-on avec un peu d'imagination et de pragmatisme imaginer des solutions viables dans des situations où des peuples, des minorités se trouvent isolés par une absence de continuité territoriale. Un exemple : la Turquie (ou l'Iran) pourrait se fédéraliser pour laisser a place à la culture et aux intérêts Kurdes : elle y gagnerait la paix civile, et fort probablement une meilleure unité face aux pays géopolitiquement opposés à elle ; les Kurdes, eux, y trouveraient le respect de leur langue, de leur culture et une meilleure assurance du développement économique, une réelle autonomie. Et que dire d'Israël, de la Cisjordanie et de la bande de Gaza ? Bien sûr, les temps ne s'y prêtent pas et la logique sordide dans laquelle se sont enfermés les protagonistes de cette seconde guerre de 100 ans rend tout processus politique rationnel, équitable et pragmatique extrêmement difficile ; Israël devrait abandonner sa dangereuse obsession ethnico-religieuse et bon nombre de ses colonies, les Palestiniens leurs fantasmes nationalisto- revanchards et renoncer au retour d'une bonne part des réfugiés : comme dans tout compromis, personne ne serait vraiment satisfait mais tout le monde y gagnerait la paix et même l'essentiel de ce qui la garantit : la dignité de tous et la justice pour tous.

F. Dufoing

Lettre de Simone Weil à Georges Bernanos

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Monsieur,

Quelque ridicule qu'il y ait à écrire à un écrivain, qui est toujours, par la nature de son métier, inondé de lettres, je ne puis m'empêcher de le faire après avoir lu Les Grands Cimetières sous la lune. Non que ce soit la première fois qu'un livre de vous me touche, le Journal d'un curé de campagne est à mes yeux le plus beau, du moins de ceux que j'ai lus, et véritablement un grand livre. Mais si j'ai pu aimer d'autres de vos livres, je n'avais aucune raison de vous importuner en vous l'écrivant. Pour le dernier, c'est autre chose ; j'ai eu une expérience qui répond à la vôtre, quoique bien plus brève, moins profonde, située ailleurs et éprouvée, en apparence - en apparence seulement -, dans un tout autre esprit.

Je ne suis pas catholique, bien que, - ce que je vais dire doit sans doute sembler présomptueux à tout catholique, de la part d'un non-catholique, mais je ne puis m'exprimer autrement - bien que rien de catholique, rien de chrétien ne m'ait jamais paru étranger. Je me suis dit parfois que si seulement on affichait aux portes des églises que l'entrée est interdite à quiconque jouit d'un revenu supérieur à telle ou telle somme, peu élevée, je me convertirais aussitôt. Depuis l'enfance, mes sympathies se sont tournées vers les groupements qui se réclamaient des couches méprisées de la hiérarchie sociale, jusqu'à ce que j'aie pris conscience que ces groupements sont de nature à décourager toutes les sympathies. Le dernier qui m'ait inspiré quelque confiance, c'était la CNT espagnole. J'avais un peu voyagé en Espagne - assez peu - avant la guerre civile, mais assez pour ressentir l'amour qu'il est difficile de ne pas éprouver envers ce peuple ; j'avais vu dans le mouvement anarchiste l'expression naturelle de ses grandeurs et de ses tares, de ses aspirations les plus et les moins légitimes. La CNT, la FAI étaient un mélange étonnant, où on admettait n'importe qui, et où, par suite, se coudoyaient l'immoralité, le cynisme, le fanatisme, la cruauté, mais aussi l'amour, l'esprit de fraternité, et surtout la revendication de l'honneur si belle chez les hommes humiliés ; il me semblait que ceux qui venaient là animés par un idéal l'emportaient sur ceux que poussait le goût de la violence et du désordre. En juillet 1936, j'étais à Paris. Je n'aime pas la guerre ; mais ce qui m'a toujours fait le plus horreur dans la guerre, c'est la situation de ceux qui se trouvent à l'arrière. Quand j'ai compris que, malgré mes efforts, je ne pouvais m'empêcher de participer moralement à cette guerre, c'est à dire de souhaiter tous les jours, toutes les heures, la victoire des uns, la défaite des autres, je me suis dit que Paris était pour moi l'arrière, et j'ai pris le train pour Barcelone dans l'intention de m'engager. C'était au début d'août 1936.

Un accident m'a fait abréger par force mon séjour en Espagne. J'ai été quelques jours à Barcelone ; puis en pleine campagne aragonaise, au bord de l'Ebre, à une quinzaine de kilomètres de Saragosse, à l'endroit même où récemment les troupes de Yagüe ont passé l'Ebre ; puis dans le palace de Sitgès transformé en hôpital ; puis de nouveau à Barcelone ; en tout à peu près deux mois. J'ai quitté l'Espagne malgré moi et avec l'intention d'y retourner : par la suite, c'est volontairement que je n'en ai rien fait. Je ne sentais plus aucune nécessité intérieure de participer à une guerre qui n'était plus, comme elle m'avait paru être au début, une guerre de paysans affamés contre les propriétaires terriens et un clergé complice des propriétaires, mais une guerre entre la Russie, l'Allemagne et l'Italie.

J'ai reconnu cette odeur de guerre civile, de sang et de terreur que dégage votre livre ; je l'avais respirée. Je n'ai rien vu ni entendu, je dois le dire, qui atteigne tout à fait l'ignominie de certaines des histoires que vous racontez, ces meurtres de vieux paysans, ces « ballilas » faisant courir des vieillards à coups de matraques. Ce que j'ai entendu suffisait pourtant. J'ai failli assister à l'exécution d'un prêtre ; pendant les minutes d'attente, je me demandais si j'allais regarder simplement, ou me faire fusiller moi-même en essayant d'intervenir ; je ne sais pas encore ce que j'aurais fait si un hasard heureux n'avait empêcher l'exécution.

Combien d'histoires se pressent sous ma plume... Mais ce serait trop long ; à quoi bon? Une seule suffira. J'étais à Sitgès quand sont revenus, vainqueurs, les miliciens de l'expédition de Majorque. Ils avaient été décimés. Sur quarante jeunes garçons partis de Sitgès, neuf étaient morts. On ne le sut qu'au retour des trentes et un autres. La nuit même qui suivit, on fit neuf expéditions punitives, on tua neuf fascistes ou soi-disant tels, dans cette petite ville où, en juillet, il ne s'était rien passé. Parmi ces neuf, un boulanger d'une trentaine d'années, dont le crime était, m'a-t-on dit, d'avoir appartenu à la milice des « somaten » ; son vieux père, dont il était le seul enfant et le seul soutien, devint fou. Une autre encore : en Aragon, un petit groupe international de vingt-deux miliciens de tous pays prit, après un léger engagement, un jeune garçon de quinze ans, qui combattait comme phalangiste. Aussitôt pris, tout tremblant d'avoir vu tuer ses camarades à ses côtés, il dit qu'on l'avait enrôlé de force. On le fouilla, on trouva sur lui une médaille de la Vierge et une carte de phalangiste ; on l'envoya à Durruti, chef de la colonne, qui, après lui avoir exposé pendant une heure les beautés de l'idéal anarchiste, lui donna le choix entre mourir et s'enrôler immédiatement dans les rangs de ceux qui l'avaient fait prisonnier, contre ses camarades de la veille. Durruti donna à l'enfant vingt-quatre heures de réflexion ; au bout de vingt-quatre heures, l'enfant dit non et fut fusillé. Durruti était pourtant à certains égards un homme admirable. La mort de ce petit héros n'a jamais cessé de me peser sur la conscience, bien que je ne l'aie apprise qu'après coup. Ceci encore : dans un village que rouges et blancs avaient pris, perdu, repris, reperdu je ne sais combien de fois, les miliciens rouges, l'ayant repris définitivement, trouvèrent dans les caves une poignée d'êtres hagards, terrifiés et affamés, parmi lesquels trois ou quatre jeunes hommes. Ils raisonnèrent ainsi : si ces jeunes hommes, au lieu d'aller avec nous la dernière fois que nous nous sommes retirés, sont restés et ont attendu les fascistes, c'est qu'ils sont fascistes. Ils les fusillèrent donc immédiatement, puis donnèrent à manger aux autres et se crurent très humains. Une dernière histoire, celle-ci de l'arrière : deux anarchistes me racontèrent une fois comment, avec des camarades, ils avaient pris deux prêtres ; on tua l'un sur place, en présence de l'autre, d'un coup de revolver, puis, on dit à l'autre qu'il pouvait s'en aller. Quand il fut à vingt pas, on l'abattit. Celui qui me racontait l'histoire était très étonné de ne pas me voir rire.

A Barcelone, on tuait en moyenne, sous forme d'expéditions punitives, une cinquantaine d'hommes par nuit. C'était proportionnellement beaucoup moins qu'à Majorque, puisque Barcelone est une ville de près d'un million d'habitants ; d'ailleurs il s'y était déroulé pendant trois jours une bataille de rues meurtrière. Mais les chiffres ne sont peut-être pas l'essentiel en pareille matière. L'essentiel, c'est l'attitude à l'égard du meurtre. Je n'ai jamais vu, ni parmi les Espagnols, ni même parmi les Français venus soit pour se battre, soit pour se promener - ces derniers le plus souvent des intellectuels ternes et inoffensifs - je n'ai jamais vu personne exprimer même dans l'intimité de la répulsion, du dégoût ou seulement de la désapprobation à l'égard du sang inutilement versé. Vous parlez de la peur. Oui, la peur a eu une part dans ces tueries ; mais là où j'étais, je ne lui ai pas vu la part que vous lui attribuez. Des hommes apparemment courageux - il en est un au moins dont j'ai de mes yeux constaté le courage - au milieu d'un repas plein de camaraderie, racontaient avec un bon sourire fraternel combien ils avaient tué de prêtres ou de « fascistes » - terme très large. J'ai eu le sentiment, pour moi, que lorsque les autorités temporelles et spirituelles ont mis une catégorie d'êtres humains en dehors de ceux dont la vie a un prix, il n'est rien de plus naturel à l'homme que de tuer. Quand on sait qu'il est possible de tuer sans risquer ni châtiment ni blâme, on tue ; ou du moins on entoure de sourires encourageants ceux qui tuent. Si par hasard on éprouve d'abord un peu de dégoût, on le tait et bientôt on l'étouffe de peur de paraître manquer de virilité. Il y a là un entraînement, une ivresse à laquelle il est impossible de résister sans une force d'âme qu'il me faut bien croire exceptionnelle, puisque je ne l'ai rencontré nulle part. J'ai rencontré en revanche des Français paisibles, que jusque-là je ne méprisais pas, qui n'auraient pas eu l'idée d'aller eux-même tuer, mais qui baignaient dans cette atmosphère imprégnée de sang avec un visible plaisir. Pour ceux-là je ne pourrai jamais avoir à l'avenir aucune estime.

Une telle atmosphère efface aussitôt le but même de la lutte. Car on ne peut formuler le but qu'en le ramenant au bien public, au bien des hommes - et les hommes sont de nulle valeur. Dans un pays où les pauvres sont, en très grande majorité, des paysans, le mieux-être des paysans doit être un but essentiel pour tout groupement d'extrême gauche ; et cette guerre fut peut-être avant tout, au début, une guerre pour et contre le partage des terres. Eh bien, ces misérables et magnifiques paysans d'Aragon, restés si fiers sous les humiliations, n'étaient même pas pour les miliciens un objet de curiosité. Sans insolences, sans injures, sans brutalité - du moins je n'ai rien vu de tel, et je sais que vol et viol, dans les colonnes anarchistes, étaient passibles de la peine de mort - un abîme séparait les hommes armés de la population désarmée, un abîme tout à fait semblable à celui qui sépare les pauvres et les riches. Cela se sentait à l'attitude toujours un peu humble, soumise, craintive des uns, à l'aisance, la désinvolture, la condescendance des autres.

On part en volontaire, avec des idées de sacrifice, et on tombe dans une guerre qui ressemble à une guerre de mercenaires, avec beaucoup de cruautés en plus et le sens des égards dus à l'ennemi en moins. Je pourrais prolonger indéfiniment de telles réflexions, mais il faut se limiter. Depuis que j'ai été en Espagne, que j'entends, que je lis toutes sortes de considérations sur l'Espagne, je ne puis citer personne, hors vous seul, qui, à ma connaissance, ait baigné dans l'atmosphère de la guerre espagnole et y ait résisté. Vous êtes royaliste, disciple de Drumont - que m'importe? Vous m'êtes plus proche, sans comparaison, que mes camarades des milices d'Aragon - ces camarades que, pourtant, j'aimais.

Ce que vous dites du nationalisme, de la guerre, de la politique extérieure française après la guerre m'est également allé au coeur. J'avais dix ans lors du traité de Versailles. Jusque-là j'avais été patriote avec toute l'exaltation des enfants en période de guerre. La volonté d'humilier l'ennemi vaincu, qui déborda partout à ce moment (et dans les années qui suivirent) d'une manière si répugnante, me guérit une fois pour toutes de ce patriotisme naïf. Les humiliations infligées par mon pays me sont plus douloureuses que celles qu'il peut subir. Je crains de vous avoir importuné par une lettre aussi longue. Il ne me reste qu'à vous exprimer ma vive admiration.

Simone Weil

Simone Weil, Lettre à Georges Bernanos 1938, in Œuvres, Quarto Gallimard

Question d'honneur, tout simplement

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« Les droites françaises se sont déshonorées et M. Bernanos, royaliste et catholique, s'est vu dans l'obligation de rompre avec elles. Question d'honneur, tout simplement.

C'est ce qu'il nous conte admirablement dans des pages éblouissantes et convaincantes que devraient méditer les gens de droite, s'ils étaient capables de méditation. Mais ils ne comptent guère, dans leurs gros doigts, que leurs gros sous et l'intelligence n'est pas leur fort. »

Revue communiste Regards, 4 août 1938, sur Les Grands Cimetières sous la lune

Le vrai nationaliste (français)🐓🇨🇵

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Le vrai nationaliste français se fiche du sort des Israéliens et des Palestiniens et ne regarde que l'intérêt de la France et des Français (de souche et assimilés) : les pro-palestiniens aujourd'hui, c'est la gauche, les Arabes, les immigrés, les migrants, les musulmans, les islamo-gauchistes et l'anti-France, bref l'islam et la barbarie ; les pro-israéliens, c'est la droite, les Juifs, les Français, les catholiques, la France et la chrétiente, bref l'Occident et la civilisation.

Voilà pourquoi, quoique plutôt antisémite atavique, parfois par antijudaïsme catholique, il est cependant pro-sioniste et pro-israélien, et philosémite par judéo-christianisme entendu comme adversaire de l'islam(isme).

«Le FN a toujours été sioniste, a toujours été pour la création d’Israël. J’ai toujours défendu sa sécurité», a clamé la chef de file des députés nationalistes. Laquelle ne peut «pas dire l’inverse que les relations entre Jean-Marie Le Pen et la communauté juive ont été extrêmement difficiles.» «Il a aggravé cette difficulté en multipliant des provocations qui ont amené à notre séparation politique», a reconnu l’ancienne candidate à la présidentielle en référence à l’exclusion très mouvementée de son père en 2015 après son nouvelle sortie relative au «détail de l’histoire» des chambres à gaz.

Perdre la foi

Icare

Pour ce qui est de ma perte de foi, ça a été comme si tout était d'un coup mis à nu, tout éclairé d'une lumière crue - et d'abord aveuglante. Toute la doublure du monde s'est évanouie, c'était comme si des écailles tombaient de mes yeux. Le ciel s'est comme fendu en deux, le rideau du Temple s'est déchiré - et derrière il n'y avait rien, ou plutôt il n'y avait que l'air, le mur, le sol, la matière. J'ai d'abord été estomaqué, aveuglé, étourdi, j'ai perdu pied, ça a été une véritable révélation, non pas au sens d'une parole surajoutée au monde, mais au sens d'un dévoilement soudain de la réalité, nue, crue, seule, sans rien de plus. Une véritable apocalypse, au sens strict. Une véritable vision - non pas une vision en plus de la réalité, mais une vision de la seule réalité. Bien sûr, ça a été difficile, critique, j'ai tenté de me raccrocher à ma foi, de m'agripper aux lambeaux déchirés, le sol s'est dérobé sous mes pieds, mais en fait, c'était juste un tapis, un parquet, un revêtement, et dessous il y avait le vrai sol, le roc et le sable, le réel. Et puis lâcher prise, acceptation, abandon, saut dans l'abîme, plongée, immersion - et en fait, non, je ne tombais pas de si haut, j'ai retrouvé le monde, la vie, la réalité, plus simple, dégagée, et moi-même, plus simple, dégagé, délivré, libéré... ça a été une véritable libération en fait, une délivrance de tout un fatras inutile de croyances... Eveil, illumination - fiat lux, et lux fuit ! J'ai cru sombrer dans l'abîme, et je suis juste tombé sur le cul ! Retour au réel !

Ave Gaia

Ave Gaia

Je te salue, ô Terre, pleine de grâces, le Soleil est avec toi, tu es bénie entre tous les astres, et la Vie, fruit de tes entrailles, est bénie. 

Terre sacrée, Mère de toute Vie, soutiens nos pas et les voies de tous les vivants, maintenant et jusqu'à l'heure de notre mort. 

Amen.

L'athéisme actuel

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Henri Le Saux / Swami Abhishiktananda :

"Eglises et religions sont liées à l'ère néolithique qui s'achève. Elles ne dureront plus que le temps de préparer l'homme à cette totale prise en main de lui-même. L'athéisme actuel, une nécessité de l'évolution religieuse de l'homme", La montée au fond du coeur, 1967, p. 375.

L'incroyance n'est pas une croyance contraire

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La croyance et l'incroyance ne sont pas des positions équivalentes : d'un côté le croyant ajoute au réel sans preuve des entités fictionnelles qu'il tient pour réelles, de l'autre l'incroyant refuse d'ajouter quoi que ce soit au réel et de tenir quelque entité fictionnelle que ce soit pour réelle - il se rappelle et rappelle sans cesse que ce sont des fictions, des croyances.

Il n'y a donc pas équivalence entre la croyance et l'incroyance.

L'incroyance n'est pas une croyance contraire mais le contraire de la croyance.

L'incroyance est une croyance consciente de l'être.

Eden Ecologie ?

"Si vous observez attentivement les croyances, vous voyez que l'environnementalisme est en fait une parfaite remouture, au XXe siècle, des croyances traditionnelles et des mythes judéo-chrétiens. Il y a un Eden originel, un paradis, un état de grâce et une union avec la nature, il y a une chute de la grâce dans un état de pollution pour avoir consommé de l'arbre de la connaissance, et à la suite de nos actions il y a un jour du jugement à venir pour nous tous. Nous sommes tous pécheurs en matière d'énergie, condamnés à mourir, à moins que ous cherchions le salut, qui est maintenant appelé la durabilité. La durabilité est le salut dans "l'Eglise" de l'environnement. Tout comme les aliments biologiques sont sa consommation eucharistique, cette nourriture sans pesticides que consomment les personnes bonnes qui ont les bonnes croyances."

MIchael Crichton, "Environmentalism as Religion"

Conversation :

- Déjà lu quelque part cette citation. Facile. On a fait ça avec le communisme aussi, avec le nazisme, avec… Tu prends la même phrase, avec prolétariat, société sans classe, race supérieure, peuple élu…, ça a été fait mille fois ad nauseam. Ce n'est pas entièrement faux d'ailleurs, mais c'est un peu comme la rivalité mimétique de Girard : l'abus nuit à l'us... Je l'ai moi-même fait mille fois quand j'étais christianocentrique. Et l'écologie bouddhique ? ça marche aussi ?

- C'est normal que ça se répète, il n'y a qu'un Dieu et beaucoup d'idoles qui cherchent à le singer. Ca ne veut pas dire qu'il faut arrêter de les débusquer. Communisme, nazisme, précise. Par exemple, à quoi on communie ?

- Monothéisme, monomanie… A la classe, à la race… Lire Voegelin etc. Et au meurtre et au sacrifice bien sûr, comme dans toute religion qui se respecte…

- "Le besoin d'idoles chez l'homme est tellement fort qu'il vient à en tailler dans le bois de la vraie croix" (Thibon) Plus les générations se suivent, plus on tend vers l'Antéchrist, et plus les idoles ressembleront positivement à Dieu (à ce qu'il a créé de beau, de bien, de bon, à la Nature notamment). Point de vue d'un chrétien, les athées ne sont pas obligés d'adhérer.

- Merci. Seules les huîtres adhèrent, comme disait Valéry. Même au bois de la croix, pour reprendre ton point de vue christianocentré. Dieu est une idole parmi d'autres, il est même l'Idole par excellence, et la Foi est la plus grande idolâtrie qui soit, la plus fanatique... Toujours ce même christianocentrisme délirant qui s'exprime dans ces citations - Crichton, Thibon, Chesterton…, Apollinaire encore, "les christs inférieurs des obscures espérances", etc., cette façon de ramener tout le temps à soi, égocentrisme permanent et délirant, forme embrassante (et embarrassante ) de fanatisme et d'ethnocentrisme. Comme si le monde tournait autour de la croix… Il faut sortir un peu : il y a d'autres peuples, d'autres religions, d'autres mystiques, d'autres philosophies, d'autres pensées, d'autres histoires, d'autres récits, d'autres mythologies… Je ne renie d'ailleurs pas la mythologie chrétienne qui est constitutive de notre identité européenne et je pense qu'il faudrait l'étudier à l'école - la Bible notamment - avec nos autres mythologies et pensées fondatrices - la mythologie et philosophie grecque notamment. Mais s'ouvrir aussi aux autres pensées, religions, philosophies, et admettre surtout qu'elle puisse échapper au christianisme, ne pas chercher à les faire entrer de force dans le christianisme. Rimbaud avait bien saisi et balayé d'un trait ce réflexe autocentré des chrétiens : "Les gens d'Eglise diront : "C'est compris."' Eh bien justement non, ce n'est pas compris, et c'est bien ce que Rimbaud a écrit et montré toute sa vie et par sa vie. Rimbaud échappe toujours, aux gens d'Eglise compris, car ceux qui disent "c'est compris" n'ont précisément rien compris - ces demi-habiles. Tout est mystère, la part du mystère dans l'humain, dans la vivant, dans l'univers est bien plus grande que ce que veulent admettre les croyants et religieux de tout poil qui veulent un schéma explicatif totalisant et unique - ce en quoi il y a bien une parenté entre religion et idéologie comme "religion séculière" mais pas forcément dans le seul sens où l'entendait Voegelin mais au sens marxien également des religions comme idéologies totales et totalisantes. J'ai été aussi libéré de la facilité du "tout-idolâtrique" dans laquelle j'ai aussi tant donné quand j'étais chrétien. Tu peux aussi citer Chesterton, "les idées chrétiennes devenues folles", " l'homme qui ne croit plus en Dieu croit en n'importe quoi", etc., ad nauseam - j'ai déjà donné ! Quand tu sors de ce point de vue christianautiste totalisant (totalitaire ?), tu es vraiment libéré de sacrés œillères - ça doit faire un peu la même chose de cesser d'être musulman, ou juif… Après je ne suis pas antichrétien, je suis chrétien moi-même, de valeur, de culture, chrétien agnostique, athée, tolstoïen… Chrétien ouvert, chrétien bouddhiste et taoïste comme François Cheng, chrétien panthéiste, naturaliste, spinoziste… Bref, pas chrétien diront les catholiques, les dogmatiques... Mais tu es toi-même dans la tentation asiate, bouddhiste, taoïste, shinto… Même si le christianisme est ta culture, ta religion, ta foi… Ton côté "Dieu par la face Nord". J'ai toujours été dans cette tentation - j'y suis entré, j'y ai succombé, et je m'en porte très bien - bien mieux même ! Quelques années de crise de foi où j'ai tenté de me raccrocher, puis j'ai lâché prise… les mains ouvertes... (devant toi Seigneur ?😁) Je suis devenu quasi bouddhiste lors de mon premier séjour en Himalaya en 1999 et ça m'est toujours resté depuis. J'ai toujours dit depuis que la véritable grande alternative religieuse - qui me travaillait - était entre bouddhisme et christianisme - plutôt que d'alternative, je parlerai plutôt de synthèse, Jésus Bouddha d'Occident, façon taoïsme christique de François Cheng. J'étais chrétien bouddhiste, priant avec mes enfants saint Josaphat, et gandhien, me voici bouddhiste chrétien... Je sais que tout cela te travaille aussi. La voie du sabre, du thé, du pinceau, du vide...

- JP Roux dit que s'il n'avait pas été chrétien, il aurait été zoroastrien. Oui, je reste christocentré, mais de moins en moins latino-romano-centré. La formulation occidentale du Christ, pas n'être pas moins vraie, est réductrice et sans doute inadaptée à une bonne partie du monde, gommant les richesses séculaires des traditions orientales. Le travail de sape des jésuites... Mais j'ai bcp aimé le dernier livre de Grousset, "Bilan de l'Histoire", écrit juste avant sa mort, pcq il fait une synthèse de l'histoire mondiale et des grandes traditions, qu'il conclue par un acte de foi (chrétien) absolument bouleversant.

- Je ne suis plus christocentré : je pense que Jésus a vécu et montré comment vivre dans son contexte religieux autant que possible dans l'Ouvert, dans l'ouverture au mystère qu'il nomme Père. En ce sens je reste chrétien, ou libre disciple du Christ, mais aussi bouddhiste, taoïste, jaïn, spinoziste… Je trouve que les Eglises comme toutes les religions organisées ont tendance à refermer ou du moins resserrer l'ouverture même si elles sont travaillées par la tension entre fermeture (humaine trop humaine) et ouverture (l'Esprit - qui souffle où il veut, le Tao, etc.) et à figer l'ouverture de leurs fondateurs dans une posture trop dogmatique, figée, fermée. Jésus est l'ouverture même qui fait voler tout le judaïsme du temple et de la synagogue, tout les pharisianisme, toute la religion !

- Stat Crux, dum volvitur orbis ! "— prêtre ! Sur mon lit d'hôpital, l'odeur de l'encens m'est revenue si puissante ; gardien des aromates sacrés, confesseur, martyr..."

- Où ça ? - Tentation et illusion de solution qu'il repousse dans la Saison et la suite.

- Partout - et qu'il retrouve finalement sur son lit d'hôpital à Marseille. "Jusqu’à ce que dans ce port suprême où tu demandas à ta soeur de te conduire, Tu entendes une voix disant: Rimbaud, pensais-tu toujours me fuir? "

- Dans ton imagination peut-être - on ne sait pas vraiment ce qui est arrivé à la fin : mystère - quoi qu'en dise Claudel...

Ecocratie ?

"Chaque jour apporte la preuve, tant au niveau local que global, de l'incapacité de fait de l'humanité à s'autoréguler.

L'écocratie est inévitable - du local au mondial, et inversement.

Au mieux, écosocialisme voire écocommunisme.

Au pire, écolibéralisme voire écofascisme.

Si le prochain totalitarisme est écologique, s'il faut en passer par un totalitarisme écologique, j'en serai.

Ecologie totale - et même totalitaire, si nécessaire."

Métathéisme

Suis-je athée ? Plutôt métathée - je n'exclus pas Dieu, il s'est évanoui pour moi, il est parti tout seul...

Je ne suis pas athée - je suis métathée !

Après, mes tentatives d'élucidation, de compréhension, ou même de rationalisation de cette expérience, ainsi que d'expression de cette dernière, c'est autre chose - expérience qui ne peut se réduire à son expression, souvent maladroite.

En tout cas, les échanges providentiels avec certains m'ont fait beaucoup de bien - j'en suis ressorti apaisé, comme débarrassé des dernières scories du combat spirituel.

Abandon. Lâcher prise. Fin de la lutte avec l'ange. Sortie de la nuit. Aube. Fil paisible de l'eau.

Athéisme ? Même pas, même plus. Pas de -isme en tout cas. A-thée, peut-être. Et encore, trop privatif. Je ne me sens plus concerné par ces mots, plus concerné pas cette question, en fait.

Dieu n'est certes pas une évidence, il n'est même plus une question pour moi. La question s'est évanouie avec lui. Post-théisme, métathéisme.

Reste la liberté - que l'on peut appeler "Dieu", si on y tient.

Voilà où j'en suis aujourd'hui.

Postchristianisme et métathéisme.

La question

Qu'est-ce qui agrandit la vie ?

C'est ça, la question.

Qu'est-ce qui agrandit, élargit, approfondit la vie ?

What else ?

(La question ne se pose pas en général mais à chacun - et il n'y a pas une seule réponse.)

La fin est dans les moyens

La fin est dans les moyens comme l'arbre est dans la graine

Selon ma philosophie de la vie, la fin et les moyens sont des termes convertibles.

On entend dire "les moyens, après tout, ne sont que des moyens". Moi, je dirais plutôt: "tout, en définitive, est dans les moyens". La fin vaut ce que valent les moyens. Il n'existe aucune cloison entre ces deux catégories. En fait, le Créateur ne nous permet d'intervenir que dans le choix des moyens. Lui seul décide de la fin. Et seule l'analyse des moyens permet de dire sui le but a été atteint avec succès. Cette proposition n'admet aucune exception.

L'ahimsâ et la vérité sont si étroitement imbriquées qu'il est impossible de démêler l'une de l'autre. Elle sont comme les deux côté d'une même pièce de monnaie ou plutôt d'une feuille de métal sans épaisseur ni inscription. Comment distinguer alors le revers de l'avers? Quoi qu'il en soit, l'ahimsâ représente les moyens, ils doivent toujours être à notre portée. Aussi l'ahimsâ est-elle notre devoir suprême. Si on s'occupe des moyens, tôt ou tard on atteint la fin. Une fois qu'on a saisi ce point, la victoire finale ne saurait faire de doute...

Votre grande erreur est de croire qu'il n'y a aucun rapport entre la fin et les moyens. Cette erreur a fait commettre des crimes sans nom même à des gens qui étaient considérés comme religieux. C'est comme si vous prétendiez que d'une mauvaise herbe il peut sortir une rose. Le seul moyen approprié pour traverser l'océan est de prendre un bateau. Si, à la place, vous preniez une voiture, vous ne tarderiez pas à sombrer. Selon une maxime digne de considération, "le disciple prend le modèle sur le Dieu qu'il adore". On a tronqué les sens de ces mots et on s'est fourvoyé dans l'erreur. Les moyens sont comme la graine et la fin comme l'arbre. Le rapport est aussi inéluctable entre la fin et les moyens qu'entre l'arbre et la semence.

Gandhi, Tous les hommes sont frères, Gallimard, p. 147-149.

Une maladie de héros

"Ce déséquilibre qui a pour nom mélancolie n'est pas le lot des caractères bas ou petits, au contraire : il s'agit pour ainsi dire d'une maladie de héros, consistant à dire des vérités d'une façon généralement énergique, sans tenir compte ni des convenances ni de la mesure."

Aulu-Gelle, Nuits attiques, XVIII, 3-4

Le poids le plus lourd

Le poids le plus lourd. – Que dirais-tu si un jour, si une nuit, un démon se glissait jusque dans ta solitude la plus reculée et te dise : « Cette vie telle que tu la vis maintenant et que tu l’as vécue, tu devras la vivre encore une fois et d’innombrables fois ; et il n’y aura rien de nouveau en elle, si ce n’est que chaque douleur et chaque plaisir, chaque pensée et chaque gémissement et tout ce qu’il y a d’indiciblement petit et grand dans ta vie devront revenir pour toi, et le tout dans le même ordre et la même succession – cette araignée-là également, et ce clair de lune entre les arbres, et cet instant-ci et moi-même. L’éternel sablier de l’existence ne cesse d’être renversé à nouveau. – et toi avec lui, ô grain de poussière de la poussière ! » - Ne te jetterais-tu pas sur le sol, grinçant des dents et maudissant le démon qui te parlerait de la sorte ? Ou bien te serait-il arrivé de vivre un instant formidable où tu aurais pu lui répondre : tu es un dieu, et jamais je n’entendis choses plus divines ! » Si cette pensée s’emparait de toi, elle te métamorphoserait, faisant de toi tel que tu es, un autre être, et peut-être t’écraserait. La question posée à propos de tout et de chaque chose : « Voudrais-tu de ceci encore une fois et d’innombrables fois ? » pèserait comme le poids le plus lourd sur ton action ! Ou combien ne te faudrait-il pas témoigner de bienveillance envers toi-même et la vie pour ne désirer plus rien que cette dernière éternelle confirmation, cette dernière éternelle sanction ?

Friedrich NIETZSCHE, Le Gai Savoir, fragment 341

Bonne année !

Aujourd’hui je permets à tout le monde d’exprimer son désir et sa pensée la plus chère : et, moi aussi, je vais dire ce qu’aujourd’hui je souhaite de moi-même et quelle est la pensée que, cette année, j’ai prise à cœur la première — quelle est la pensée qui devra être dorénavant pour moi la raison, la garantie et la douceur de vivre ! Je veux apprendre toujours davantage à considérer comme la beauté ce qu’il y a de nécessaire dans les choses : c’est ainsi que je serai de ceux qui rendent belles les choses. Amor fati : que cela soit dorénavant mon amour. Je ne veux pas entrer en guerre contre la laideur. Je ne veux pas accuser, je ne veux même pas accuser les accusateurs. Détourner mon regard, que ce soit là ma seule négation ! Et, somme toute, pour voir grand : je veux, quelle que soit la circonstance, n’être une fois qu’affirmateur !

Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir, IV, 276, "Saint Janvier", Gênes, janvier 1882.

Le ciel nous est commun

"Nous voyons les mêmes étoiles, le ciel nous est commun, un même univers nous enveloppe ; quelle importance, la sagesse au moyen de laquelle chacun recherche le vrai ? On ne peut parvenir par un seul chemin à un si grand mystère."

Symmaque, Rapports, III, 10 (à Valentinien II)

Joyeux Noël !

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"Madre Selva", gravure sur bois de l'artiste colombien Guache (Oscar González).

Pourquoi nous ne sommes pas patriotes

"Qui a pays n'a que faire de patrie. (...) Le nom de patrie est obliquement entré et venu en France nouvellement avec les autres corruptions italiques."

Joachim du Bellay, La Deffence et Illustration de la Langue Francoyse, 1549

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