"Si vous observez attentivement les croyances, vous voyez que l'environnementalisme est en fait une parfaite remouture, au XXe siècle, des croyances traditionnelles et des mythes judéo-chrétiens. Il y a un Eden originel, un paradis, un état de grâce et une union avec la nature, il y a une chute de la grâce dans un état de pollution pour avoir consommé de l'arbre de la connaissance, et à la suite de nos actions il y a un jour du jugement à venir pour nous tous. Nous sommes tous pécheurs en matière d'énergie, condamnés à mourir, à moins que ous cherchions le salut, qui est maintenant appelé la durabilité. La durabilité est le salut dans "l'Eglise" de l'environnement. Tout comme les aliments biologiques sont sa consommation eucharistique, cette nourriture sans pesticides que consomment les personnes bonnes qui ont les bonnes croyances."

MIchael Crichton, "Environmentalism as Religion"

Conversation :

- Déjà lu quelque part cette citation. Facile. On a fait ça avec le communisme aussi, avec le nazisme, avec… Tu prends la même phrase, avec prolétariat, société sans classe, race supérieure, peuple élu…, ça a été fait mille fois ad nauseam. Ce n'est pas entièrement faux d'ailleurs, mais c'est un peu comme la rivalité mimétique de Girard : l'abus nuit à l'us... Je l'ai moi-même fait mille fois quand j'étais christianocentrique. Et l'écologie bouddhique ? ça marche aussi ?

- C'est normal que ça se répète, il n'y a qu'un Dieu et beaucoup d'idoles qui cherchent à le singer. Ca ne veut pas dire qu'il faut arrêter de les débusquer. Communisme, nazisme, précise. Par exemple, à quoi on communie ?

- Monothéisme, monomanie… A la classe, à la race… Lire Voegelin etc. Et au meurtre et au sacrifice bien sûr, comme dans toute religion qui se respecte…

- "Le besoin d'idoles chez l'homme est tellement fort qu'il vient à en tailler dans le bois de la vraie croix" (Thibon) Plus les générations se suivent, plus on tend vers l'Antéchrist, et plus les idoles ressembleront positivement à Dieu (à ce qu'il a créé de beau, de bien, de bon, à la Nature notamment). Point de vue d'un chrétien, les athées ne sont pas obligés d'adhérer.

- Merci. Seules les huîtres adhèrent, comme disait Valéry. Même au bois de la croix, pour reprendre ton point de vue christianocentré. Dieu est une idole parmi d'autres, il est même l'Idole par excellence, et la Foi est la plus grande idolâtrie qui soit, la plus fanatique... Toujours ce même christianocentrisme délirant qui s'exprime dans ces citations - Crichton, Thibon, Chesterton…, Apollinaire encore, "les christs inférieurs des obscures espérances", etc., cette façon de ramener tout le temps à soi, égocentrisme permanent et délirant, forme embrassante (et embarrassante ) de fanatisme et d'ethnocentrisme. Comme si le monde tournait autour de la croix… Il faut sortir un peu : il y a d'autres peuples, d'autres religions, d'autres mystiques, d'autres philosophies, d'autres pensées, d'autres histoires, d'autres récits, d'autres mythologies… Je ne renie d'ailleurs pas la mythologie chrétienne qui est constitutive de notre identité européenne et je pense qu'il faudrait l'étudier à l'école - la Bible notamment - avec nos autres mythologies et pensées fondatrices - la mythologie et philosophie grecque notamment. Mais s'ouvrir aussi aux autres pensées, religions, philosophies, et admettre surtout qu'elle puisse échapper au christianisme, ne pas chercher à les faire entrer de force dans le christianisme. Rimbaud avait bien saisi et balayé d'un trait ce réflexe autocentré des chrétiens : "Les gens d'Eglise diront : "C'est compris."' Eh bien justement non, ce n'est pas compris, et c'est bien ce que Rimbaud a écrit et montré toute sa vie et par sa vie. Rimbaud échappe toujours, aux gens d'Eglise compris, car ceux qui disent "c'est compris" n'ont précisément rien compris - ces demi-habiles. Tout est mystère, la part du mystère dans l'humain, dans la vivant, dans l'univers est bien plus grande que ce que veulent admettre les croyants et religieux de tout poil qui veulent un schéma explicatif totalisant et unique - ce en quoi il y a bien une parenté entre religion et idéologie comme "religion séculière" mais pas forcément dans le seul sens où l'entendait Voegelin mais au sens marxien également des religions comme idéologies totales et totalisantes. J'ai été aussi libéré de la facilité du "tout-idolâtrique" dans laquelle j'ai aussi tant donné quand j'étais chrétien. Tu peux aussi citer Chesterton, "les idées chrétiennes devenues folles", " l'homme qui ne croit plus en Dieu croit en n'importe quoi", etc., ad nauseam - j'ai déjà donné ! Quand tu sors de ce point de vue christianautiste totalisant (totalitaire ?), tu es vraiment libéré de sacrés œillères - ça doit faire un peu la même chose de cesser d'être musulman, ou juif… Après je ne suis pas antichrétien, je suis chrétien moi-même, de valeur, de culture, chrétien agnostique, athée, tolstoïen… Chrétien ouvert, chrétien bouddhiste et taoïste comme François Cheng, chrétien panthéiste, naturaliste, spinoziste… Bref, pas chrétien diront les catholiques, les dogmatiques... Mais tu es toi-même dans la tentation asiate, bouddhiste, taoïste, shinto… Même si le christianisme est ta culture, ta religion, ta foi… Ton côté "Dieu par la face Nord". J'ai toujours été dans cette tentation - j'y suis entré, j'y ai succombé, et je m'en porte très bien - bien mieux même ! Quelques années de crise de foi où j'ai tenté de me raccrocher, puis j'ai lâché prise… les mains ouvertes... (devant toi Seigneur ?😁) Je suis devenu quasi bouddhiste lors de mon premier séjour en Himalaya en 1999 et ça m'est toujours resté depuis. J'ai toujours dit depuis que la véritable grande alternative religieuse - qui me travaillait - était entre bouddhisme et christianisme - plutôt que d'alternative, je parlerai plutôt de synthèse, Jésus Bouddha d'Occident, façon taoïsme christique de François Cheng. J'étais chrétien bouddhiste, priant avec mes enfants saint Josaphat, et gandhien, me voici bouddhiste chrétien... Je sais que tout cela te travaille aussi. La voie du sabre, du thé, du pinceau, du vide...

- JP Roux dit que s'il n'avait pas été chrétien, il aurait été zoroastrien. Oui, je reste christocentré, mais de moins en moins latino-romano-centré. La formulation occidentale du Christ, pas n'être pas moins vraie, est réductrice et sans doute inadaptée à une bonne partie du monde, gommant les richesses séculaires des traditions orientales. Le travail de sape des jésuites... Mais j'ai bcp aimé le dernier livre de Grousset, "Bilan de l'Histoire", écrit juste avant sa mort, pcq il fait une synthèse de l'histoire mondiale et des grandes traditions, qu'il conclue par un acte de foi (chrétien) absolument bouleversant.

- Je ne suis plus christocentré : je pense que Jésus a vécu et montré comment vivre dans son contexte religieux autant que possible dans l'Ouvert, dans l'ouverture au mystère qu'il nomme Père. En ce sens je reste chrétien, ou libre disciple du Christ, mais aussi bouddhiste, taoïste, jaïn, spinoziste… Je trouve que les Eglises comme toutes les religions organisées ont tendance à refermer ou du moins resserrer l'ouverture même si elles sont travaillées par la tension entre fermeture (humaine trop humaine) et ouverture (l'Esprit - qui souffle où il veut, le Tao, etc.) et à figer l'ouverture de leurs fondateurs dans une posture trop dogmatique, figée, fermée. Jésus est l'ouverture même qui fait voler tout le judaïsme du temple et de la synagogue, tout les pharisianisme, toute la religion !

- Stat Crux, dum volvitur orbis ! "— prêtre ! Sur mon lit d'hôpital, l'odeur de l'encens m'est revenue si puissante ; gardien des aromates sacrés, confesseur, martyr..."

- Où ça ? - Tentation et illusion de solution qu'il repousse dans la Saison et la suite.

- Partout - et qu'il retrouve finalement sur son lit d'hôpital à Marseille. "Jusqu’à ce que dans ce port suprême où tu demandas à ta soeur de te conduire, Tu entendes une voix disant: Rimbaud, pensais-tu toujours me fuir? "

- Dans ton imagination peut-être - on ne sait pas vraiment ce qui est arrivé à la fin : mystère - quoi qu'en dise Claudel...