"Pour ce qui est de l'interprétation de Genèse 1:28, il est clair qu'on ne peut totalement dédouaner la civilisation "judéo-chrétienne" d'une responsabilité dans la crise écologique, mais il est clair que cette interprétation (comme l'ensemble de la civilisation "judéo-chrétienne") a connu un infléchissement très fort à l'époque moderne. Par ailleurs, si la modernité scientifique, industrielle, etc., est issue de la civilisation européenne, on ne pas imputer à la seule dimension judéo-chrétienne de cette civilisation la crise écologique : la civilisation européenne est aussi bien gréco-romaine que judéo-chrétienne et on peut également l'imputer à un certain héritage gréco-romain (raison, empire, anthropocentrisme...) et notamment à une certaine reprise de cet héritage lors de la Renaissance ou de la Révolution française : mais c'est surtout l'inflexion moderne de cet héritage européen qui est en question. Il me semble que la crise écologique globale n'est tant pas due au "Croissez et multipliez" biblique, qu'à la modernité techno-industrielle qui est sortie (dans toute la polysémie du terme) de la civilisation européenne. (Par ailleurs, les Pascuans comme d'autres sociétés non chrétiennes n'ont pas eu besoin de la Bible pour connaître un effondrement écologique - cf. Jared Diamond. Ou la Chine contemporaine.)

Je crois que l'homme s'est de tout temps découpé une théologie ou une mythologie à sa mesure, et à la mesure de ces moyens : l'interprétation théologique (de ce verset biblique par exemple) me paraît au moins tout autant symptomatique que programmatique. Ce qui m'intéresse et que je défends depuis des années, c'est une interprétation écologique de la Bible (comme je défendrais une interprétation écologique de chaque grande tradition, religion, civilisation...) : il y a plus de deux milliards de chrétiens sur terre, autant essayer de les influencer en ce sens, surtout si le pape s'y met...

Je trouve intéressant cependant de montrer que le planning familial mondial est avant tout une offensive pour limiter le nombre de pauvres afin de ne pas négocier le mode de vie des riches - les émissions respectives de gaz à effet de serre de ces populations respectives étant à cet égard éclairant.

Comme l'ont rappelé les théologiens de la libération, toute théologie est contextuelle - et je suis un partisan de la théologie contextuelle, cet autre nom de la théologie de la libération que j'ai véritablement découverte en Palestine en 2009-2011. Je faisais depuis le début des années 2000 sans le savoir de la théologie contextuelle / de la libération avec ma théologie directe ou sauvage, comme la prose de Monsieur Jourdain.

L'explication mono-causale biblique de la crise écologique ne tient pas. Bien sûr, un certain dualisme chrétien est en cause, mais il me semble justement qu'il ait pris cette inflexion typiquement dualiste sous l'influence du platonisme et en interaction avec celui-ci. Ce qui est intéressant, c'est que les chrétientés orientales non occidentales (non byzantines et surtout non romaines, non grecques et surtout non latines, non platoniciennes et non aristotéliciennes) réputées les plus sémitiques ou les plus proches de l'esprit sémitique (les Eglises dites aujourd'hui orthodoxes orientales), bref les plus "bibliques" (syriaques, coptes, arméniens, éthiopiens, etc.) sont les plus éloignées de la mentalité industrielle techno-scientifique moderne et que rien de tel n'a émergé chez eux - ce qui serait contradictoire avec leur "biblisme" plus pur, non paganisé par la philosophie grecque et la culture romaine...

Bien sûr, la technè grecque n'est pas la Technique moderne, mais le "croissez et multipliez" génésique n'est pas non plus la croissance contemporaine - ce sont les transformations/mutations de ces concepts et surtout de ces réalités qui est en jeu et en cause.

(Bien sûr le "croissez et multipliez" ne tient plus dans un monde limité, et c'est justement une interprétation spirituelle de cette injonction que promeut le prophète et messie juif Jésus il y a déjà deux mille ans, comme je l'ai développé dans mon Ecologie selon Jésus-Christ : aucun natalisme ni familialisme chez Jésus - bien au contraire, promotion du célibat, de l'abstinence, etc. "Allez et évangélisez toutes les nations" remplace le "Croissez et multipliez" en l'interprétant dans un sens spirituel. Saint Paul préconise le célibat, "Ne vous mariez que si vous brûlez", le non remariage des veufs et veuves, etc. Il y a la une transformation radicale que le christianisme institutionnel et officiel a en partie adoucie dans son accommodement avec le monde - et notamment sa conciliation-dilution avec/dans l'Empire.)

Pour moi, c'est en gros à travers le christianisme occidental la jonction du dualisme platonicien et du réalisme aristotélicien qui a permis l'émergence, notamment à partir de la Renaissance, de la mentalité techno-scientifique moderne - Descartes apparaissant typiquement-symboliquement à la fois comme le dernier philosophe scolastique (mais aussi platonicien avec son dualisme radical) et le premier philosophe scientifique (Galilée également, etc.) - modernité qui est sortie dans tous les sens du terme de la chrétienté gréco-romaine occidentale.

(Ce que lui reprochent d'ailleurs les orthodoxes, d'avoir permis l'émergence de l'athéisme : à saint Thomas d'Aquin qui affirme que "la raison mène naturellement à Dieu", saint Justin Popovic répond que "la raison mène naturellement à l'athéisme". D'où la connivence des antimodernes avec les orthodoxes encore plus qu'avec les franges les plus traditionnelles du catholicisme, déjà tridentines donc modernes, si modernes...)

Et c'est notamment le rapport romain à la nature et l'environnement qui me semble avoir profondément et concrètement marqué l'Europe : conquête, soumission, colonialisme, impéralisme, juridisme, étatisme, propriété comme usus et abusus (totalement opposée à la propriété collective et conditionnelle de la Bible), etc. - auquel la superstructure dualiste-platonicienne et réaliste-platonicienne allait comme un gant - ainsi que l'universalisme monothéiste chrétien plus efficace que le paganisme comme religion impériale.

Le monde moderne est tout autant une "hérésie" chrétienne que païenne, il me semble justement qu'il est tout autant plein d'idées païennes devenus folles que chrétiennes - idées romaines notamment (l'Europe comme Empire, etc.). La généalogie des valeurs chères à Nietzsche est primordiale, mais il est important de ne pas tout y réduire (c'est la vieille tendance cognitive de ramener l'inconnu au connu) : un réductionnisme généalogique passerait à côté des profondes mutations que connaissent les valeurs et les réalités qui les portent. Nietzsche a souvent vu loin, mais souvent aussi de travers.

Le "Croissez et multipliez" n'est pas un principe absolu, ce n'est pas un des dix commandements, mais la description plus que la prescription de l'origine du monde et de l'humanité - et, comme je l'ai écrit dans L'écologie selon Jésus-Christ, le "croissez et multipliez, remplissez la terre et soumettez-la" adressé aux humains suit le "croissez et multipliez etc." adressé aux animaux - et donc ne peut entrer en contradiction avec celui-là. De plus, au sixième jour, contrairement à une vulgate interprétative anthropocentrique aussi courante que mensongère, ce n'est pas l'homme qui est le couronnement de la Création et qui est déclaré "très bon" mais l'ensemble de la Création avec l'homme inclus : "Dieu vit tout ce qu'il avait fait : Cela est très bon etc." De l'homme seul, il n'est même pas dit qu'il est bon en lui-même, contrairement aux autres moments et éléments de la Création. Le "croissez et multipliez" n'est en fait pas plus actuel que les ordres d'hécatombe et d'anathème de la conquête de Canaan (sauf pour certains groupes sionistes religieux...). Ce qui est actuel pour des chrétiens, c'est le Nouveau Testament, la réinterprétation jésuanique/christique de l'ensemble de l'Ancien Testament - et qui le passe à un crible très serré.

La seule solution pour passer de la stratégie r (on a beaucoup d'enfants, mais on ne s'occupe pas beaucoup d'eux) à la stratégie k (on en a peu, mais on en prend le plus grand soin), c'est que la stratégie r soit vécue individuellement comme contre-productive (ce qu'elle est déjà collectivement). Pour cela, il faut une révolution-relocalisation de l'économie mondiale qui ajuste l'autosuffisance locale/nationale/continentale sur les ressources propres et les limites écologiques. Pour moi, la révolution/transition démographique suivra la révolution/transition économique-écologique. Bref, la décroissance démographique suivra la décroissance économique - mais il est impossible et vain (et injuste) de vouloir limiter la croissance démographique même de manière coercitive dans un monde qui fait de la croissance (économique, technologique, etc.) son alpha et son omega. (Si l'on limitait la croissance démographique des populations selon leur impact écologique respectif, ce serait la quasi disparition des Européens et Occidentaux + Japonais...)

"On n'a jamais vu une civilisation s'écrouler parce que trop nombreuse." Affirmation idéologique et dogmatique, dont je ne suis pas sûr qu'elle soit juste (je viens de lire Effondrement de Jared Diamond justement) et ce qui n'est peut-être jamais arrivé peut tout de même arriver, malgré notre tendance (très marquée chez toi) à toujours vouloir ramener l'inconnu au connu, au "c'est entendu", etc. - notre écosystème planétaire ayant justement des limites écologiques. Il me semble justement que nous sommes en train de tous devenir des Pascuans - et c'est là tout le problème contemporain.

"La surpopulation est une non-question en soi." Bien sûr, en soi, il n'y a pas de surpopulation - puisqu'il n'y a de surpopulation que dans un rapport entre une population et un écosystème et surpopulation quand les limites de cet écosystèmes sont atteintes - c'est justement là toute la question de la surpopulation - qui est liée chez l'homme à l'exploitation de son environnement et notamment à sa surexploitation - quand l'exploitation atteint les limites écologiques d'équilibre et de renouvellement de l'environnement - en ce sens, il y a sans doute davantage de surpopulation par surexploitation globale (de pression démographique sur l'environnement par exploitation) dans les sociétés industrialisées à faible croissance démographique que dans les sociétés pré-industrielles à forte croissance démographique - mais croire que ces dernières n'atteignent pas les limites de la surpopulation démographique par surexploitation écologique et en seraient préservées par leur monde de vie non industriel est un mythe : même des sociétés agricoles traditionnelles trop nombreuses atteignent la limite écologique de pression démographique - comme le Rwanda, ou l'ampleur du génocide a notamment été multipliée par la pression démographique sur les terres agricoles.

Il y a surpopulation - c'est-à-dire pression démographique atteignant les limites écologiques de l'environnement - quand il y a surexploitation - c'est-à-dire exploitation du milieu atteignant ses limites écologiques. Mais il peut y avoir surexploitation par simple pression démographique sans industrialisation - cf. Rwanda, etc. Exemple : une pratique traditionnelle d'agriculture nomade comme les cultures sur brûlis deviennent une catastrophe écologique quand la population paysanne augmente sans transformer ses pratiques. Et jusqu'à preuve du contraire, les malheurs du monde viennent justement bien de sa population humaine et de ses pratiques...

La surpopulation est un facteur relationnel qui interagit avec d'autres facteurs : il y a surpopulation quand un milieu ne peut plus subvenir aux besoins d'une population. La surpopulation est toujours en lien avec la surexploitation : il n'y a pas de surpopulation en soi, mais toujours surpopulation en tant que surexploitation. À ce titre, en termes alimentaires stricts, il n'y a pas surpopulation humaine globale. Mais on peut aussi penser que la préservation de certaines espèces et de certains milieux, de toutes les espèces et de tous les milieux en fait, (voulue par Dieu dans la Genèse) peut être une raison de limiter la croissance démographique humaine en-deça de simples ratios alimentaires. Jésus prône d'ailleurs l'abstinence sexuelle donc procréative, comme saint Paul.

Les micro-solutions ne prouvent rien : "Pascal Poot fait pousser des légumes sans eau, donc il n'y a pas surpopulation, CQFD." On est dans la propagande, la non-pensée. Les malheurs viennent de la population humaine puisqu'elle seule peut les juger comme tels. Mais là encore on est dans la propagande, dans la non pensée, digne de Stanislas de Larminat : "La nature est elle-même pleine de catastrophes naturelles, donc la catastrophe écologique d'origine humaine est naturelle, etc."

Ce qui compte avant tout, c'est l'impact écologique par habitant, et le nôtre est démesurément plus grand que celui des pays pauvres. Comme l'a défini Paul Ehrlich dans The Population Bomb (1968) qui pointait la surpopulation comme problème prioritaire : I = PAT soit impact environnemental égale population fois affluence (richesse) fois technologie. Autant dire que notre impact, celui du monde développé, a été démultiplié par la richesse et la technologie, malgré notre faible croissance démographique. En toute justice, si nous devions limiter la démographie en fonctions de l'empreinte écologique par habitant, il faudrait à peu près interdire à tous les habitants des pays développés de faire des enfants… Donc la priorité pour nous, ce n'est pas tant de forcer les pays pauvres au contrôle de la natalité que de se forcer à la décroissance économique et technologique. Il est vrai que la démographie est un élément important de la crise écologique, un des trois principaux avec l'économie et la technologie, et qu'il est devenu quasi tabou - mais la remise en cause de la croissance économique et technologique était aussi taboue à la COP21 qui prône l'économie verte, la croissance verte et autres greenwashing du capitalisme mondialisé. Je suis d'accord sur la nécessité de réduire la croissance et même d'inverser la croissance humaine aussi bien économique, technologique que démographique.

Mais...

L'empreinte écologique d'un Américain moyen est dix fois celle d'un Africain moyen, donc les Africains devraient avoir le droit de faire dix fois plus d'enfants chacun que les Américains - ou les Américains ne devraient pas avoir le droit de faire plus de dix fois moins d'enfants que les Africains, c'est-à-dire ne devraient pas avoir le droit du tout de faire d'enfants - idem pour les Européens, les Japonais, etc. - et les sacs plastiques n'y changeront rien : c'est l'empreinte écologique globale par habitant qu'il faut prendre en compte. Il faudrait évidemment interdire totalement la PMA, la GPA, etc. Ainsi, si en en 2100 il y aura moins d'Européens et 4 fois plus d'Africains, c'est en toute justice : qui sommes-nous pour leur interdire de faire des enfants, puisque notre impact écologique par habitant est dix fois supérieur au leur ? Si nous réduisions drastiquement notre mode de vie, nous pourrions peut-être le leur demander, mais dans notre position qui sommes-nous pour l'exiger ou l'imposer ? N'oublions pas l'origine ouvertement raciste de la création du planning familial aux Etats-Unis, qui a été ouvertement créé pour limiter avant tout la natalité des populations noires aux Etats-Unis, et plus généralement des populations non-blanches, non-WASP, pauvres, etc. Le plus simple serait le principe suivant, à la chinoise : chaque couple humain a le droit de faire un seul enfant (ou deux) et les couples infertiles ont le droit d'adopter (mais interdiction de PMA GPA etc.). Mais qui pour l'imposer ?

Enfin, puisque les uns ne veulent pas passer à la décroissance économique et technologique et les autres ne veulent pas passer à la décroissance démographique, de toute façon tout cela va être "solutionné" d'ici 2100 par l'effondrement systémique globale et la dépopulation radicale qui va s'ensuivre... Il est donc indispensable de réduire radicalement et conjointement l'empreinte écologique par habitant dans les pays industrialisés/développés et la croissance démographique dans les pays à forte natalité - l'un ne peut aller sans l'autre - sinon nous allons droit dans le mur écologique. De plus, notre seule légitimité à inciter les Africains et les autres à renoncer à notre mode de vie mais à faire aussi peu d'enfants que nous est de leur donner l'exemple en réduisant drastiquement notre mode de vie (mettons, retour à notre empreinte écologique des années soixante mais dans un contexte low tech et eco tech) pour arriver à une convergence mondiale consensuelle idéale sur le mode de vie éco-soutenable moyen."

Falco Peregrinus