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"Je ne rêve que d'errance, de solitude et de silence. The Wild.

La marche, la méditation, la solitude et le silence - tout ce que je n'arrive plus à avoir dans ma vie quotidienne, professionnelle et familiale.

Alors, pour le moment, j'use de l'outil le plus proche - les mots.

En fait, je me fiche des mots, mais pour le moment je me débats, je me bats contre les morts avec les mots, je les retourne contre eux pour faire exploser tous les discours, c'est une opération de survie - comme en territoire ennemi - en attendant de trouver le chemin de traverse, de désert-désertion.

"Il eût fallu être moine ermite ami..."

Eh oui, ce sera le dernier état de vie d'homme, comme en Inde traditionnelle.

J'ai raté ma vocation de cabanier taoïste.

"Tu n'auras pas été le seul."

L'erreur de suivre le monde, l'Eglise, les modèles et choix proposés-imposés, l'erreur de ne pas suivre sa voie, son instinct profond, de se laisser détourner de soi par les exigences/facilités sociales, morales, symboliques, etc.

Oui, on est nombreux à s'être fait avoir.

Maintenant, il faut hurler, crier, tirer à boulets rouges... Sauve qui peut ! Sauvez-vous ! Sauve-toi toi-même !

The Howl.

Feu !

"Un peu facile d'accuser le monde, ou l'Eglise. Un peu plus difficile d'admettre effectivement sa propre lâcheté, ses choix ratés."

J'admets ma lâcheté et je répands mes choix ratés en public comme en privé ! Mais il faut aussi décrire tout le conditionnement général qui nous détourne systématiquement de nous-mêmes - aussi bien mentalement que très pratiquement, concrètement.

J'accuse comme je m'accuse.

Je reçois toute critique envers moi-même, et je la reprends à mon compte. Je suis critique, profondément - en crise, krisis, discernement, jugement, discrimination.

Et ce n'est pas faute d'avoir tenté des chemins de traverse - mais je me suis fait rattraper par l'intériorisation des exigences sociales, et pour moi, dans mon histoire, c'est l'Eglise et le christianisme qui ont joué ce rôle de conciliation illusoire de mes voies profondes et des exigences sociales-morales de l'humanité-majorité - conciliation illusoire qui recouvrait une régulation et une normalisation réelles autant que sournoises - comme une nasse.

L'Eglise n'est qu'une nasse parmi les autres, un filet jeté sur le monde - Jésus lui-même l'a dit, "Je vous ferai pêcheur d'hommes."

Fuyons dans les profondeurs !

"Et pourtant Jésus n'était pas du genre à se laisser distraire de ses "voies profondes" par les "exigences sociales-morales de l'humanité".."

A moitié. Il n'a fait qu'une partie du chemin. Et l'Eglise a refait cette moitié en sens inverse.

Pour revenir au Temple et à la Synagogue - ce mixte des deux qu'est l'Eglise.

"Le véritable Temple est à l'intérieur de chacun d'entre nous. Par curiosité, quelle moitié a-t-il ratée?"

Ou bien, il n'y a pas de Temple, car c'est encore une construction, une représentation.

L'autre moitié ? La véritable sortie de la religion comme institution, la sortie de l'anthropocentrisme, de l'anthropomorphisme, la vraie libération, le déconditionnement, la vérité - il est resté dans le monde des symboles, des paraboles, des fables, des mythes, de Papa-Dieu, etc.

Papa-Dieu ! Quelle farce !

"Jésus annonçait le Royaume, et c'est l'Eglise qui est venue." (Alfred Loisy)

Sinon, j'ai totalement perdu la foi, par apophatisme. Je suis devenu au sens strict agnostique et athée.

Ce qui n'empêche en rien une forme de mystique cosmique (cf. la vraie piété selon Lucrèce) voire "quantique" - l'esprit et la matière ne sont que deux modes de la même énergie, énergie que certains appellent Dieu, mais qui est un mot trop chargé, trop anthropomorphe pour pouvoir être utilisé sans confusion.

Je n'affirme ni n'infirme rien, je décris juste un état ou une situation avec précision (ou autant de précision que possible, car toute précision langagière n'est qu'une approximation) : au sens strict, étymologique, je suis agnostique, apophatique, athée.

Toute foi est sociologique, idéologique, symbolique - qu'elle soit religieuse, antireligieuse ou areligieuse. Je cherche la non-foi, la véritable incroyance, qui est une ascèse et une libération.

Je ne crache pas pour autant sur les religions ou les expériences religieuses - du moins certaines, toutes celles qui élargissent la conscience et intensifient l'existence - mais je pense qu'elles ne sont que des moyens - des béquilles - de l'expérience de l'existence, de la conscience cosmique, etc.

Elles restent des représentations symboliques de la réalité. Toute représentation est symbolique, mais autant opter pour les plus simples, les plus désencombrées, les plus élégantes, les plus proches possibles de la réalité.

J'ai lu Krishnamurti récemment - Se libérer du connu - que je trouve encore trop religieux, trop spiritualiste, trop idéaliste - même s'il est et met sur la bonne voie.

"The White, the Naked, the Empty, that's what i'm looking for"

"To be with the earth, with the earth alone. To know a world stripped of fiction, comentary and palaver. The radical rendez-vous"

Par-delà nos langages et références propres - chacun suit sa voie et entend sa voix -, tout cela, je le sais (d'un savoir au-delà/en-deça de toute science, de toute connaissance, d'un savoir de nescience et d'inconnaissance) depuis longtemps, depuis toujours - et au moins en conscience depuis l'Inde.

Nietzsche ? Rimbaud ? Dynamiteurs, incendiaires, éclaireurs - mais je les crois plus courageux que ceux qui s'accrochent encore aux figures de la sagesse ou du bonheur - humains, trop humains - comme Krishnamurti, trop spiritualiste, trop idéaliste, trop métaphysicien - trop Indien !

Je me sens plus proche d'un zen radical et débouddhisé, radicalement agnostique et athée, car ce n'est peut-être pas ça, mais il n'y a rien d'autre que ça. Un taoïsme ultra épuré. Un épicurisme - au sens strict (Epicure, Lucrèce) plus quantique qu'atomique - en quelque sorte.

Profonde vérité impossessible que celle de la poussière dans la lumière - et de la lumière dans la poussière !

J'ai souvent été paresseux, mais rarement lâche. J'ai le courage des kamikazes, des têtes brûlées - qui bout en moi inexprimé. Je pourrai finir dans la gueule d'un ours.

Tout cela n'est pas tant un renversement qu'un approfondissement et un élargissement de mes tendances profondes, de mon intelligence du monde - même si bien sûr je renverse deux-trois choses au passage qui obstruaient le champ et le passage.

Si c'est une révolution, c'est au sens premier, strict, étymologique - cosmique.

Retour à soi. Retour au sol. Retour au monde - physique.

Retrouver le sens concret, l'origine physique des mots - trop socialisés, intellectualisés, métaphorisés, idéalisés, spiritualisés. Radical ? Radix, racine.

Extrême ? (terme d'ailleurs que contrairement à radical je n'utilise guère mais qui est facilement projeté sur moi) Exterimus, superlatif d'exterus, extérieur, du dehors.

Retrouver les racines ou la racine, retrouver l'extérieur, le dehors, le grand dehors extérieur, extra-humain, cosmique.

Se libérer des concepts, dogmes, représentations, conseils, préceptes, commandements, modèles, exemples, dieux, guides, savants, sages, maîtres, gourous...

Suivre l'intuition profonde, écouter l'instinct vital.

Ma voie est la marche et le bivouac (la pleine nature, la sauvagerie) et la poésie (donner un sens plus pur - et surtout plus fort, plus aiguisé, plus réel - au mots de la tribus, usés comme de la petite monnaie) et là je suis en train d'y retourner - avec la science dans ce qu'elle a de plus métaphysique ou plutôt même mystique.

La vraie sagesse se moque de la sagesse - et des prétendus sages.

Je préfère les hypothèses les plus simples, les plus dépouillées, les plus rationnelles, les plus raisonnables, les plus réalistes, les plus logiques, les plus économes, les plus sobres, les plus frugales, les plus "décroissantes" en quelque sorte, les plus élégantes, qui sont à la fois les plus mystiques, les plus poétiques et les plus métaphysiques : les hypothèses scientifiques, physiques, astrophysiques, quantiques... - à toutes les hypothèses affabulatrices, mythiques, mythologiques, théologiques, symboliques, chamaniques, animiques, etc., qui me restent très sympathiques comme productions artistiques de l'imagination humaine - que ce soit Cthulhu ou Jéhovah.

"La culture doit servir à aiguiser les sens et non à les user", me dit ma belle-soeur Virginie. Tout est dit.

Comme dit Gary Snyder : "Simplifier l'esprit : comme une lame qui s'aiguise jusqu'à disparaître".

En tout cas, il ne s'agit pas tant pour moi de tout rejeter et rationaliser que d'élargir et d'approfondir le champ - le champ mystérique de l'univers - qui suffit bien à une mystique et une métaphysique - pas besoin d'interposer entre lui et nous le mot trop connoté "DIEU" - même s'il s'agissait du "dieu sans dieu", du "dieu au-delà de dieu"d'Eckhart, autant prolonger la percée apophatique jusqu'au bout et abandonner tout vocable trop chargé - dire juste comme les plus grands mystiques l'être, le néant, la vacuité, le vide, le fond, le profond, le tout, le rien, todo e nada - ou garder le silence.

Voilà tout mon "agnosticisme" et mon "athéisme" - au sens strict.

Je plonge dans le grand réalisme, ayant retourné l'apophatisme contre l'idéalisme, ayant retourné l'apophatisme contre lui-même.

C'est le christianisme - ou la religion - qui m'a en partie détourné de la réalité tout en me donnant l'illusion d'y rester avec l'affirmation du soi-disant réalisme de l'incarnation - et j''ai toujours été sensible à cette dimension "réaliste" ou du moins "incarnée" du christianisme, je dirais même que c'est à cet "incarnationnisme" que je me suis converti à partir du début des années deux mille.

(Cf. mes premiers livres de "théologie directe" ou de "théologie sauvage" déployant un christianisme cosmique et écologique - précisément celui auquel je me suis converti - cf. Lubac, Ratzinger, les Pères...)

Mais je suis allé au bout de la double tendance en tension dans le christianisme - réalisme-incarnationnisme d'une part et idéalisme-au-delàisme d'autre part - l'apophatisme m'a libéré de l'idéalisme en me rendant au réalisme.

Plutôt que de rester dans une entre-deux mythologique (celui du christianisme comme de toute religion), l'exigence philosophique, métaphysique et mystique requiert d'aller au bout de l'apophatisme (qui n'est pas un idéalisme ni un rationalisme mais au contraire un agnosticisme : la reconnaissance de notre ignorance radicale face au pur mystère de l'univers, de l'être) et du réalisme - reconnaître que nous ne pouvons rien dire sur la réalité qui nous excède mais seulement sur celle à laquelle on accède. C'est la voie de la plus profonde humilité - nescience et incroyance.

Nuée d'inconnaissance. Et reconnaître que tous nos récits religieux sont des mythes, des fables.

Au-delà de la foi, de toute croyance. Reconnaître toute croyance comme telle.

Perdre la foi est la meilleure chose qui me soit arrivé depuis longtemps. Comme des retrouvailles intimes avec moi-même, et avec la terre et le cosmos.

Comme disait Edward Abbey: " Si l'imagination de l'homme n'était pas aussi faible, aussi aisément à bout de force, si sa capacité d'émerveillement n'était pas aussi limitée, il abandonnerait pour toujours des fantaisies comme celle du divin. Il apprendrait à percevoir dans l'eau, les feuilles et le silence, plus qu'assez de merveilleux et d'absolu pour se consoler de la perte des anciens rêves."

"Mais as-tu eu la foi, ou seulement l'illusion à force d'auto suggestion ?"

Je pense que dans tous les cas ça n'est que ça, la foi.

Je suis sceptique quant aux raisonnements (mono)logiques d'apparence imparables, et plus largement quant aux capacités réelles de la rationalité humaine dans sa prétention à expliquer le monde - et il me semble que "Dieu" et toute religion ne sont que des expressions parmi d'autres de cette prétention humaine à rendre raison de tout.

Je suis sceptique quant à l'utilité réelle des débats métaphysiques et théologiques pour prouver quoi que ce soit concernant l'existence ou l'inexistence de Dieu - ce qui ne veut pas dire qu'ils ne servent à rien, car généralement, ils servent à chacun à clarifier, aiguiser, affûter, approfondir ses propres réflexions, méditations, ou à libérer sa contemplation de ce qui est.

Je le constate, ayant débattu de Dieu d'un côté puis de l'autre.

Mais Dieu ne se met pas aux voix.

L'existence ou l'inexistence de Dieu ne se prouve pas, mais s'éprouve.

La foi, comme dit Pascal, c'est Dieu sensible au coeur, non à la raison.

J'ajouterai que si la foi fait des miracles, cela n'implique pas nécessairement l'existence de Dieu. Les miracles peuvent d'un point de vue agnostique ou athée venir de la foi elle-même, qui déplace des montagnes.

J'accueille donc tout témoignage de foi comme "de bonne foi" : je ne mets pas en doute ce que le témoin dit avoir vécu, mais je n'en ai forcément pas la même interprétation que lui : pour moi, c'est un témoignage de foi, qui n'implique pas nécessairement l'existence de l'objet de la foi (Dieu, etc.).

"Si la clarté se retire, le néant doit être ta consolation dans la désolation.

Si tu perds la lumière, sache que tu n'as pas perdu Dieu même "

(Angelus Silesius)

J'ai lu et relu Silesius qui m'a accompagné pendant des années, et je retiens de lui - dans un sens athée et écologiste : "La rose est sans pourquoi."

J'ai plutôt l'impression d'être, sans Dieu, dans la clarté, la consolation et la lumière justement."

Falco Peregrinus