Ce que nous écrivions il y a dix ans à propos de l'Ukraine, dans l'indifférence générale.
A propos d’« Ukraine 33 »

La « révolution orange » ukrainienne, dont l’on peut constater aujourd’hui, ainsi que l’avaient prédit certains observateurs dès Noël dernier, quelles concussions elle recouvre, quelle oligarchie la gouverne, quels mafieux, remplaçants d’autres mafieux, sont à sa tête, étire jusqu’en France ses réseaux tentaculaires aux méthodes peu recommandables. Qui a un peu suivi l’histoire récente de cette marche de la Russie aura décelé sans peine, à l’origine de ce mouvement de pseudo-révolte démocratique, la présence d’organismes occidentaux ou pro-occidentaux, dont la performance des moyens financiers et des méthodes propagandistes n’est plus à démontrer. Après la Serbie, la Géorgie, avant le Tadjikistan, et en attendant la Biélorussie, les comités pour la démocratie, la transparence et l’économie de marché, venus pour la plupart d’outre-Atlantique, comme le fonds de George Soros – fameux « raider » boursier véreux - se sont donc attaqués à l’Ukraine. On sait qu’il s’agissait de rogner un peu encore l’ancien empire russe et d’étendre par là les règles du néo-libéralisme jusqu’à des confins supposés malheureux que l’histoire et la géographie avaient longtemps privés des bienfaits de la reine marchandise. On sait moins, en revanche, que des organisations françaises de lobbying « ukrainophile » ont participé à la curée, subventionnées par le Quai d’Orsay, donc aux frais du contribuable. Certes, les sommes en jeu ne sont pas colossales puisque l’on sait que la France, dépassée par son ancienne image, n’a plus les moyens de s’assurer actuellement d’une politique étrangère digne de ce nom, abandonnant ou à l’Europe ou aux Etats-Unis certaines régions entières du monde. Cependant, le mode de fonctionnement délétère de ce genre d’organisations de la diaspora ukrainienne vaut qu’on y attarde un peu sa curiosité.

L’Ukraine est à la Russie ce que la Turquie est à l’Asie centrale : un lieu intermédiaire dont la localisation imprécise à l’échelle des continents permet à chacun d’y projeter ce qu’il souhaite ; c’est le cas du CDDU (Comité de Défense de la Démocratie en Ukraine), association de droit français et émanation directe de la très introduite association Ukraine 33, créé le 24 novembre 2004 « sur l'initiative de différents représentants d'associations franco-ukrainiennes », comme l’affirme son site internet. Ce comité, en poursuivent les rédacteurs, « a pour objectif de promouvoir la cause ukrainienne, auprès de l'opinion publique, des responsables politiques et du monde médiatique français, avec pour perspective le renforcement du courant ukrainophile au sein de la société française ». Il a été lancé au moment des élections controversées en Ukraine qui devaient mener, après un troisième tour dont l’impartialité a été plus ou moins contrôlée par des observateurs internationaux, Viktor Iouchtchenko au pouvoir. Il est à noter que le CDDU est présidé par Mykola Cuzin, président d’Ukraine 33, association fondée au début des années 90 afin de faire reconnaître le génocide commis par Staline en Ukraine en 1932-1933 par le truchement d’une famine volontairement organisée. La fin ultime du CDDU est l’entrée à moyen terme de l’Ukraine dans l’U.E., fin pour laquelle ses dirigeants ne ménagent pas leurs efforts. Le CDDU a ainsi obtenu d’envoyer en Ukraine l’hiver dernier, en plus du personnel habituel de l’OSCE, son propre contingent d’observateurs « neutres et indépendants », dont le voyage a été financé et accrédité par le Ministère des Affaires étrangères français, qui lui a versé à cette fin plus de 10 000 euros. L’absurdité de cette décision pusillanime du Quai d’Orsay se juge à plusieurs titres : outre qu’au sein du gouvernement français, personne n’a jamais pris de position officielle dans le combat opposant Iouchtchentko à Ianoukovitch et que les envoyés du CDDU étaient sinon de manière déclarée, au moins de façon dissimulée, acquis entièrement à l’idéologie de la révolution orange, leur prétendue indépendance ne résistait pas à l’examen. Il a ainsi pu être établi de manière incontestable que le CDDU ne constitue en fait qu’une branche européenne de l’UCCA (Comité des Ukrainiens d’Amérique du Nord), entièrement inféodé aux gouvernement des Etats-Unis. C’est-à-dire que la France a financé et promu – et la diplomatie ne pouvait l’ignorer – une organisation qui jouait les rôles d’informateur et de groupe de pression au service de la politique de Bush. Qui, jusqu’à preuve du contraire, n’a pas forcément les mêmes intérêts que la France dans la région. Outre cette preuve nouvelle de la perte de souveraineté de la France dans les relations internationales, on peut légitimement s’interroger sur l’existence des réseaux occultes ayant permis tel détournement de fonds publics.

Nicolas Surcouf