G.K. Chesterton

Nous faisons nos amis ; nous faisons nos ennemis ; mais Dieu fait notre voisin ...

Les très pratiques conseils de vieilles religions

Nous faisons nos amis ; nous faisons nos ennemis ; mais Dieu fait notre voisin d’à côté. Par conséquent, il vient à nous revêtu de toutes les terreurs oubliées de la nature ; il est aussi étrange que les étoiles, aussi insouciant et indifférent que la pluie. Il est Homme, la plus terrible des bêtes. C’est pour cela que les vieilles religions et le vieux langage scripturaire ont montré de la sagesse avec tant de précision quand ils ont parlé des devoirs de chacun, non envers l’humanité, mais envers son prochain. Le devoir envers l’humanité peut bien souvent prendre la forme d’un choix qui est personnel ou même qui apporte satisfaction. Ce devoir peut être un passe-temps, il peut même être une dissipation. Nous pouvons travailler dans en Extrême Orient parce que nous sommes singulièrement faits pour travailler en Extrême Orient, ou parce que nous pensons que nous le sommes ; nous pouvons lutter pour la cause de la paix internationale parce que nous aimons lutter. Le plus monstrueux martyr, la plus repoussante des expériences peut être le résultat d’un choix ou d’une sorte de goût. Nous pouvons être faits de sorte que nous soyons particulièrement intéressés par les lunatiques ou par la lèpre. Nous pouvons aimer les noirs parce qu’ils sont noirs ou les socialistes allemands parce qu’ils sont pédants. Mais nous devons aimer notre voisin parce qu’il est là - - une raison bien plus alarmante pour une bien plus dangereuse opération. Il est l’échantillon d’humanité qui nous est réellement donné. C’est précisément parce qu’il peut être n’importe qui, qu’il est tout le monde. Il est un symbole parce qu’il est un accident.

Où l’aventure n’est pas si loin de notre porte de maison

Des hommes convaincus quittent leurs environnements étroits vers des contrées qui sont très mortelles. Mais c’est assez naturel ; car il ne fuient pas la mort. Ils fuient la vie. Et ce principe s’applique au cercle dans le cercle du système social de l’humanité. Il est parfaitement raisonnable que des hommes puissent chercher une variété particulière de type d’hommes, aussi longtemps qu’ils cherchent cette variété de type d’hommes, et pas cette variété humaine simplement. Il est approprié qu’un diplomate anglais recherche la société des généraux japonais, si ce qu’il recherche ce sont des généraux japonais. Mais si ce qu’il désire, ce sont des gens différents de lui, il ferait mieux de rester à la maison et de discuter religion avec son serviteur. Il est parfaitement raisonnable que le génie du village puisse venir conquérir Londres, si ce qu’il veut, c’est conquérir Londres. Mais si il veut conquérir quelque chose de de fondamentalement et de symboliquement hostile, il ferait mieux de rester la où il est et de chercher des noises à son pasteur. L’homme de la banlieue a raison si il va à Ramsgate parce qu’il recherche Ramsgate- - une chose difficile à imaginer. Mais si, comme il l’exprime, il va à Ramsgate "pour se changer", alors il obtiendrait un changement bien plus romantique et mélodramatique en sautant par dessus la barrière du jardin de son voisin. Les conséquences en seraient vivifiantes, bien au-delà des possibilités hygiéniques de Ramsgate.

La famille, c’est le bout du monde

Maintenant, de même que ce principe s’applique à l’empire, à la nation dans l’empire, à la cité dans la nation, à la rue dans la cité, il s’applique aussi à la maison dans la rue. L’institution de la famille doit être précisément recommandée pour les mêmes raisons que l’institution de la nation, ou que l’institution de la cité doivent d’une certaine manière être recommandées. C’est une bonne chose pour un homme de vivre en famille dans le même sens qu’il est bon qu’un homme soit assiégé dans une cité. C’est une bonne chose pour un homme de vivre en famille dans le même sens que c’est une belle et agréable chose pour un homme que d’être enneigé dans la rue. Toutes ces choses le forcent à réaliser que la vie n’est pas une chose de l’extérieure, mais une chose de l’intérieur. Par dessus tout, elles insistent toutes sur le fait que , si elle doit vraiment être une vie stimulante et fascinante, la vie est une chose qui, dans sa nature, existe malgré nous. les écrivains modernes qui ont suggéré , de manière plus ou moins franche, que la famille est une mauvaise institution, se sont généralement confinés à suggérer, avec beaucoup d’aigreur, d’ amertume, ou de pathétique , qu’elle n’était peut-être pas toujours très harmonieuse. Bien sûr, la famille est une bonne institution par ce qu’elle n’est pas harmonieuse. Elle est précisément saine parce qu’elle contient de nombreuses différences et variétés. Elle est, comme le disent les sentimentalistes, comme un petit royaume, et, comme la plupart des autres petits royaumes, elle est généralement dans un état ressemblant à celui de l’anarchie. C’est précisément parce que notre frère Georges n’est pas intéressé par nos difficultés avec la religion, mais qu’il est intéressé par le Restaurant du Trocadéro, que la famille a quelques unes des qualités vivifiantes du Commonwealth. C’est précisément parce que notre oncle Henry n’approuve pas les ambitions théâtrales de notre soeur Sarah que la famille ressemble à l’humanité. Les hommes et les femmes qui, pour des raisons mauvaises ou bonnes, se révoltent contre la famille, se révoltent, pour de mauvaises ou bonnes raisons, contre l’humanité. Tante Elisabeth n’est pas raisonnable, comme l’humanité. Papa est irritable, comme l’humanité. Notre frère le plus jeune est malfaisant, comme l’humanité. Grand-père est stupide comme le monde ; il est vieux, comme le monde.

Exit la famille, bonjour l’ennui !

Ceux qui souhaitent, de bonne ou de mauvaise manière, sortir de tout cela, souhaitent en définitive entrer dans un monde plus étroit. Ils sont consternés et terrifiés par la taille et la variété de la famille. Sarah souhaite trouver un monde ne consistant qu’en théâtres privés ; Georges souhaites penser au Trocadéro comme étant le cosmos. Je ne dis pas, pour un moment, que le vol pour cette vie plus étroite ne puisse pas être la bonne chose pour l’individu, plus que je ne le dirais du vol vers un monastère. Mais je dis qu’une chose est mauvaise ou artificielle si elle tend à faire succomber ces personnes à l’étrange illusion qu’elles entrent dans un monde qui serait réellement plus grand et plus varié que le leur. La meilleure manière pour un homme de tester s’il est prêt à rencontrer la variété commune de l’humanité serait de descendre par une cheminée dans une maison choisie au hasard, et de s’entendre aussi bien que possible avec les gens à l’intérieur. Et c’est essentiellement ce que chacun de nous a fait en naissant.

La famille : aventure et romance

C’est, en effet, la romance sublime et spéciale de la famille. C’est romantique parce que c’est définitif. C’est romantique parce que c’est tout ce que ses ennemis l’appellent ; c’est romantique parce que c’est arbitraire. C’est romantique parce que c’est ici. Aussi longtemps que vous avez des groupes d’hommes choisis rationnellement, vous avez une sorte atmosphère spéciale et sectaire. C’est lorsque vous avez des groupes d’hommes choisis irrationnellement que vous avez des hommes. La part d’aventure commence alors à exister ; car l’aventure est, par sa nature, une chose qui vient à nous. Elle est une chose qui nous choisit, pas une chose que nous choisissons.

L’aventure suprême est de naître. Là, nous entrons soudainement dans une trappe splendide et effrayante. Là nous voyons quelque chose dont nous n’avions jamais rêvé auparavant. Notre père et notre mère nous attendent impatiemment et nous sautent dessus , comme des brigands jaillissent d’un buisson. Notre oncle est une surprise. Notre tante est, selon la belle expression commune, un éclair venu du Ciel. Quand nous faisons un pas dans une famille par l’acte même de notre naissance, nous faisons un pas dans un monde qui est imprévisible, dans un monde qui a ses propres lois étranges, dans un monde qui pourrait être sans nous, dans un monde que nous n’avons pas créé. En d’autres termes, quand nous entrons dans la famille, nous entrons dans un conte de fée.

Source : Hérétique