« Mort aux vaches, mort aux lois, vive l'anarchie! » crie Brassens dans « Hécatombe » où l’on voit des flics succomber au violent assaut d’une horde de mégères. « Mort aux cons ! » est aussi un leitmotiv, comme le dit la chanson : « Ceux qui ne pensent pas comme nous sont des cons. » A l’heure où les boutonneux baby-boomers jouent à la révolution et au conflit de génération, Brassens, loin de les soutenir, fait une salutaire mise au point :

« Le temps ne fait rien à l'affaire,

Quand on est con, on est con.

Qu'on ait vingt ans, qu'on soit grand-père,

Quand on est con, on est con. »

On a beau décapiter Louis XVI et Marie-Antoinette, on pourra chasser le roi de Belgique ou d’Iran, mais, monarchique ou démocratique, la connerie ne sera sans doute jamais détrônée…

« Que, ça c'est vu dans le passé,

Que, ça c'est vu dans le passé,

Marianne soit renversée

Marianne soit renversée

Mais il y a peu de chances qu'on

Détrône le roi des cons. »

Les voisins, les braves gens, les croquants : loin de la socialisation sympa et du sourire obligatoire, Brassens n’aime guère ses contemporains – ou seulement de loin. La fête des voisins ? Au poteau !

« Si j'étais tout-puissant demain

Je n'irais pas par quatre chemins,

Et ferais passer par le fer

Tous les voisins de l'univers . »

Brassens n’est pas là où ou l’attend, et gens de gauche et autres bonnes consciences de l’après-guerre et des « Trente Glorieuses » sans gloire auront du mal à l’enrôler dans leurs rangs. Compagnon de route ? Allez-vous faire foutre !

« Les lendemains chantaient. Hourra l'Oural! Bravo!

Il m'a semblé soudain qu'ils chantaient un peu faux . »

« Dieu! Que de processions, de monômes, de groupes,

Que de rassemblements, de cortèges divers, -

Que de ligues, que de cliques, que de meutes, que de troupes!

Pour un tel inventaire il faudrait un Prévert.

Le pluriel ne vaut rien à l'homme et sitôt qu'on

Est plus de quatre on est une bande de cons.

Bande à part, sacrebleu! C’est ma règle et j'y tiens.

Parmi les cris des loups on n'entend pas le mien.

Oui, la cause était noble, était bonne, était belle!

Nous étions amoureux, nous l'avons épousée.

Nous souhaitions être heureux tous ensemble avec elle,

Nous étions trop nombreux, nous l'avons défrisée.

Le pluriel ne vaut rien à l'homme et sitôt qu'on

Est plus de quatre on est une bande de cons.

Bande à part, sacrebleu! C’est ma règle et j'y tiens.

Parmi les noms d'élus on ne verra pas le mien . »

Pas plus qu’avec les communistes, l’anar Brassens ne fricotera avec les féministes – qu’il défrisera dans la chanson :

« Sous les coups de boutoir des ligues féministes

La moitié des messieurs brûle d'être onaniste,

L'autre d'aller se faire enculer.

A force d'être en butte au tir des suffragettes

En son for intérieur chacun de nous projette

D'hélas aller se faire enculer.

Quand on veut les trousser, on est un phallocrate,

Quand on ne le veut point, un émule de Socrate,

Reste d'aller se faire enculer.

Qu'espèrent en coassant des légions de grenouilles?

Que le royaume de France enfin tombe en quenouille,

Qu'on coure aller se faire enculer?

Y a beaux jours que c'est fait devant ces tyrannettes,

On danse comme des pantins, comme des marionnettes

Au lieu d'aller se faire enculer . »

De même que « Les Bourgeois » de Brel est une chanson qui n’ironise pas tant sur la bourgeoisie que sur la fausseté des juvéniles révoltes (anti)bourgeoises, Brassens, avec « Tant qu’il y a des Pyrénées », poursuit de ses sarcasmes les chanteurs engagés et l’antifascisme incantatoire :



« J'ai conspué Franco la fleur à la guitare

Durant pas mal d'années;

Faut dire qu'entre nous deux, simple petit détail

Y avait les Pyrénées!

S'engager par le mot, trois couplets un refrain,

Par le biais du micro,

Ça se fait sur une jambe et ça n'engage à rien,

Et peut rapporter gros . »

Sur la guerre non plus, Brassens ne hurle pas avec les loups, et s’il écrivait des chansons patriotiques en camp à Basdorf, il ne célèbre pas le mythe de la Résistance. Alors que le « parti des fusillés » poursuit la guerre civile, il brocarde dans « La Tondue » l’Épuration sauvage et les patriotes de la dernière heure :

« Les braves sans-culottes et les bonnets phrygiens,

Et les bonnets phrygiens,

Ont livré sa crinière à un tondeur de chiens,

A un tondeur de chiens . »