Les cœurs sans le savoir, les esprits sans le percevoir et, tout au fond, les âmes sans le dire sont tellement dans le besoin que le silence de leur cri - formidable colonne en creux - requiert et mobilise contre lui l'acharnement insupportable et sans répit de tous les bruits du monde, organise la fuite et le refuge de chacun dans ce supplice étroit, la collaboration funeste de tout individu, par soumission servile ou par complicité déshonorée, à cet attentat fracassant qui le disjoint, l’émiette, le pulvérise et le disperse. S'abstraire de l'essentiel, tout est là. Sortir le plus possible du dedans de la vie ; rester dehors. L'information, laissez moi vous le dire, est l'instrument parfait, la corde lisse et le nœud bien coulant de cette pendaison : l'information, procédé éminemment artificiel et abstrait, destiné à rendre informe et sans leçon tout ce qui peut, tout ce qui risque d'avoir, originalement, une forme certaine et peut être un enseignement. L'information a perfectionné le système en le mécanisant et désormais, sans le concours de personne, l'analyse devient si fine que tout danger est écarté : même par accident il ne peut plus rester, non, même à la loupe on ne saurait trouver le grain le plus infime de concret dans la pensée lisse et liquide qu'elle dégorge. Le rien est souverain et triomphe dans le bourdonnement enthousiasmé des bavardages. Car sait-on jamais ? la trace seulement d'une poussière pourrait suffire à accrocher un souvenir, un rappel, découvrir une analogie, voire amorcer un rêve, éveiller un silence, engendrer l'incongruité d'une de ces légendes qui parlent travers le temps !

Armel Guerne, Laissez-moi vous dire in L’âme insurgée, écrits sur le romantisme, Phébus, 1977.