Il serait affreux et douloureux de penser que Moïse fit l’ascension du mont Sinaï, que les Hellènes bâtirent l’Acropole, que les Romains entreprirent les guerres Puniques, que le beau et génial Alexandre, coiffé de son casque empenné, franchit le Granique et combattit sous les murs d’Arbelles ; que les apôtres se vouèrent à la prédication, que les martyrs donnèrent leurs souffrances, les poètes leurs chants et les peintres leurs plus belles couleurs, que les chevaliers enfin brillèrent dans les tournois, pour que le bourgeois français, russe ou allemand, vêtu de son costume grotesque, pût se vautrer en fin de compte dans ce bonheur « individuel » ou « collectif » fait de toutes les ruines de la splendeur d’antan !... On rougirait d’être homme, si ce bas idéal de bien-être général, de travail mesquin et de prose ignominieuse, devait triompher pour toujours !



Constantin Léontiev cité par Nicolas Berdiaev in Constantin Léontiev, un penseur religieux russe du dix neuvième siècle, Berg international, 1993.