Le Romantisme - celui de tous les Romantiques qui ont tracé dans telle et telle direction son aventure fabuleuse, tragique et salutaire, flamboyant tout à coup sur les déchet d'un XVIII ème siècle presque exclusivement voué à la froide raison - n'est pas du tout l'affaire d'un seul temps, le phénomène d'une époque. Certes, une énorme éruption volcanique s'est produite à un certain moment dans l'océan de la pensée des hommes parce que les plus clairvoyants s'indignaient, ne voulant pas se laisser réduire à ce que leur temps voulait qu'ils fussent ou qu'ils devinssent ; mais la vague de fond propulsée par ce cataclysme déferle directement sur nous, étale sur nos plages désertes, desséchées, la miroitante bénédiction de sa marée adoucie et frangée d'espérance. Rien de rien ne nous sépare en vérité, sinon la vaine chronologie de la superstition historique. Ni ces eaux, ni ce feu ne nous sont étrangers aujourd'hui, et leur puissant remous nous est tout à fait fraternel.

Armel Guerne, Laissez-moi vous dire in L’âme insurgée, écrits sur le romantisme, Phébus, 1977.