A porter ma vie sur mon dos

J'ai déjà mis cinquante berges

Sans être un saint ni un salaud

Je ne vaux pas le moindre cierge

Marie, maman, voilà ton fils

Qu'on crucifie sur des affiches

Un doigt de scotch et un gin-fizz

Et tout le reste je m'en fiche !

Ils ont voté et puis, après ?

J'ai la mémoire hémiplégique

Et les souvenirs éborgnés

Quand je me souviens de la trique

Il ne m'en vient que la moitié

Et vous voudriez que je cherche

La moitié d'un cul à botter ?

En ces temps on ne voit pas lerche...

Ils n'ont même plus de cul, les français !

Ils ont voté et puis, après ?

C'est un pays qui me débecte

Pas moyen de se faire Anglais

Ou Suisse ou con ou bien insecte

Partout ils sont confédérés,

Faut les voir à la télé-urne

Avec le général Frappard

Et leur bulletin dans les burnes

Et le mépris dans un placard !

Ils ont voté et puis, après?

Dans une France socialiste

Je mettrais ces fumiers debout

A fumer le scrutin de liste

Jusqu'au mégot de mon dégoût

Et puis assis sur une chaise

Un ordinateur dans le gosier

Ils chanteraient La Marseillaise

Avec des cartes perforées

Le jour de gloire est arrivé.

Léo Ferré, Ils ont voté, 1968