Le capitalisme et l'État ont apparus simultanément, comme les versant économique et politique du même mouvement. L'Etat mettait en place un cadre juridique centralisé et régulé favorisant au mieux les mécanismes du contrat et de la propriété privée. L’État sanctionnait la clôture des terres communes pour l'usage privé, "libérant" ainsi les paysans sans terre pour leur permettre de devenir travailleurs à gage (1). L’État a directement promu le commerce international. L’État a universalisé et garanti la monnaie, les poids et les mesures pour faciliter les échanges. Le fisc a été institué de manière centralisée par l'Etat, ce qui a signifié de fait la fin de l'aristocratie terrienne et l'ascension de la bourgeoisie. Par dessus tout, l'Etat a contribué à la création d'un "individualisme possessif", à l'invention du sujet universel libéré de tout lien local et libre d'échanger ses biens ou son travail avec n'importe qui d'autre (2). L’avènement de l’État-nation et de la souveraineté populaire n'a fait que renforcer l'étroite relation entre L'Etat et le capitalisme. Les énormes dépenses de soutien financier aux entreprises ne sont qu'une manifestation de cette coopération fondamentale. Plus fondamentalement encore, l' État-nation sert à abolir les conflits de classe et à promouvoir les intérêts du capital en les présentant comme intérêts nationaux.

William Cavanaugh, Mourir pour la compagnie des téléphones ou pourquoi l’État-nation n'est pas le gardien du bien commun in Migrations du sacré, éditions de l'homme nouveau, 2010.

(1) Voir l'excellente étude de Michael Perelman, The Invention of Capitalism : Classical Political Economy and the Secret History of Primitive Accumulation ( Durham, NC, Duke University Press, 2000. Perelman montre comment Smith, Stuart et d'autres économistes classiques ont abandonné leur principe du "laissez faire" quand il s'est agi d'obtenir la mise en place de politiques qui chassent les paysans de la terre pour les amener à travailler en usine.

(2) Giddens, The Nation-State and Violence ; Nisbet, The Quest for Communauty.