La fête populaire fleurit encore dans les campagnes, dans les villes aussi où les traditions se sont maintenues ou se sont implantées, venues d'ailleurs. Ici les cortèges, les carnavals ou les fêtes religieuses ne servent pas à remplir le grand vide des dimanches et des jours de fêtes, mais les rendent au contraire dignes de leur nom. Les pays de tradition romano-païenne sont plus riches de ce genre de fêtes que les pays nordiques, et les pays catholiques se montrent plus doués sur ce plan que les pays protestants qui vénèrent le travail. Avec ses trois millions d’italiens vivant à New York l’Amérique illustre toute la différence qui existe entre la joie vivante et la joie morte, cohabitant en un seule et même endroit. La joie vivante c'est celle qui, à l'occasion des nombreuses fêtes religieuses originaires de Palerme ou de Rome, de Bari ou de Naples a émigré en même temps que les hommes ; la joie morte c'est le fun du monde des Yankees,allant du juke-box à la cocktail party. En vertu de leurs racines antiques et de leur tradition catholique, l'Italie, la France, l'Autriche, la Bavière et la Rhénanie ont longtemps préservé certaines enclaves dans le monde mécanisé du capitalisme, c'est à dire quelles y ont sauvegardé un sentiment de la vie pou lequel le temps n'est pas encore synonyme d'argent et la bonne humeur n'est pas encore devenue une sépulture bariolée.

Ernst Bloch, Le principe espérance, Les épures d'un monde meilleur, 1953.