Moïse dit : “Qu’on élise gens sages, bien entendus, gens éprouvés afin qu’on les constitue, voire selon les lignées, et sur centaines et sur cinquantaines.” (Deut., I, 12-15)

Par cela nous est montré quand on doit élire gens qui aient charge publique, qu’on doit les choisir avec discrétion et ne point prendre à la volée ceux qui s’ingèrent les premiers ou que chacun par faveur ou par quelque vanité prenne celui que bon lui semblera, mais que Dieu préside sur une élection qui se fera et que les gens soient choisis tels qu’on connaisse qu’ils sont propres pour exercer l’état auquel on les appelle. Et notamment il faut bien observer ce qui est récité au chapitre dix-huitième d’Exode : Jéthro dit qu’il faut prendre gens vertueux, craignant Dieu et haïssant l’avarice, dit-il. Qui est-ce qui parle ? Un pauvre païen. Et toutefois Dieu gouverne sa langue tellement que nous ne saurions avoir meilleur docteur que lui quand il est question d’élire gens pour gouverner le peuple. Il demande en premier lieu gens vertueux qui ne soient point efféminés et qui aient de quoi fournir à une telle charge : qu’ils aient bon zèle et courage et magnanimité. Or d’autant que sans la crainte de Dieu toutes les vertus des hommes sont sont converties en mal, voici Jéthro qui n’a jamais ouï un seul mot de l’Ecriture sainte qui toutefois connaît bien qu’il est impossible qu’un homme s’acquitte de son devoir quand il aura à gouverner un peuple, qu’il ne craigne Dieu. Si un païen a ainsi parlé, quelle honte sera-ce pour nous quand aujourd’hui nous aurons moins de discrétion ! Et toutefois on peut voir à l’oeil comme il en va ! (...) Ainsi donc avisons à nous et surtout quand Dieu nous fait cette grâce, voire ce privilège, qui n’est point commun à tout peuple d’élire gens qui gouvernent, qu’ils n’abusent pas d’un tel don de Dieu, autrement on sera tout ébahi qu’on s’en trouvera dépouillé. Et voilà pourquoi les tyrannies sont venues au monde, que la liberté a été perdue en tous les peuples, qu’il n’y a plus d’élection aucune, voire même que les princes vendront la justice, que les choses sont si confuses que c’est un horreur. Qui en a été la cause, sinon que les peuples qui avaient quelque élection en ont abusé et par ce moyen ont été dignes que Dieu les privât de l’honneur qu’il leur faisait. Car n’est-ce pas provoquer quasi à son escient l’ire de Dieu et le dépiter quand on aura une élection libre, là où il faut choisir gens qui servent à Dieu et qui soient comme ses officiers, qu’au lieu de cela on fasse des brigues par les tavernes et qu’on ordonne, comme par dépit de Dieu et par moquerie, ceux qui sont les plus dissolus et débordés ? Ne voilà point pervertir tout ordre ? Bref,il semble qu’on veuille déchasser Dieu de son siège quand on y met ainsi ses ennemis et ceux qui le contemnent et ne demandent sinon à fouler son nom et sa majesté au pied. Quand cela y est, se doit-on ébahir que Dieu envoie de telles confusions au monde, comme on les voit ? Ainsi donc d’autant plus nous faut-il bien noter cette doctrine où il est dit que, quand Dieu donne à son peuple la liberté d’élire gens, il ne faut point abuser de cela ; mais on les doit choisir avec discrétion. Et même d’autant que nous y pourrions être trompés tous les coups, il est question de recourir à Dieu afin qu’il nous donne prudence et qu’il nous gouverne par son Saint-Esprit, comme s’il nous avait marqué au doigt ceux que nous devons choisir. Et voilà pourquoi j’ai dit que jamais les élections ne seront bien réglées que Dieu ne préside dessus par son Saint-Esprit.”

Calvin, Sermon 3 sur le Deutéronome, du mercredi 27 mars 1555.