Les machines, la grande machine proliférante que nous avons cons truite des débris d'un univers mis en pièces par nos convoitises, non seulement se soustrait à notre contrôle mais en vient à se développer d'une manière que nous n'avions nullement prévue, moins encore voulue. Elle ne se borne pas à détruire le monde en le réduisant inexorablement à une masse de rebuts sans vie, mais elle nous détruit nous mêmes.

Plus exactement elle nous dépouille de nos possibilités innées d'un développement sui generis, en nous assimilant à elle même. Elle fait de nous des robots, voire moins encore : des organes passifs et comme figés du développement aberrant du colossal robot que nous sommes en passe d'avoir produit à la place du cosmos mis en place par Dieu. Nous même, avec lui, nous n'avons plus d'autre avenir prévisible que d'être réduits ensemble, tôt ou tard, mais la perspective s'accélère actuellement par un emballement irréversible, à une matière irrécupérable.

Père Louis Bouyer, Cosmos, le Monde et la gloire de Dieu, Cerf, 1982.