Esprit ne fut pas toujours ce sinistre mensuel de sociaux démocrates résignés et d'admirateurs de Jurgen Habermas. En témoigne cet extrait d'un "manifeste" - dont les anarchristes louent la justesse et l'actualité - qui ouvrait chaque numéro de la revue entre janvier 1977 et septembre 1982. Il est décidément triste le destin qui mène d'Ivan Ilich à la défense des bombardements humanitaires, de Tony Blair et de Michel Rocard....

" L'imposture totalitaire a fini par éclater. Et c'est comme si notre monde avait perdu son avenir : la décomposition des sociétés capitalistes n'annonce plus rien. Cette vérité provoque le désarroi; pour nous c'est une ouverture, la chance d'inventer autre chose.

D'abord renouveler la critique, et quand on dénonce la spéculation et les tromperies capitalistes, ne plus se donner comme horizon cette bonne société où les professionnels du bien être auraient les coudées franches. Cesser de s'élever contre l'exploitation pour mieux oublier la domination.

Les riches et les puissants ne font pas qu'exploiter les pauvres, ils les empêchent de vivre: pour que l'exploitation ait prise sur les victimes, il faut que les modes de vie autonome soit détruits. Dans une société défaite, les grandes organisations commerciales, culturelles et politiques, proposent ou imposent un produit, un service, une obligation pour chaque part de vie. Ainsi le peuple devient un public, l'habitant un usager, le citoyen un consommateur, le travailleur un outil.

Le faux rationalisme technicien échoue en détail, chacune de ses opérations manquant son but. L'activisme productif ne sait qu'ajourner la sa faillite. Des révoltes éclatent dans les marges, mais ce système auquel on ne croit plus détermine encore les comportements et les revendications. Il faut, par la réflexion, par l'expérimentation, lui trouver une alternative.

Esprit, déclaration préliminaire, Janvier 1977- septembre 1982.