Ce que dit l'ouvrier
Des petits hommes capturent les baleines géantes
Pour transformer leur fanons en corsets;
Ils prennent à la queue du casoar deux ou trois plumes,
Au tigre son pelage bigarré,
Pour faire une carpette au pied d'un lit bourgeois.
Moi la ville m'a capturé
Pour coudre sans fin des boutons
Fil par-ci, aiguille par là...
Tant de sensations et de chants nostalgiques
Tant de rêves et tant d'humaines passions
Et tout cela ne donne que boutons,
Fil par-ci, aiguille par là,
Et reboutonne et déboutonne
La joie de créer, la pensée,
Ainsi jour et nuit jusqu'à l'heure
Où l'on entre dans la mort.
Il me semble déjà moi même être un bouton.
Je me couds, je me couds à la vie
Sans pouvoir m'attacher,
Bouton dessus, forces perdues,
Je ne puis, bouton, me coudre moi même.
Zalman Shnéour (1887-1954), Ce que dit l'ouvrier in Anthologie de la poésie yiddish, traductions de Charles Dobzynski, poésie Gallimard.