Nous l’avons vu dans la « Petite histoire de Taybeh », la fondation de la paroisse latine de Taybeh est due à un prêtre allemand, Don Philippe Uhlenbrock. Le 28 septembre est la date de son rappel à Dieu – premier prêtre du Patriarcat latin mort en service. Né à Erkratz, diocèse de Munster, ce missionnaire avait terminé ses études au collège de Brignole-Sale, a Gênes, et, à peine ordonné, avait pris le chemin de Jérusalem le 1er janvier 1858. Aux missions de Gifneh et Bir-Zeit, à l’école de Don Joseph Coderc, il étudiait l’arabe et s’initiait à la pastorale. Il fut d’un grand secours dans la fondation difficile de la paroisse latine de Bir-Zeit. Mais il n’entendait pas en rester là, et c’est vers Taybeh que se tournaient ses ardeurs apostoliques. En 1860, le Patriarche note dans un rapport au Saint-Siège : « Une mission vient de s’ouvrir à Taybeh avec 40 catholiques. » Voilà comment le Père Pierre Duvignau, dans sa biographie de Mgr Joseph Valerga , restaurateur du Patriarcat latin de Jérusalem, raconte avec plus de détails ce qu’il appelle « la renaissance de Taybeh ».

« Pendant que les missionnaires s’occupaient de Bir-Zeit, d’autres aspirants au catholicisme frappaient à leur porte. Ils venaient d’un village qui fut toujours regardé un peu comme un lieu saint, car Notre Seigneur y fit retraite à la veille de sa Passion. L’endroit s’appelait alors Éphrem (Ophra, Ephron, Éphraïm). Mais ce nom, qui sonnait fâcheusement aux oreilles des Arabes, avait fait place au vocable plus avenant de Taybeh.

Au milieu du XIXe siècle, deux tribus, les Massis et les Khoury, se partageaient la population. Tous chrétiens orthodoxes, mais incurablement divisés entre eux par une de ces haines tribales si fréquentes en Orient. Ce qui donne à penser que les motifs de conversion pouvaient bien n’être pas exclusivement d’ordre religieux.

C’est pourquoi Mgr Valerga, qui connaissait à fond ces mœurs tribales, fit d’abord la sourde oreille, lorsque le sheikh Issa Massis et M. Michel Barakat lui adressèrent une première requête suivie de plusieurs autres. D. Philippe Uhlenbrock, par ailleurs, pressait le Patriarche de se montrer accueillant ; car il avait, lui aussi, sa théorie pour fonder une mission :

« Même si leurs intentions n’étaient pas assez pures et sincères, écrivait-il, … il dépend en grande partie du zèle, de la piété et de la prudence évangélique du missionnaire qui sera envoyé de rectifier leurs intentions, de rétablir parmi eux la foi et la charité et de les faire persévérer dans l’Église de Dieu. »

Il s’offrait lui-même à être ce missionnaire. Aussi se fit-il volontiers le porte-parole de ceux qu’il regardait un peu comme ses futurs paroissiens :

« Samedi dernier, écrivait-il de Gifneh, en décembre 1858, les gens de Taybeh sont venus chez moi pour me prier d’aller avec eux répéter a Votre Excellence la demande qu’ils vous ont faite depuis déjà plusieurs années de leur envoyer un missionnaire. Il me semble que la volonté de Dieu appelant ce village a son Église est très claire… »

Il plaide leur cause de tout son cœur et ajoute un argument qu’il sait capable d’impressionner le Patriarche et qui laisse voir aussi un côté de sa grande âme missionnaire :

« A Taybeh, l’endroit est le mieux adapté pour commencer ou plutôt préparer la mission d’Outre-Jourdain et pour faire connaissance avec les gens du désert, mieux disposés, parce que plus indépendants du Gouvernement, plus simples de mœurs et maintenant fatigués de leur vie vagabonde. Taybeh est en relations amicales avec eux. »

Cette perspective d’entrer en Transjordanie ne manqua pas d’émouvoir le Patriarche. Il permit à l’équipe de Gifneh de faire une visite d’approche aux gens de Taybeh. D. Morétain , qui venait de rentrer de France, voulut être de la partie. Il rendait longuement compte de l’expédition à Mgr Valerga dans sa lettre du 31 juillet 1858 :

« Nous sommes allés, D. Pietro (Cotta), D. Philippe (Uhlenbrock) et moi, visiter Taybeh jeudi dernier. Nous avons été bien reçus par les deux partis qui divisent le village et qui se sont empressés de nous demander pour quel parti nous venions. La réponse a été que nous venions pour tout le monde. »

On leur a offert divers emplacements pour y bâtir l’église. L’œil de l’architecte a tout de suite jugé : « Il n’y en a que deux de convenables ». Et l’esprit du missionnaire a du premier coup fait choix du site : « Au milieu du village même, sur la pente méridionale du monticule… Il coutera un peu plus cher que si on le prend en dehors. (Mais) il joint a l’avantage d’être au milieu du village, celui d’être entre les deux quartiers ennemis… »

Et, déjà, dans son imagination, il aperçoit l’édifice :

« On pourra faire deux portes, une de chaque côté, pour qu’ils puissent venir a l’église sans s’exposer a un conflit. »

L’affaire semblait donc favorablement engagée. D. Uhlenbrock fut autorisé à y fixer sa résidence dès le début de 1860. Il ne put, il est vrai, acquérir le terrain convoité, mais on l’aura un peu plus tard.

d. Uhlenbrock était une âme profonde, perpétuellement tenté de se retirer au désert pour s’y livrer uniquement à la prière et s’y préparer a des missions plus fructueuses dans l’avenir. A Taybeh, il s’installa dans une grotte où il restait longtemps en oraison. Dieu le murissait ainsi à son insu, car il n’allait pas tarder à l’appeler à lui. Cette même année, en se rendant a Beit-Jala pour la retraite, il fur saisi par le typhus et mourut saintement le 28 septembre. Il n’avait que 28 ans. Ce fut le premier décès dans le clergé du Patriarcat.

D. Uhlenbrock fut remplacé à Taybeh par l’abbé Courtais. C’était un homme de sante délicate qu’il soumettait à un régime d’ascète. Il donna tout son avoir pour la mission de Taybeh et se dépensa lui-même sans compter. Il acheta le terrain choisi en 1859 et bâtit trois chambres dans lesquelles il ouvrit une école bientôt fréquentée par une vingtaine d’enfants. Il se fit lui-même l’instituteur de cette jeunesse.

Il fut moins heureux pour la construction de l’église. On a beau être généreux, on ne s’improvise pas architecte. L’édifice mesurait 20 mètres de long, 7 de large et autant de haut. Mais la chaux était de qualité médiocre, les pierres trop petites. La voûte, posée a la fin de l’année 1865, s’effondra sous les pluies diluviennes qui tombèrent cet hiver-là.

D. Courtais, déjà miné par ses privations, ne résista pas à cette catastrophe. Il mourut peu après, le 31 janvier 1866, laissant ses confrères et ses paroissiens dans la consternation.

Son successeur, D. Antoine Dikha, reprit les travaux de l’église d’une manière plus judicieuse ; mais, ayant dû quitter Taybeh en 1869, il laissa a D. Angelo Chiariglione le soin de l’achever. Ce jeune prêtre piémontais ordonné en 1866 et arrivé deux ans plus tard au Patriarcat, trouva à Taybeh la paroisse en plein développement. V. Guérin, dans son deuxième voyage en 1870, constate le progrès :

« Depuis mon dernier passage dans le village en 1863, la population catholique, qui était de 60 individus, a augmenté : elle se monte aujourd’hui à 125. » Et le voyageur décrit assez bien l’état de la paroisse :

« Ils sont sous la juridiction d’un cheikh particulier, dont le fils, âgé de 20 ans, cumule les fonctions de maître d’école, de chantre, de sacristain et d’organiste. Le curé est un jeune prêtre italien des environs de Turin qui déploie beaucoup de zèle pour développer cette paroisse naissante. Musicien lui-même, il a appris au maître d’école à jouer quelques airs sur un orgue portatif. L’église, commencée en 1863, n’est pas encore terminée. » Elle le fut peu après.

Le sacrifice des deux premiers curés a porté ses fruits : la paroisse compte aujourd’hui 800 fideles, sans mentionner les très nombreux émigrés à Jérusalem, Amman, Koweït et aux Amériques. Elle a donné aussi jusqu'à ce jour 6 prêtres, et 5 religieuses. »

(Pierre Duvignau, scj, Une vie au service de l’Église. S.B. Mgr Joseph Valerga, Patriarche latin de Jérusalem, 1818-1872, Imprimerie du Patriarcat latin, 1972, pp. 185-189)