L’histoire de Taybeh remonte à la plus haute antiquité, et le site est certainement occupé depuis l’ère néolithique. Cependant, Taybeh apparaît pour la première fois dans l’histoire, sous le nom d’ « Ophra », dans le livre de Josué (18, 21-24), une des « douze villes avec leurs villages » attribuées a la tribu de Benjamin – entre celle d’Éphraïm au Nord et celle de Juda au Sud. Ophra était donc un petit bourg dont dépendaient des villages ou hameaux – ses « filles ». Les autres mentions bibliques sont au premier livre de Samuel, lorsque Saul, nouveau roi d’Israël, se soulève contre les Philistins ; puis lors d’une des tragédies domestiques qui secouent la maison de David : Tamar, sœur d’Absalon, fils du roi, est violée par leur demi-frère Amnon, Absalon rumine sa vengeance et deux ans plus tard tend un guet-apens mortel a Amnon, près d’Ephraïm. Ensuite le village apparaît au deuxième livre des Chroniques racontant une défaite de Jéroboam, roi d’Israël, face a Abiyya, roi de Juda, et réapparait au premier livre des Macchabées, cette Iliade juive : c’est au pied du mont Azara, le Baal-Hassor ou Tell-Assour tout proche de Taybeh, que périt Judas Macchabée, héros de la résistance juive face aux persécuteurs syriens.

Mais la grande gloire de Taybeh vient plus tard : c’est d’avoir été le dernier refuge du Christ avant de monter à Jérusalem pour l’ultime Pâque… En effet, après la résurrection de Lazare a Béthanie, le Sanhedrin a décidé la mort de Jésus : « Aussi, Jésus cessa de circuler en public parmi les Juifs ; il se retira dans la région voisine du désert, dans une ville appelée Ephraïm, et y séjourna avec ses disciples. » (Jean 11, 54) Dernière retraite avec ses disciples avant les événements dramatiques de Jérusalem. Aussi laconique est Jean, aussi prolixe est la voyante italienne Maria Valtorta (1897-1961) : c’est tout le séjour de Jésus et des apôtres à Ephraïm qui est décrit par le menu jour après jour. Accueillis par une vieille femme pauvre, Marie de Jacob, ils passent ensemble les dernières semaines avant Pâque. Pourquoi Ephraïm, en Samarie ? Parce que le village, a la frontière de la Judée, échappe cependant aux autorités juives de Jérusalem. Il fera son entrée triomphale à Jérusalem le dimanche des rameaux, pour ses derniers jours de mortel.

Les habitants de Taybeh sont fiers de faire remonter leur conversion au séjour même de Jésus. Ce qui est très probable, c’est qu’Ephraïm fit partie des « nombreux villages samaritains » évangélisés par les apôtres Pierre et Jean (Actes des Apôtres 8, 25). Eusèbe de Césarée, chez saint Jérôme, mais aussi la mosaïque de Madaba, ainsi que les ruines d’une église byzantine dont le baptistère monolithe remonte au 4e siècle, témoignent de l’antiquité chrétienne de Taybeh. De la prise de Jérusalem par les croisés en 1099 a sa chute devant Saladin en 1187, Ephraïm est une place forte des chevaliers francs, le « château de Saint-Helyes qui anciennement eu nom Ephron. »

Le changement de nom d’Ephrem en Taybeh date de la prise de Jérusalem par Saladin, passant d’Ofra ou Afra se rapprochant en arabe d’ « afrit », « démoniaque », a Taybeh-el-Essem, « de bon nom ». Saladin aurait distingué, dans la foule des Francs prisonniers, un groupe fort abattu qui le frappa, et aurait questionné à leur sujet. On lui répondit que c’était les gens d’Ophra. Grand seigneur, il aurait eu ce mot consolateur : « Non pas Ophra, démoniaque, mais Taybeh-el-Essem, de bon renom ! »

Pendant les siècles musulmans, les chrétiens, petite minorité isolée et mal desservie par un clergé médiocre, ne se différenciant que par leur appartenance clanique. Parce que telle tribu est chrétienne, tous ses membres le sont. Siècles de décadence et de syncrétisme – ainsi les musulmans faisaient baptiser leurs enfants à El-Khader, la tradition assurant que cela les rendait forts…- dont témoignera l’état des chrétientés autochtones au 19e siècle. Mais feu couvant sous la cendre, que l’immense effort missionnaire à partir du 19e siècle ravivera de sa plus belle flamme – avec son émulation entre catholiques, orthodoxes et protestants. En effet, le vent se lève avec la restauration du Patriarcat latin de Jérusalem en 1848. Le premier patriarche, Monseigneur Joseph Valerga, soutenu par des missionnaires intrépides comme le père Jean Morétain, fonde des missions latines tous azimuts.

Des 1860, le premier missionnaire latin ouvre la paroisse latine de Taybeh, dont la population orthodoxe deviendra en un siècle majoritairement latine – catholiques auxquels s’additionneront ensuite les melkites. L’explorateur Victor Guérin témoignera, lors de son deuxième passage a Taybeh en 1874, de cette épopée missionnaire : « Depuis mon dernier passage dans ce village en 1863, la population catholique, qui était alors de 60 individus, a augmenté : elle se monte aujourd’hui a 128. Ils sont sous la juridiction d’un cheikh particulier, dont le fils, âgé de vingt ans, cumule les fonctions de maître d’école, de chantre, de sacristain et d’organiste. Le curé est un jeune prêtre italien, des environs de Turin, qui déploie beaucoup de zèle pour développer cette paroisse naissante. Musicien lui-même, il a appris au maître à jouer quelques airs sur un petit orgue portatif. L’église, commencée en 1863, n’est pas encore terminée, faute de fonds pour en achever la construction, et l’office se fait dans la salle qui sert d’école. J’assiste le soir à un salut donné dans cette humble chapelle provisoire, qui retentit des sons de l’orgue et des voix perçantes et gutturales de plusieurs petits Arabes transformés en enfants de chœur. »

Aujourd’hui, après un fort développement pastoral latin mais aussi par émulation grec catholique et orthodoxe, les quelques mille quatre cent Taybaouis et les enfants de chœurs se partagent entre trois paroisses : environ huit cent latins, quatre cent cinquante orthodoxes, cent cinquante melkites…