La création séculaire, humaniste, extérieure à l’Eglise est épuisée ; elle s’est partout engagée dans une impasse. La culture est devenue triviale. Les meilleurs hommes sont tourmentés par l’attente passionnée de l’éternité. Cela signifie que l’on est à l’orée de l’époque de la création ecclésiale, chrétienne, divino-humaine. L’Eglise ne peut pas demeurer un coin de vie, un coin d’âme. Nous espérons que tout le rapport créateur et transfigurant à la vie passera du monde à l’Eglise. L’image de l’homme et la liberté de l’homme, anéanties par le processus qui se déroule dans le monde, ne peuvent être gardées et mises en valeur que dans l’Eglise. Dans la civilisation sans Dieu, l’image de l’homme et la liberté de l’esprit seront vouées à la ruine, la création se tarira ; la barbarisation a déjà commencé. Une nouvelle fois, l’Eglise devra sauver la culture spirituelle, la liberté spirituelle de l’homme. C’est précisément cela que j’appelle l’avènement d’un nouveau moyen age. La volonté de transfigurer la vie, non seulement personnelle mais aussi sociale, et la vie du monde se fait jour. Et cette pieuse volonté ne se laisse pas arrêter par la conscience de l’impossibilité du Royaume de Dieu sur la terre. Le Royaume de Dieu se réalise dans l’éternité et à tout instant de la vie, indépendamment de savoir dans quelle mesure la puissance du mal triomphe extérieurement. Notre tache consiste à dédier toute notre volonté et toute notre vie au triomphe des forces du bien, à la vérité du Christ en tout et partout.

Nicolas Berdiaev. Salut et création, deux compréhensions du christianisme. 1923.