Je disais seul

J’errais sur la terre nourricière et la voyais infertile

J’errais dans les parages de la vie

Et morts je nous croyais

Et morts nus je nous voulais en vérité

Quand j’ai commencé de plonger ma gueule dans l’eau froide

Quand j’ai commencé de goûter l’amertume

Combien d’existences j’ai pressenties

J’ai rêvées

Quand sue l’infortune de la décréation

Combien j’ai blasphémé

Je me disais : Seul

Je te nous disais : Seul et Seul

J’ai hurlé sans savoir vers qui ni où ni comment

Et l’océan des intérieurs éternels m’a répliqué

Je l’ai entendu, à moi il s’est manifesté

Je lui voyais sa couleur sombre de matière

Je la lui voyais si bien sa forme magique

Ses traits durs Sa face mobile Son œil inerte

Son œil blanc balancé dans sa lourde face recousue

J’appartiens aux vents parmi les vents

Tout passe Il n’est rien que je retienne

Je n’ai rien voulu garder de la philosophie bleue

Rien de la pensée volatile mégère

Rien que je ne tâte Rien que je ne sniffe

Rien que je ne roule dans ma bouche

Et sous la langue qui se déchire

Ô attraits nouveaux des atomes réenchaînés

Ô filiation non morganatique de la seule matière

Moi aussi, entre deux miroirs j’ai aperçu l’absence

Moi aussi, l’Ombre je la connais j’y ai dîné

Moi aussi, l’infini m’a démasqué

J’étais agneau et je connais

Le Gardien des loups

A présent

Il m’aime Il me l’a dit

Ne dit-il pas qu’il aime le monde

Tout le monde Qu’il sait l’avenir

Et oublier le passé

La poussée des sortilèges dans le vague d’ici-bas

Les mots que nous ne prononçons plus par crainte

La fièvre dans l’âme N’a-t-il dit de tout cela

Qu’il le détruira

Est-ce qu’il n’est pas mon père

Mon frère neuf Ma bessonne

Mon deuxième Le joint qui me retient

Qui me lie qui m’attache à ce monde

La terre prolifiera sous son ombre

Les mers se changeront en océan

Les arbres croîtront jusqu’à de leurs bras

Enlacer la voûte firmamente

Les insectes dépériront La morsure se fera rare

Nous aurons les doigts chargés de merveilles

Le visage tanné

Nous ne chanterons pas ses œuvres

Elles se loueront d’elles-mêmes

Au fond de nous Chacun de nous