Je vis donc que l’on bâtissait des maisons avec du verre, de l’acier, du métal chromé au lieu de briques et de pierres. Et je vis que chaque genre d’hommes se bâtissait la maison qui lui convenait. Et je compris à cela que les hommes évoluent beaucoup plus vite que les autres êtres.

Depuis la création du monde, les oiseaux bâtissent leurs nids, les araignées tissent leurs toiles, les hamsters creusent leurs trous, les renards leurs terriers, les fourmis leurs fourmilières, et tous à leur manière. Les hommes, au contraire, commencèrent par habiter dans des cavernes, puis dans des huttes, ensuite dans des maisons, et maintenant ils vivent dans des cages. Des cages de verre et d’acier.

« Faites entrer le soleil ! » disent-ils. Une phrase aussi folle que celle dont nous avons déjà parlé, comme « La religion est l’opium du peuple » et « L’instruction c’est le pouvoir ».

On n’est pas prisonnier dans une caverne, dans une hutte, dans une maison. Dans une cage, on est prisonnier. C’est un peu comme si, au moment même où il commence à s’élever dans les airs comme un oiseau, à se sentir libéré de toutes les chaînes terrestres, l’homme en était puni par son désir de subir ce malheur qui frappe parfois aussi les oiseaux : le désir de vivre en cage.

L’homme nouveau, c'est-à-dire celui sur lequel l’Antéchrist commence à avoir déjà une action, cet homme nouveau dit : « Laissez le soleil entrer ! », comme s’il n’était plus capable de jouir du soleil à tout moment, quand cela lui convient, de quitter sa maison.

Les cages sont faites de verre et de tubes de métal parce que les animaux emprisonnés ne peuvent jouir de l’air et du soleil à chaque fois qu’ils en ont besoin. Cependant, si l’homme se construit volontairement une cage, il faut qu’il y ait déjà en lui le sentiment d’être à proprement parler un prisonnier. Et même s’il a la clef de ces cages modernes, il est malgré tout prisonnier.

Et cependant : qui le retient prisonnier et le fait s’enfermer, en apparence volontairement, dans une cage ?

C’est l’Antéchrist qui le tient prisonnier.

Joseph Roth. L’Antéchrist. 1934.