Entretien avec Joël Schmidt

Auteur de François d’Assise ou le miroir du monde (Desclée De Brouwer, 2009)

«Plus que jamais le Poverello est un homme d'aujourd'hui. »

1. « Je suis d'une famille mixte: père protestant (ayant écrit beaucoup sur le protestantisme et notamment un Calvin) mère catholique et cela depuis le XVIIIème siècle. C'est mon père, esprit très religieux qui m'a enseigné le Poverello, à travers une très belle édition des années 1920, des Fioretti qu'il avait achetée dans sa première jeunesse. C'est donc exclusivement pendant très longtemps à travers les Fioretti que j'ai abordé l'image et l'enseignement de saint François. Puis est venu un voyage à Assise, cette colline inspirée, eut écrit Barrès, et en Ombrie. J'y ai retrouvé un paysage certainement très peu changé depuis le XIIème siècle. Puis ce furent les Editions Desclée De Brouwer auxquelles je proposais un Saint Augustin - je suis spécialiste de l'Antiquité - et qui me proposèrent alors, en raison du huitième centenaire de l'Ordre franciscain, un Saint François. De sa vie, à part les Fioretti, je ne connaissais guère les sources, et c'est moi qui suis alors entré, au commencement, dans la vie de saint François plutôt qu'il n’est entré dans ma vie. »

2. « Je suis plutôt rattaché à la confession calviniste et le Poverello m'a paru, parmi tous les saints, celui qui me paraissait le plus proche. Parce qu'il n'est pas un saint combattant, comme saint Dominique, parce que c'est un homme libre de parole et d'esprit, parce que s'il a été contraint par la force de son succès à cette fondation d'un ordre, qu’il ne souhaitait pas vraiment, préférant garder sa liberté vis à vis des autorités de l'Eglise, tout en s'y soumettant. Parce qu'il n'est pas prêtre, mais seulement clerc, et que les franciscains qui l'entourent sont de toutes origines sociales et ne sont pas non plus tous consacrés. C'est le côté spontané de saint François, sa méfiance déclarée à l'égard des ordres parce qu'il craint qu'un ordre franciscain ne s'enrichisse, alors qu'il prêche le retour à la pauvreté évangélique, qui ont séduit en moi quelque peu le huguenot d'origine. J'y ai vu tout simplement en ces temps de combats contre les Vaudois puis contre les Cathares, un pré-réformé, un homme qui a compris que l'Eglise doit se ressaisir. Certes il n'est ni Luther, ni Calvin, il n'aurait pour rien au monde brisé son allégeance au pape et à l'Eglise, mais il sent une demande générale pour une réforme de l'Eglise dans le sens d'un retour aux principes de l'Evangile. »

3. « L’héritage essentiel de François, c’est que rien dans une religion et son organisation ne doivent être immuables, que le christianisme doit être en perpétuel mouvement, sinon il se sclérose. Qu'il n'y a pas de dogmes qui prévalent au-dessus de la parole évangélique, mais cette question rejoint la suivante. »

4. « Plus que jamais le Poverello est un homme d'aujourd'hui en ces temps de surconsommation qui ont entraîné la crise économique mondiale que l'on sait. C'est un homme qui déteste le gaspillage, qui se fait mendiant avec ses frères pour assurer sa subsistance, sans en vouloir davantage. En nous enseignant la pauvreté, il nous enseigne en même temps l'humilité, il combat l'orgueil de l'homme qui se croit tout puissant. Il me semble très proche de ce que les communautés ou les fraternités d'Emmaüs ont tenté de faire depuis 1954 : penser aux autres, aux souffrants, aux malades, avant de penser à soi, aider, soutenir, soulager.

Son amour de la nature, sans tomber dans l'anachronisme, est une sorte d'approche étonnante d'un monde dans sa totalité et qui doit être protégé, tous les êtres vivants, jusqu'aux animaux et aux oiseaux sont frères et sœurs, même la création de la terre, dans sa forme la plus minérale, n'est pas étrangère à Dieu. Même les plantes sont vivantes. Ce respect de la nature du Poverello, c'est le premier respect qu'on doit à Dieu son créateur. Il ne faut pas non plus oublier son absence de fanatisme, comme en témoigne sa rencontre avérée avec le sultan d'Egypte en pleine Croisade, non loin de Damiette. C'est un exemple probant de dialogue interreligieux, auquel nous aspirons tous. »

5. « La place de saint François dans ma vie ? Celle d'une découverte assez inouïe d'un saint qui, dans mon enfance, avec ce beau livre à l'édition numérotée des Fioretti, était resté comme un personnage de légende, avec les moments forts qui fascinent une âme d'enfant, comme celui du dialogue avec les oiseaux ou celui du dialogue avec le loup de Gubbio. En fait, même s'il faut faire la part de l'hagiographie, ses biographes du Moyen Age, comme Thomas de Celano, en font un homme avec ses colères, ses doutes, ses angoisses, et dans sa jeunesse sa vie quelque peu dissolue, un peu comme le furent tant d'homme de la spiritualité, je pense à Pascal ou au Père Charles de Foucauld, avant de prendre le chemin de Dieu. Cet inlassable voyageur qui ne craint pas la fatigue pour dire ses convictions, ce pèlerin de la foi qui va au bout de ses forces, meurt aveugle et stigmatisé, soulève des montagnes d'incrédulités, c'est avant d'être un saint, ce titre appartient à l'Eglise qui l'a fait ainsi deux ans après sa mort, c’est avant tout un homme habité par une foi que rien ne détourne. Il est exemplaire en ce qu'il nous apprend qu'en toutes circonstances, du moment qu'on est décidé à accomplir quelque chose dans le sens du bien public ou privé, du moment qu'on s'acharne, qu'on y croit, qu'on déjoue toutes les embûches, on finit par gagner. »