Entretien avec Stan Rougier

Auteur de Saint François d’Assise ou la puissance de l’amour (Albin Michel, 2009)

« Faisons aimer l’Amour ! »

1. « François d'Assise est entré dans ma vie à deux moments de mon existence. Le premier, quand j’avais huit ans, alors que j’étais louveteau, le fanion de la meute montrait François serrant la main du loup. Cette image très parlante a été mon introduction à saint François, cet amour envers un méchant animal qu’il a rendu gentil. Le second : il y a vingt ans, pour des homélies sur France Culture, il m’était demandé cinq prédications sur un saint chrétien : j’ai choisi François. Puis un éditeur, Salvator, m’a proposé d'écrire un livre à partir de ces homélies, évidemment retravaillées et amplifiées : cela a été mon premier livre sur François. Puis quinze ans plus tard, pour Pygmalion, j’ai à nouveau refait ce livre, enfin une troisième fois pour Albin Michel, une reprise complétée, améliorée tant au niveau du contenu que du style. »

2. « François, c’est un homme qui a découvert le véritable visage de Dieu à travers Jésus-Christ et qui a compris de quel amour il avait lui-même été aimé car Dieu l’avait déjà aimé dans un genre de vie plongé dans le péché. Il a découvert le visage d’un Dieu qui pardonne et guérit mais qui ne juge pas. Sa sensibilité en a été bouleversée, un peu comme Saul de Tarse qui disait : « Il m’a aimé jusque là, il m’a fait miséricorde à moi. le dernier des derniers. » C’est la même tendresse qui a bouleversé saint Augustin et Charles de Foucauld… François veut avoir la même attitude avec les autres, car Dieu est miséricorde infinie qui invite à la miséricorde. Son cri dans les rues d’Assise : « L’Amour n’est pas aimé », devient : « Faisons aimer l’Amour ! » Les communautés qu’il fonde sont des laboratoires de tendresse, des oasis de réconciliation, ou il s’agit de se conduire en frères, de s’accueillir et de s’accepter les uns les autres : « Soyez des mamans les uns pour les autres », dira-t-il. Il a compris que Dieu est venu partager le sort des plus méprisables, des réprouvés, des condamnés, Dieu qui s’est fait non seulement homme mais pas n’importe lequel : délaissé, incompris, rejeté, comme un sans-papiers aujourd’hui… »

3. « Son héritage : Que le plus petit et le plus exclu est invité à créer un monde nouveau, ou l’on s’aime, ou l’on se pardonne, ou l’on ne se juge pas. Que chacun est invité à construire le Royaume de Dieu, à le mettre sur la terre, par la paix, la réconciliation, à répandre dans le monde les Béatitudes. François montre que l’Evangile peut être vécu, que ce n’est pas une utopie. Eloi Leclerc faisait remarquer que François n’a pas seulement retrouvé l’Evangile de la pauvreté mais l’Evangile du cantique et de l’action de grâce. Sa pauvreté n’est pas comme celle des sâdhus indiens qui se promènent tout nu par ascèse. C'est un partage de la vie des plus méprisés, des plus pauvres. Quand j’avais dix-neuf vingt ans, je couchais sous les ponts de Paris avec les clochards, j’éprouvais une joie surnaturelle, comme l’inexprimable jubilation de François lorsqu’il s’occupait des lépreux. François soignait les lépreux, et quand j’étais infirmier en Afrique occidentale ou plus tard éducateur pour des délinquants, cela partait du même élan de solidarité avec des êtres blessés. J’ai découvert François quand j’ai prêché à France-Culture, je l'ai choisi aussitôt car c’est avec lui que je ressentais le plus de choses en commun. L’amour fou de la nature, trouvant dans toute la Création la trace du Créateur. Tout fait battre son cœur, comme le gant abandonné de la bien-aimée fait vibrer l’amoureux qui le ramasse… L’héritage de François, c’est l’héritage de la joie car personne dans la chrétienté ne l’a mise à la première place comme lui, « le pauvre qui chante » (Eloi Leclerc). C'est une joie très originale, très radicale, celle dont Jésus parle : « Je suis venu pour que vous ayez en vous la plénitude de ma joie. » François nous apprend à être toujours dans la joie, à confier nos soucis dans la prière et à garder le sourire. Il applique à la perfection le précepte évangélique : « C’est a l'amour que vous aurez les uns pour les autres qu’on vous reconnaitra pour mes disciples. » Souvent les gens se détournent quand il y a une atmosphère de polémique ou d’agressivité, on entend des gens qui quittent leur paroisse car « on se tire dans les pattes », etc. François invite à ne pas laisser le sel s’affadir ! »

4. « Son message essentiel : il faut sauver l’Amour ! Faire tout pour que l’Amour soit aimé. Qu’il faut revenir aux sources et arrêter de se perdre en polémiques et anathèmes. François a l’obsession de ne pas juger, ne pas condamner, il est d’une sévérité énorme pour ceux qui jugent et méprisent. Je raffolerai qu’en cette année sacerdotale on institue pour tous les futurs prêtres une année de noviciat au cours de laquelle ils feraient chaque mois l’apprentissage d’un saint, de son enseignement et de son témoignage : Ignace de Loyola, Jean de la Croix, Thérèse d’Avila et la Petite Thérèse, Vincent de Paul…, et au moins deux mois entiers avec saint François ! Les séminaires sont beaucoup trop intellectuels, François est tout sauf intello, il se méfie de ce qui se découvre seulement par l’intelligence. Il aime beaucoup la phrase du Christ : « Béni es-tu, Père, d'avoir caché ces choses aux savants et aux intelligents, et de les avoir révélées aux petits et aux simples. » Amour, partage, simplicité, joie : voila les valeurs fondamentales à apprendre de lui si on veut bien se laisser instruire par son exemple. »

5. « Sa place dans ma vie ? J’ai passé au moins mille heures de ma vie à écrire des homélies et des livres le concernant. Je reviens souvent sur ses écrits, je lis tout ce qui parait le concernant. Mes préférés sont ceux d’Eloi Leclerc (Saint François D’assise, le retour a L’Évangile : remarquable !). François m’aide à magnifier le monde et à rester toujours dans l’action de grâce et l’émerveillement, à cultiver ce qui est positif sans m’attarder sur les ombres. Je lui dois de m’encourager à cela, ne pas faire grise mine. »