Quelquefois vous pourriez croire que je suis hostile au progrès, mais pas du tout, ce serait idiot. J’aime le progrès, je caresse l’idée du progrès. Je l’aime non tel que les hurluberlus ou les coquins nous le serinent, mais tel qu’il pourrait, par exemple, satisfaire aux vœux innocents du brave homme, lequel n’a certainement pas pour idéal d’habiter les grands clapiers rationnels de la cité radieusement concentrée ou, comme le dit avec doigté le Corbusier : rétrécie. Qu’on le veuille ou non, l’homme du XX°siècle, avant ou après Jésus Christ, reste fidèle à son rêve d’habiter une petite maison à lui, d’y loger sa petite famille, d’y faire un feu qui se voit et d’ouvrir la porte à ses amis qui arrivent par la route et non par l’ascenseur. Il a le goût du plain pied, il aime la terre, il veut que la maison soit posée dessus et non suspendue au grand perchoir collectif. Il veut son toit à lui pour y inviter qui bon lui semble. La cité radieuse est monobloc, il s’en moque, il veut que la population soit comptée par feux et que toutes les fumées ne sortent pas par la même cheminée. Idéal petit bourgeois, si ça vous fait plaisir ; mais comment appellerez vous celui des bouillons matriculaires de la cité rétrécie? Petit bourgeois est d’ailleurs un qualificatif de mieux en mieux porté, à mesure qu’en sont affublés des mots comme l’honneur, la charité, la famille, la responsabilité, l’amour, la foi, la sainteté, Dieu lui-même étant l’être infiniment petit bourgeois et suprême caution de tout idéal petit bourgeois.

Jacques Perret. Bâtons dans les roues, Gallimard, 1953., 1