Ils parent leur péché de saints noms. Leur trafic, ils l’appellent charité, semblables aux grecs qui donnaient ce nom menteur d’Euménides (bienveillantes) à des divinités sauvages et sanguinaires. De la charité, ah oui ! N’est ce pas l’intérêt qui ruine les maisons, consume les fortunes ? Qui force les hommes libres à vivre plus mal que des esclaves ? Qui, pour un jour de douceur, condamne ensuite les hommes à un tourment infini ? Les oiseaux que guette l’oiseleur se régalent des grains qu’on leur jette et reviennent assidûment à l’endroit où ils trouvent tant à picorer. Mais ils ne tardent pas à se prendre au piège et à y crever. Les personnes qui empruntent à l’intérêt vivent quelques jours d’aisance mais bientôt elles sont expulsées du foyer paternel. La pitié déserte leurs cœurs scélérats et rapaces. La vue de cette maison que l’on met en vente ne les émeut point ; au contraire, ils ne font que presser davantage le marché, afin de toucher plus vite et d’aller garrotter une autre victime. Comme ses chasseurs insatiables qui entourent un ravin de leurs filets et y reviennent prendre le gibier, pour aller retendre leurs mailles dans le ravin suivant et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’ils aient dépeuplé les montagnes. De quels yeux ce bandit peut regarder ? Comment ose t’il implorer son pardon ? Ou est ce l’inconscience qui lui fait ajouter à sa prière cette phrase que nous à enseignée le Sauveur : « Remets nous nos dettes comme nous même les avons remises à nos débiteurs » ? Oh ! combien se sont pendus à cause de l’usure, combien se sont jetés dans les flots, estimant la mort plus douce que leur créancier et laissant des orphelins sous la garde d’une marâtre odieuse, la misère. Car nos honnêtes usuriers ne font même alors pas grâce à la maison déserte, ils tiraillent des héritiers qui n’ont peut-être recueilli que la corde et exigent l’or de gens qui mendient leur pain. Et lorsqu’on leur reproche, à juste titre, la mort de leur victime, et que l’on évoque pour les faire rougir la fatale corde, ils n’éprouvent aucune honte de leur crime et conservent l’âme altière. Leur noirceur leur fait tenir ces propos scandaleux : « Est-ce notre faute, à nous, si le pauvre diable, né sous une mauvaise étoile, a trouvé dans sa destinée cette mort violente ? » Car nos usuriers sont philosophes et se font les disciples des astrologues égyptiens, lorsqu’il s’agit de justifier leur scélératesse et leur crime.

Saint Grégoire de Nysse. Sermon sur les usuriers. IV° siècle après J.C.