Si le sel s’affadit, il n’est plus bon qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds… On ferait bien de s’en souvenir, nous qui avions oublié qu’on ne peut être chrétien sans être radical, ni catholique sans être orthodoxe…

Être, c'est participer. Être, c'est participer à l'Être. Le "rien" à partir duquel nous avons été tirés n'est pas le vide glauque de la pensée post-moderne mais la plénitude inépuisable de Dieu, qui ne nous paraît sombre que par excès de lumière. C'est de cette plénitude infinie qu'est issue la Création. Le monde était à l'origine abondance et excès. L'Ecriture nous appelle à nous ouvrir à la présence phénoménale du Créateur en ce monde : la réalité est spirituelle, le réel est épiphanique, la matière et l'esprit sont inextricablement entrelacés parce que le monde seul décrit Dieu et, par conséquent, le monde est le corps médiatisé qui montre et révèle Dieu et, en le Christ, l'excès absolu de Dieu par rapport à la visibilité. Les apparences sont excédées par la présence incarnée de Dieu auquel l'homme peut participer. Tout ce qui est n'est que parce que ce qui est est plus que ce qu'il est. Tout ce qui est n'est que d'être plus que ce qu'il est. La densité des choses réelles est soutenue par une densité plus grande. Les êtres sont constitués par leur participation à l'Être. La participation est la forme qui permet à l'être créé de prendre part à une réalité qui a sa source en dehors de l'être créé et qui l'excède. Dieu a créé des êtres participants qui accomplissent leur forme en retournant à Dieu. La Création tout entière exprime l'amour et la bonté de Dieu. La Création dans sa totalité décrit Dieu et désire l'imiter. S'efforcer d'actualiser ce désir est notre seul véritable avenir. La présence de Dieu n'est pas limitée à un monde surnaturel sans lien avec la nature : elle s'étend à la phénoménalité tout entière et elle est connaissable par une vision de l'infini dans le fini – rendant l'épistémologie inséparable de l'ontologie.

La nature est déjà pénétrée et augmentée par la grâce divine, et prépare ainsi la déification de l'homme. Et puisque la déification dit la possibilité pour l'être créé d'avoir part à l'être créateur, actualiser progressivement notre condition déifiable est notre seul salut et avenir. L'esse participans exprime le caractère extatique de l'être qui est toujours plus que lui-même. Si l'on pense que les corps participent en Dieu, ils ont par là-même une signification éternelle, car vus dans la lumière de la résurrection. La Création et l'Incarnation impliquent que le monde n'est jamais limité par la réalité de la mort mais qu'il est le lieu de la médiation de l'invisible dans le visible et de la participation de l'être fini et temporel à l'être infini et éternel. Ainsi, chez les Pères de l'Eglise et la scolastique, la foi et la raison sont incluses dans le cadre plus générique de la participation à l'intellect de Dieu. La foi est une intensification de la raison, qui trouvent toutes deux leur accomplissement dans la vision béatifique. Foi et raison doivent être pensées en termes de participation de notre être et de notre connaître à l'intellect divin.

La Révélation ajoute moins à la Création qu'elle ne l'éclaire, car la Création est déjà révélatrice. Il existe une continuité entre raison et foi qui se distinguent en termes d'intensité. La vérité est une illumination intérieure qui intègre le détour par les créatures corporelles finies et la sensibilité. Ainsi tout pain est sur la voie de figurer le Corps du Christ. La volonté n'est rien d'autre que le lieu de la dynamique de la participation du fini vers l'infini. La chute n'est aucunement le résultat d'une volonté qui aurait tendu vers le mal, un mal ontologique et préexistant, mais la chute, le mal lui-même sont l'illusion d'une autonomie finie de la volonté. Cette illusion entraîne la perte de la vision de Dieu et une rupture de participation de l'être créé dans le Créateur, une altération de l'être qui se détourne de l'Être en s'envisageant autonome. La grâce est ce qui nous permet alors de réintégrer progressivement la participation à l'être divin. Dieu est par essence un être relationnel. Trinitaire, il est ipso facto communautaire et non un être solitaire. L'être est foncièrement relationnel : l'être créé n'est que par la relation, et cette relation est donnée par Dieu et actualisée avec les créatures dans le Corps du Christ dans une Eucharistie perpétuelle. La participation en Dieu implique nécessairement une participation sociale sur le plan terrestre. L'oubli de la notion de participation au sens métaphysique du terme conduit tout naturellement à l'oubli de la participation au sens politique du terme. Le christianisme qui veut renouveler l'homme individuel, l'homme intérieur, a aussi pour tâche de renouveler la communauté humaine elle-même. Il est impossible de séparer la dimension spirituelle et la dimension sociale du christianisme. Il ne s'agit pas de se retirer dans une religion de l'intériorité, mais de poser des signes visibles, dans la Cité, dans le monde du travail, entre les hommes, du Royaume annoncé par l'Evangile. L'Eglise est le site initial de cette communauté renouvelée. L'Eglise est la semence du royaume eschatologique.

La paix n'est réalisable qu'au sein de l'ecclesia qui seule permet une vie en tant que relationalité de l'amour vécu sans atomisation du dominium. La pratique chrétienne dans l'Eglise en tant qu'unique communauté universelle est telle que l'organisation interne de chaque âme, de chaque oikos et de chaque polis s'inscrit dans une continuité externe avec les autres âmes, oikei et politei, en renforçant à la fois l'internalité, l'externalité et la continuité de l'une avec l'autre. La conception chrétienne du lien social en intégrant la vocation surnaturelle de l'homme concret démontre que non seulement cette vocation surnaturelle ne corrompt pas notre condition d'êtres naturels, rationnels et sociaux, mais qu'elle la fonde. L'Eglise est en Christ comme signe efficace du projet divin de réunir l'humanité et la Création entière dans la charité. L'assemblée eucharistique est la matrice sacramentelle de l'humanité rachetée. L'homme compense par une gigantesque société de consommation son désir étiolé de communion. La civilisation de l'Amour, civitas caritatis, est la seule véritable alternative au monde que le mondialistes veulent nous imposer.

Le temps de la modernité est terminé, le nihilisme est daté, c'est l'heure du grand retour du christianisme dans la Cité des hommes.