Les balles de gomme on les attrape qui rebondissent doucement sur le bitume chaud, comme si jetées dans un filet - elles ont perdu leur force.

Les brigades anti-émeutes qui tirent, mais qui... de si loin. Ce n’est pas qu’il est désagréable de les affronter, là-bas, cinquante mètres, bien en face, groupes de dix environ, qui faisant la tortue derrière ses boucliers, qui contrefaisant les chleus par-dessous ses casques, qui font les gueux avec leurs matraques, ainsi des gourdins.

Et leurs fusils à gomme. C’est juste un plus pur sentiment envahissant que jamais ; de joie, de frénésie. C’est mieux que l’hystérie. Ou bien sentiment de mort, mais de la sienne, oh non, pas de la leur, on s’en fout si bien de leur vie, on la tient pour si peu que c’en est presque rien. Non, on court là, les mains nues, vers eux, jusqu’à arracher même la pierre des murs pour s’en faire des jets et des drus, pour inventer encore une fois nos armes, bouteilles de bière ou barres d’échafaudage en bélier dans la banque. non, on est si bien, seul à courir à eux, et à se retourner, et à reculer, et à fuir et à dresser des barricades si fictives, si fragiles.

Oh, nous, ce si grand soir ! Oh Barcelone, pleine Barcelone.

On est si bien et sans souvenirs. Et ça n’est pas pour qu’on leur ressemble, à eux, les révolutionnaires,c’est pour comment-vivre, comment dire, c’est pour comment-savoir-vivre, c’est pour savoir-comment-vivre, c’est par forme de vie, c’est pas eux, c’est moi et moi et ça fait nous, comme ça.

Et toi t’es moi et il y a rien chose d’autre dans la vie. Enfin. Pas la haine, ni plus de miroir-glace, ni plus de père à perdre. On nous construit, nous, mon assemblable, mon frère. Et monter à l’assaut, c’est descendre dans moi.

Et nous, voilà qu’on nous existe, voilà ta tête pleine d’étincelles sous la matraque et tu crépites et on se redevient. Et toi ma femme, qui aussi est si là, tu es si cent, tu es tant mille, qui fus Armide ou Clorinde, sais pas, mais tu vas avec moi et devant moi.

Oh nous, cette si haute joie, oh nous Barcelone, vaine Barcelone. Voilà qu’on fuit et loin, loin de moi, les voitures de police, elle se rapprochent, elles sont là, derrière toi, qu’on n’avait pas su voir venir. Nous sommes sans visage, ils ne trouveront rien. Nous ne pouvons pas mourir, pas avant ceux du moins... ceux qu’on détruit.

Si pure la voiture blanche que nous avons retournée et tu poussais près de moi et si loin les sirènes et ce monde ne passera

Que je n’ai crié encore une fois Viva l’anarchia

Oh moi dans toi oh nous cette si longue fois oh Barcelone reine Barcelone

On ne nous verra pas.