Quelle leçon en tirer quant à l’usage chrétien des armes ? Saint Thomas d’Aquin enseigne à raison que la vertu de force consiste davantage à supporter qu’à attaquer : c’est pourquoi l’acte suprême de force, c’est le martyre. Mais la patience peut aussi exiger que l’on sorte l’épée : le cliché selon quoi un saint en saurait toucher aux armes matérielles est absurde et ravageur, car il laisse croire qu’on ne peut en faire qu’un usage brutal et injuste. Saint Thomas précise la double logique de la patience : « Il y a deux façons de ne pas résister au mal. La première consiste à pardonner une injure personnelle. Cette manière d’agir peut intéresser la perfection, quand elle est suggérée par le salut d’autrui. La seconde consiste à tolérer patiemment l’injure que l’on fait aux autres : cette manière d’agir relève de l’imperfection ou même est vicieuse, si l’on est en situation de pouvoir résister à celui qui inflige cette injure. » Il faut donc parfois se battre, et il peut être licite, et même obligé, en certaines circonstances, de prendre les armes terrestres.

Mais pour le saint, y a-t-il d’autre issue que la résistance passive ? User du glaive ou du fusil, même en état de légitime défense, n’est-ce pas une faiblesse ou du moins le signe d’une vertu imparfaite, quand le Christ lui-même n’a pas usé de ce droit à la légitime défense, et que les Apôtres s’offrirent tous aux bras de leurs persécuteurs sans leur opposer d’autres armes que celle de la parole ? Ainsi, pour certains, la guerre matérielle ne serait jamais juste, ou relèverait d’une justice basse et mondaine sans rapport avec la vraie justice, divine… Charles Péguy répond à ces derniers : « Celui qui fait jouer la prière et le sacrement pour se dispenser de travailler et d’agir, c’est-à-dire en temps de guerre de se battre rompt l’ordre de Dieu même et le commandement le plus antique. » Si le quiétisme sépare la religion de l’action temporelle, le fanatisme les confond et fait de la violence le moyen propre de l’extension du règne de Dieu : l’attitude chrétienne juste rejette ces deux extrêmes. Ecoutons donc encore la Louange à la nouvelle milice que composa jadis saint Bernard de Clairvaux : « A vrai dire, quand par les seules forces matérielles on s’oppose courageusement à un ennemi terrestre, je ne vois là rien d’étonnant ni de rare. Et même quand les forces de l’âme déclarent la guerre aux vices et aux démons, cette lutte est certes louable, mais non extraordinaire, puisque nous voyons que le monde est plein de moines. Mais quand l’homme intérieur et l’homme extérieur ceignent tous deux bravement leur glaive, revêtent avec fierté leur uniforme, qui ne jugerait digne de toute admiration un engagement si nouveau ? Soldat sans peur, sûr de tous côtés, qui cuirasse son corps de fer et son âme de foi ! » Comment ne pas appliquer cette description aux soldats mexicains du Christ-Roi ?

On connaît bien les vers de Péguy : « Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle, / Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre. » Dans quelle mesure le recours aux armes est-il pour les chrétiens possible et même nécessaire ? Quelle violence est justifiée, voire juste ?

Le Catéchisme de l’Eglise Catholique (§ 2302-2330) justement rappelle en la réactualisant la doctrine traditionnelle de la « guerre juste » notamment élaborée depuis saint Augustin : « On ne saurait dénier aux gouvernements, une fois épuisés toutes les possibilités de règlements pacifiques, le droit de légitime défense ». Mais qu’en est-il pour la société civile, dans le cas de la résistance à l’occupant par exemple, mais aussi, cas ô combien délicat, dans le cas ou l’Etat lui-même, tyrannique ou totalitaire, s’en prend à ses propres sujets ou citoyens ? Le Catéchisme de l’Eglise catholique rappelle aussi le droit et même le devoir de résistance civile à la tyrannie et précise les conditions du recours aux armes (§ 2242-2243) que les Cristeros remplissaient a posteriori pleinement. On se souviendra aussi à ce sujet de la théorie du tyrannicide chez saint Thomas d’Aquin par exemple, et c’est cette légitimation sans doute qui assura dans son acte le héros cristero José de Leon Toral lorsqu’il vida son pistolet sur le général-président Obregon, « Caudillo de la Revolucion » et dictateur du Mexique. Y a-t-il donc une « légitime défense sociale » contre la tyrannie, une « guerre civile juste » à laquelle s’appliqueraient par analogie les mêmes critères de discernement et de légitimité que pour les guerres entre Etats et nations ? Y a-t-il un droit à la rébellion, à la résistance armée ? Peut-on être saint et guérillero ? L’Eglise a répondu par l’affirmative en canonisant et béatifiant des combattants parmi les martyrs de la Cristiada.

Pour éclairer cette question, il faut relire ce que dit le Catéchisme de l’Eglise catholique (§ 1897-1904) du devoir d’obéissance à l’autorité légitime: s’il rappelle avec saint Paul la force de ce devoir (« Que tout homme soit soumis aux autorités qui exercent le pouvoir, car il n’y a d’autorité que par Dieu et celles qui existent sont établies par Lui. Ainsi, celui qui s’oppose à l’autorité se rebelle contre l’ordre voulu par Dieu, et les rebelles attireront la condamnation sur eux-mêmes. » Romains 13, 1-2), il en trace avec saint Thomas d’Aquin les justes limites : « La législation humaine ne revêt le caractère de loi qu’autant qu’elle se conforme à la juste raison ; d’où il apparaît qu’elle tient sa vigueur de la loi éternelle. Dans la mesure où elle s’écarterait de la raison, il faudrait la déclarer injuste, car elle ne vérifierait pas la notion de loi ; elle serait plutôt une forme de violence. » ( Somme théologique 1-2, 93, 3, ad 2) Selon le Catéchisme, l’autorité ne s’exerce légitimement que si elle recherche le bien commun du groupe considéré et si, pour l’atteindre, elle emploie des moyens moralement licites. S’il arrive aux dirigeants d’édicter des lois injustes ou de prendre des mesures contraires à l’ordre moral, ces dispositions ne sauraient obliger les consciences. « En pareil cas, l’autorité cesse d’être elle-même et dégénère en oppression. » (Pacem in terris 51) Jean-Paul II a lui-même fermement condamné un certain pacifisme : « Si paradoxal que cela paraisse, celui qui veut profondément la paix rejette tout pacifisme qui serait de la lâcheté ou la simple préservation de la tranquillité. Ceux en effet qui sont tentés d’imposer leur domination rencontreront toujours la résistance d’hommes et de femmes intelligents et courageux, prêts à défendre la liberté pour promouvoir la justice. »

Le Catéchisme de l’Eglise catholique (§ 2263-2267) énonce par ailleurs la doctrine de la « défense légitime des personnes et des sociétés » comme droit mais aussi comme devoir : « En plus d’un droit, la légitime défense peut être non seulement un droit, mais un devoir grave pour qui est responsable de la vie d’autrui. La défense du bien commun exige que l’on mette l’agresseur hors d’état de nuire. » Le Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise rappelle la même doctrine sur l’autorité et sur la guerre. Le recours à la violence apparaît donc, dans certains cas particuliers et une fois épuisés tous les autres moyens pacifiques, pouvoir être dans de justes et étroites limites, un droit et même un devoir. En s’en tenant aux faisceaux de critères établis par le Catéchisme et la Doctrine sociale de l’Eglise éclairés par toute la Tradition, on peut donc penser que l’insurrection cristera fut juste et légitime, voire nécessaire : si l’Eglise distingue soigneusement depuis toujours la mort au combat du martyre, c’est ce droit à la résistance armée qui peut même être un devoir grave qu’elle a reconnu en élevant à la gloire des autels parmi les Cristeros morts martyrs des guérilleros. Heureux donc, ceux qui sont morts chantant les éloges et Dieu et tenant en main l’épée à deux tranchants, comme dit le Psaume 149…