Demain le Christ : c’est notre espérance et notre horizon – la seule fin de l’histoire, la Parousie. Benoît XVI l’a rappelé encore une fois dans un livre prophétique - parce que messianique. Retourner a Jésus, repartir du Christ : tel est le seul avenir du christianisme.

S’il y a une chose qui frappe à la lecture de Jésus de Nazareth , méditation personnelle de Benoît XVI, c’est sa constante condamnation du projet moderne en tant que tel. Dans ce livre, l’adjectif moderne y désigne systématiquement le projet démiurgique, prométhéen, diabolique et antichristique de se passer de Dieu et de se rendre maître et possesseur de la terre et de soi-même, ce projet d’émancipation de l’homme de toute transcendance et de mainmise totale sur l’univers et lui-même. Le terme moderne ne désigne donc pas autre chose que la modernité, c’est-à-dire ce mouvement historique de sécularisation de toute l’existence humaine et d’exploitation démesurée de la nature par la nouvelle science et sa technologie. Et cela, le pape le juge fondamentalement mauvais, antinaturel et antichrétien, c’est-à-dire contraire à la loi naturelle comme à la loi divine, à la raison comme à la révélation : « Le monde grec, dont la joie de vivre éclate de façon si merveilleuse dans l’épopée d’Homère, avait néanmoins profondément conscience que le vrai péché de l’homme, le danger majeur qui le menaçait était l’hybris, cet orgueil démesuré et présomptueux par lequel l’homme s’élève lui-même au rang de divinité, veut être son propre dieu, afin de posséder pleinement la vie et de jouir jusqu'à épuisement de tout ce qu’elle peut bien offrir. Cette conscience que la vraie menace qui pèse sur l’homme réside dans l’étalage qu’il fait de son arrogance triomphante, qui semble une évidence au premier abord, la personne du Christ lui donne toute sa profondeur dans le Sermon sur la montagne. »

Le projet moderne, reproduisant à une échelle renouvelée le premier geste de révolte et d’autodivinisation de l’humanité décrit dans la Genèse, est foncièrement satanique et intrinsèquement mauvais. Et si ce n’est pas le sujet central de l’essai de Benoît XVI sur l’authentique Jésus face a toutes les errances du « Jésus historique » que l’on a opposé au « Jésus de la foi » (que d’avatars pour le Fils unique !), ces considérations antimodernes faites tout en passant n’y sont jamais contredites par des atténuements ou atermoiements du type « bien sûr nous ne rejetons pas tout dans la modernité, il y a des aspects positifs etc. ». Et c’est une bonne nouvelle, une mise au clair salutaire pour nous autres chrétiens, fidèles de l’Eglise catholique à qui on a rebattu les oreilles d’un aggiornamento qui serait ouverture au monde et positive attitude face à un monde plus injuste, plus autosuffisant, plus agnostique que jamais. Alors que c’est tout le contraire : le Concile Vatican II, malgré toutes les déviations, subversions et sabotages qui l’ont suivi (l’ennemi s’est déchaîné et a frappé fort, voulant tuer dans l’œuf cette grande offensive), a été le laboratoire et le départ d’une nouvelle attaque de la chrétienté contre le monde et son prince, que Jean-Paul II a bien nommée « nouvelle évangélisation ». Et s’il y a nouvelle évangélisation, c’est qu’il y a massive apostasie et nouveau paganisme. S’il faut bâtir une nouvelle civilisation, la civilisation de l’Amour, c’est bien qu’il y a nouvelle barbarie. Et il se pourrait qu’après l’apogée de la barbarie sociale au XXe siècle, le XXIe siècle voit l’acmé de la barbarie libérale – ou plus probablement, une réunion du pire des deux systèmes, comme la Chine est en train de l’expérimenter à grande échelle : le libéral-communisme ou capitalisme totalitaire. Depuis Léon XIII au moins, la papauté a renvoyé dos à dos ces Charybde et Scylla, et l’actuel héritier de Pierre n’est pas en reste sur la questions : « Le Sermon sur la montagne soulève la question de l’option fondamentale du christianisme, et nous qui sommes les enfants de notre époque, nous répugnons intérieurement à cette option, même si nous ne sommes pas insensibles à l’éloge des doux, des miséricordieux, des artisans de paix, des purs. Pourtant, après l’expérience des régimes totalitaires, de la brutalité avec laquelle ils ont écrasé les hommes, raillé, asservi, frappé les faibles, nous sommes à nouveau à même de comprendre ceux qui ont faim et soif de justice, nous redécouvrons l’âme de ceux qui sont dans l’affliction et leur droit a être consolés. De plus, face aux abus du pouvoir économique, face aux actes de cruauté d’un capitalisme qui ravale les hommes au rang de marchandises, nos yeux se sont ouverts sur les dangers que recèle la richesse, et nous comprenons de manière renouvelée ce que Jésus voulait dire quand il mettait en garde contre la richesse, contre le dieu Mammon qui détruit l’homme et qui étrangle entre ses horribles serres de rapace une grande partie du monde. »

Le libéralisme est un, comme l’a encore récemment démontré le prophète Michéa : le libéralisme politique, incarnée surtout par la gauche, inscrit dans la sphère politique et culturelle toutes les destructions avancées de la nature et de la dignité humaines que le libéralisme économique, représenté essentiellement par la droite, impose a l’espace social. La collusion croissante de la droite et de la gauche dans un bipartisme qui n’est qu’alternance unique a créé un nouveau monstre, Janus biface, qui au crime économique ajoute le vice social - ou sociétal, comme on dit de nos jours. Si bien que, de même qu’à ses débuts prometteurs, la société libérale n’est jamais apparue comme autre que l’alliance funeste de Talleyrand et Fouché – « le vice appuyé au bras du crime » ! Alors, ce livre oublié d’un prêtre intransigeant du XIXe siècle, renvoyé dans les ténèbres de la réaction par nos bonnes âmes tolérantes, apparaît a posteriori comme prophétique : Le libéralisme est un péché ! Si les catholiques, au lieu de se rallier au monde, au progrès et aux idéologies du développement, avaient su se maintenir dans cette ligne, peut-être n’auraient-ils pas abandonné ni perdu la défense des travailleurs ainsi que celle de la nature, spoliés et détruits par l’arrogance moderne et le cancer industriel, et défendus principalement par une certaine gauche extrême à laquelle on a laissé un quasi monopole sur ces questions. Et ce monopole a quelque chose de louche, comme s’il y avait eu une entente objective entre capitalisme et socialisme pour avancer par alternance et concurrence dans une même direction – la rivalité mimétique de René Girard en dirait long sur la question, appliquée aux relations entre les deux grandes tendances du monde moderne ! Pourtant, il y en a eu, des catholiques sociaux, des socialistes chrétiens, des apôtres du monde ouvrier, et bien peu et bien tard sont ceux que l’on peut accuser de connivence avec le marxisme ! Mais libéralisme et communisme, gauche et droite, étaient unis dans l’étranglement et la liquidation d’un même monde, l’ancien monde de la nature et de la religion – comme l’a bien montré et revendiqué Karl Marx dans ce passage fameux du Manifeste du Parti communiste ou il décrit de façon positive la force proprement révolutionnaire de la bourgeoisie, destructrice de tout l’ordre ancien… L’homme est doublement aliéné, comme dit la scolastique : il est spoliatus supernaturalibus et vulneratus in naturalibus, surnaturellement spolié et blessé dans sa nature. De leurs deux mains criminelles, les forces démoniaques à l’œuvre dans l’histoire tentent ainsi de le détruire totalement – nature et surnature. Et ce que montre encore Michéa, last but not least, c’est que, de même que les utopies du paradis terrestre ont fait redéborder l’enfer sur terre, l’idéologie libérale pseudo réaliste du moindre mal arrive au dommage maximum.

C’est exactement ce que décrivait Robert-Hugh Benson (1871-1914) dans ce roman d’aventures – ainsi qu’il le désignait lui-même – apocalyptique que l’on devrait faire lire dans tous les collèges : Le Maître de la Terre. Ecrit et publié en 1907 par le monseigneur des lettres anglaises, il ouvre la voie à la littérature de la contre-utopie qui suivra de loin en loin : Nous autres d’Eugène Zamiatine, Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley, 1984 de George Orwell… Mais il est remarquable que le premier roman visionnaire de cette sorte soit justement catholique ! Ce qu’il y décrit, avec les mots de son temps et un véritable génie littéraire, c’est la domination mondiale du projet moderne d’absolue maîtrise de soi et du monde : bref, le rêve maçonnique atteint, l’athéisme généralisé, le matérialisme divinisé, l’humanisme réalisé ! Mais, bien entendu, au lieu de parvenir au bonheur mondialisé, c’est tout au contraire le totalitarisme, la barbarie et la persécution qui sourdent… « Parce que les hommes ne cessent d’aspirer à s’émanciper de la volonté de Dieu pour ne suivre qu’eux-mêmes, la foi ne cessera d’apparaître comme contredisant le ‘monde’, c’est-à-dire tous les pouvoirs établis du moment et, de ce fait, à toutes les périodes de l’histoire, on sera persécuté pour la justice », prévient encore Benoît XVI.

Très proche, par le ton, la vision et l’époque – puisqu’il fut rédigée en 190 ? – du roman de Benson, Benoît XVI cite, à l’occasion de son commentaire des tentations du Christ au désert – ou se condensent, dans les propositions et promesses du séducteur, les principaux traits de la tentation moderne - le Court récit sur l’Antéchrist de Vladimir Soloviev (1853-1900) qu’il écrivit l’année même de sa mort. En effet, de même que le tentateur cite les Ecritures, le diable y est théologien : docteur honoris causa en théologie de l’université de Tübingen, c’est un grand expert de la Bible – qui s’entend mieux que personne à la vider de tout contenu surnaturel et à la ramener aux dimensions strictement humaines d’une morale naturelle, d’une sagesse rationnelle… Jésus serait en fait un sympathique réformateur tolstoïen, quelque chose comme un précurseur du Mahatma Gandhi et du Dalaï-Lama… « Insensiblement on fait de Jésus un ‘apôtre du progrès’, un maître de sagesse qui, en se servant d’histoires et de métaphores faciles a retenir, inculque a ses auditeurs des maximes morales et une théologie simplifiée. Mais rien ne ressemble moins a Jésus ! », s’insurge l’exégète catholique Joachim Jeremias , suivi par Charles W. F. Smith qui fait justement remarquer contre cette exégèse humaniste : « On n’eut pas crucifié quelqu’un qui racontait des histoires agréables pour enseigner une morale de prudence. » « De nos jours, observe ainsi le pape contre cette interprétation libérale, la Bible est assujettie au critère de la prétendue vision moderne du monde, dont le dogme fondamental est que Dieu ne peut nullement agir dans l’histoire, et que, par conséquent, tout ce qui le concerne est à reléguer dans la sphère du subjectif. » Le saint père continue : « Le tentateur n’a pas la grossièreté de nous inciter directement à adorer le diable. Il nous incite seulement à choisir ce qui est rationnel, à donner la priorité a un monde planifié et organisé, ou Dieu en tant que question privée peut avoir une place, sans avoir pour autant le droit de se mêler de nos affaires essentielles. Soloviev attribue un livre à l’Antéchrist, Le Chemin public vers la paix et le bien-être du monde, livre qui devient pour ainsi dire la nouvelle Bible dont le contenu véritable est l’adoration du bien-être et de la planification raisonnable. » « Ici se manifeste clairement le cœur de toute tentation : la mise à l’écart de Dieu qui, face à tout ce qui, dans notre vie, apparaît plus urgent, semble secondaire, voire superflu et ennuyeux. Mettre de l’ordre dans le monde par soi-même, sans Dieu, ne compter que sur soi, n’admettre comme réelles que les réalités politiques et matérielles en écartant Dieu comme illusion, telle est la tentation, qui nous menace sous de multiples aspects. La nature de la tentation comprend aussi un comportement moral : elle ne nous invite pas directement au mal, ce serait trop grossier. Elle prétend nous montrer ce qui est meilleur : abandonner enfin les illusions et employer efficacement nos forces pour améliorer le monde. Elle se présente aussi avec la prétention du vrai réalisme. Le réel est ce qui se constate : le pouvoir et le pain. En comparaison, les choses de Dieu apparaissent comme irréelles, comme un monde secondaire, dont on n’a pas vraiment besoin. » On ne nous tiendra pas rigueur d’aussi longuement citer le souverain pontife. Deux raisons à cela : d’abord, nous effacer pour faire entendre la voix du grand prophète de notre temps ; ensuite, montrer que nous n’extrapolons pas sur la pensée de l’évêque romain. Pour ceux qui doutent encore, et qui seront trop paresseux pour ouvrir le livre du pape, quelques extraits supplémentaires : « Mais ce que l’on constate surtout, c’est que Dieu a disparu et que l’homme est seul à agir. Le respect des ‘traditions’ religieuses n’est qu’apparent. En réalité, on les considère comme une somme d’habitudes qu’il faut bien laisser aux hommes même si, en dernière analyse, elles n’ont pas la moindre importance. La foi, la religion se retrouvent instrumentalisées à des fins politiques. Aménager le monde est la seule chose qui compte. La religion n’a d’importance que dans la mesure ou elle peut servir a cela. Il est inquiétant de voir à quel point cette vision post-chrétienne de la foi et de la religion est proche de la troisième tentation de Jésus. » « La liberté pour l’universalité et donc pour la juste laïcité de l’Etat s’est transformée en quelque chose d’absolument profane, en ‘laïcisme’, pour lequel l’oubli de Dieu et l’attachement exclusif au succès semblent être devenus des éléments constitutifs. » « Du combat contre Satan, Jésus sort vainqueur : à la divinisation fallacieuse du pouvoir et du bien-être, à la promesse fallacieuse d’un avenir garantissant tout a tous, en vertu du pouvoir et de l’économie, il a opposé la nature divine de Dieu – Dieu comme véritable bien de l’homme. »

Si, effectivement, la modernité se définit comme ce projet historique d’arraisonnement complet du réel par la science et la technique, si le mouvement moderne se confond avec la volonté de l’homme d’être à lui-même sa propre norme et la mesure de toute chose, alors la modernité désigne précisément cette attitude de révolte et d’autosuffisance symbolisée par le premier péché, la faute originaire, source de tous les maux : l’orgueil. Par orgueil et démesure, hybris, l’homme se fait dieu, il se rend maître et possesseur de la nature et la remodèle, ainsi que lui-même, a l’aune de sa volonté de puissance – allant tout droit, et entraînant avec lui le monde, vers l’autodestruction suicidaire – car le suicide est toujours proche de l’orgueil. Des lors, tout chrétien est intrinsèquement et doit être antimoderne – car le projet moderne se caractérise avant tout comme séduction démoniaque, voix de l’antique serpent, et la modernité n'apparaît alors comme rien d’autre que l’avènement de l’Antéchrist. Et il y en a eu des antichrists ces derniers siècles qui préparent la venue du dernier – comme en écho à cette parole de saint Jean : « L’Antichrist, comme vous l’avez appris, doit venir ; or, il y a dès maintenant beaucoup d’antichrists ; nous savons ainsi que nous sommes a la dernière heure. »

Le pire des malheurs, c’est que la conscience chrétienne ne s’insurge plus, observait récemment un moine bénédictin. On devrait relire l’Alexandre Soljenitsyne du Déclin du courage et de Ne pas vivre dans le mensonge : s’accommoder du nouveau totalitarisme matérialiste et séculier qui ravage la planète, c’est, pour tout homme et a fortiori pour le chrétien, vivre dans le mensonge. En plein dedans. Il faut réécouter le prophète russe du XXe siècle : « Il ne reste plus qu’à chercher l’erreur à la racine même, à la base de la pensée des Temps nouveaux. Je veux dire : la conception du monde qui domine en Occident, née lors de la Renaissance, coulée dans les moules politiques à partir de l’ère des Lumières, fondement de toutes les sciences de l’Etat et de la société : on pourrait l’appeler ‘humanisme rationaliste’ ou bien ‘autonomie humaniste’, qui proclame et réalise l’autonomie humaine par rapport à toute force placée au dessus de lui. Ou bien encore – et autrement – ‘anthropocentrisme’ : l’idée de l’homme comme centre de ce qui existe. » Comme Benson, Soloviev ou Soljenitsyne, Benoît XVI ne dit pas autre chose. « Puisez votre énergie dans le Seigneur et dans la vigueur de sa force. Revêtez l’équipement de Dieu pour le combat, afin de pouvoir tenir contre les manœuvres du démon. Car nous ne luttons pas contre des hommes de chair et de sang, mais contre les forces invisibles, les puissances des ténèbres qui dominent le monde, les esprits du mal qui sont au-dessus de nous », dit saint Paul. Et le grand pape reprend : « Comment ne pas voir là justement une description de notre monde dans lequel le chrétien est menacé par une atmosphère anonyme, par ‘l’air du temps’, qui lui fait apparaître la foi comme ridicule et absurde ? Et comment ne pas voir qu’existe dans le monde entier un climat spirituel vicié qui menace l’humanité dans sa dignité, voire dans sa survie ? » Commentant la parabole du fils prodigue, Benoît XVI interroge encore notre époque : « Est-il difficile pour nous de reconnaître là l’esprit de notre époque, cet esprit de rébellion contre Dieu et contre la Loi divine ? L’abandon de tout ce qui constituait jusqu’ici nos fondements, et le choix d’une liberté sans limites ? » « L’homme qui entend par liberté l’arbitraire absolu de sa volonté propre, de son chemin personnel et d’eux seuls, vit dans le mensonge, car, par nature, sa place est d’être dans la réciprocité, sa liberté est une liberté à partager avec autrui. Par nature, il porte inscrites en lui la discipline et la norme ; s’identifier profondément avec elles, telle serait la vraie liberté. Une fausse autonomie conduit à la servitude, l’histoire nous l’a montré entre-temps de façon éclatante. » « L’homme totalement libre est devenu un pitoyable esclave. » Plus loin, il médite sur celle des vignerons homicides : « Si nous ouvrons les yeux, alors ce qui est dit dans la parabole n’évoque-t-il pas le moment présent ? N’est-ce pas la logique des temps modernes, de notre temps ? Si nous déclarons que Dieu est mort, alors nous sommes nous-mêmes Dieu. Nous cessons enfin d’être la propriété d’un autre, nous sommes les propriétaires de nous-mêmes et les propriétaires du monde. Nous pouvons enfin faire ce qui nous plait. Nous nous débarrassons de Dieu. Il n’y a pas de mesure et de modèle au-dessus de nous, nous sommes notre propre instrument de mesure. La ‘vigne’ est à nous. Ce qui arrive alors aux hommes et au monde, nous commençons à l’entrevoir… »

Et si ces temps nouveaux, dont parle le grand Russe, n’étaient justement pas les prolégomènes à la fin des temps, le prélude de l’apocalypse, comme le pressentait au XIX e siècle le bienheureux cardinal John Henry Newman (1801-1890) ? Ou alors assistons-nous seulement, comme y réfléchissait à son tour, au sortir de la monstrueuse tornade d’acier des années quarante, le père Romano Guardini, à la fin des temps modernes ? Dieu seul le sait, nous, nous n’en savons ni le jour ni l’heure… Cependant, à mesure que le temps passe et que s’use la patience de Dieu, la fin approche, et chaque instant il devient davantage nécessaire, davantage urgent, de veiller et prier ! Aussi notre vigilance trouvera-t-elle quelque aliment dans les prophéties et les apocalypses de l’Ecriture sainte et de la Tradition de l’Eglise. Nous ne citerons pas ici les passages bien connus de l’Ancien et du Nouveau Testament – quoi qu’il serait utile d’en faire une anthologie. Nous nous contenterons d’abord d’un passage du livre de Daniel, puis d’un obscur saint médiéval au nom lui-même prophétique : saint Malachie. Dans sa fameuse vision des quatre royaumes, Daniel décrit un quatrième royaume différent de tous les autres, « cette bête terriblement puissante, avec des dents de fer et des griffes de bronze, qui dévorait, déchiquetait et piétinait tout ce qui restait » : « La quatrième bête, c’est un quatrième royaume sur la terre, qui sera différent de tous les royaumes. Il dévorera toute la terre, la piétinera et l’écrasera. » Comment ne pas y voir une description de notre modernité scientifique, technologique et industrielle ?

Evêque irlandais né en 1094, Malachie est doué à l’instar de son saint patron du don de prophétie. En 1140, lors d’un pèlerinage à Rome, le moine bénédictin a une vision de tous les papes à venir, qu’il transcrit en 111 devises latines décrivant laconiquement chacun des successeurs du souverain pontife du moment, Innocent II. Malachie meurt en 1148 à Clairvaux, assisté par son ami saint Bernard. La correspondance entre les papes et les devises est rétrospectivement frappante. Nous ne prendrons que les derniers. A Jean-Paul Ier, qui régna trente jour, correspond ainsi : De mediate lunae – de la moitie de la lune ! Jean-Paul II, l’infatigable travailleur slave, a pour devise : De labore solis – du travail du soleil… Et Benoît XVI est le 111e, le dernier avant le pape de la fin : sa devise est De gloria olivae – de la gloire de l’olivier. Cela aurait-il à voir avec Gethsémani, le mont des Oliviers ou commença l’agonie, prélude à la Passion et à la Résurrection ? Et voila comment finit la prophétie : « Dans la dernière persécution de la Sainte Eglise Romaine siègera Pierre le Romain, qui paîtra ses brebis au milieu de nombreuses tribulations. Ces tribulations passées, la Ville aux sept collines sera détruite et le Juge redoutable jugera son peuple. Fin. » Bien sûr, Dieu n’est pas prisonnier des prophéties. Et c’est justement pour cela que nous devons être toujours de plus en plus prêt à son avènement, au grand retour du Christ, au Jugement dernier, à la Parousie ! « Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que votre cœur ne s’alourdisse dans la débauche, l’ivrognerie et les soucis de la vie, et que ce jour-la ne tombe sur vous à l’improviste. Comme un filet, il s’abattra sur tous les hommes de la terre. Restez éveillés en tout temps : ainsi vous serez jugés dignes d’échapper à tout ce qui doit arriver, et de paraître debout devant le Fils de l’homme. » « L’avènement du Fils de l’homme ressemblera à ce qui s’est passé à l’époque de Noé. A cette époque, avant le déluge, on mangeait, on buvait, on se mariait, jusqu’au jour ou Noé entra dans l’arche. Les gens ne se sont doutés de rien, jusqu’au déluge qui les a tous engloutis : tel sera aussi l’avènement du Fils de l’homme. » Dans la tempête apocalyptique, comment pourrons-nous marcher sur les eaux ? Par la foi, comme Pierre. Mais non pas notre foi, notre force de conviction qui montre ses limites au bout de quelques pas, mais la foi donnée par Dieu, la main tendue du Sauveur et qu’il nous faut seule saisir, abandonnant tout le reste, si nous ne voulons pas couler dans l’abîme. « Confiance, c’est moi, n’ayez pas peur ! »

« Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »

« Si le Christ nous a libérés, c’est pour que nous soyons vraiment libres. Alors tenez bon, et ne reprenez pas les chaînes de votre ancien esclavage. » « Et Dieu est fidèle : il ne permettra pas que vous soyez éprouvés au-delà de ce qui est possible pour vous. Mais, avec l’épreuve. Il vous donnera le moyen d’en sortir et la possibilité de la supporter. »

« Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ?... Qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ? la détresse ? l’angoisse ? la persécution ? la faim ? le dénuement ? le danger ? le supplice ?... Oui, en tout cela nous sommes les grands vainqueurs grâce a celui qui nous a aimés. J’en ai la certitude : ni la mort ni la vie, ni les esprits ni les puissances, ni le présent ni l’avenir, ni les astres, ni les cieux, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est en Jésus Christ notre Seigneur ! »

En partageant sa contemplation du Christ, Benoît XVI nous fait pénétrer dans l’intelligence de l’Evangile ; et cette compréhension approfondie et renouvelée nous fait regarder notre époque et lire les signes des temps dans une lumière plus haute. In lumen videbimus luminem. Par sa lumière nous voyons la lumière, qui éclaire l’avenir de sa gloire.