« J’ai longtemps cherché le moyen de me rendre insupportable à mes contemporains ». La phrase est célèbre. Elle est de Léon Bloy et marque l’ouverture de l’aventure du Pal, journal éphémère et cependant fort intéressant, dans lequel Bloy donna certaines de ses plus terrifiantes diatribes. Les « confus », ceux qui confondent éternellement jugement moral et jugement littéraire vous inciteront à ne pas lire cette réédition, n’en parlant pas, oublieux des principes mêmes de cette démocratie qu’ils invoquent à tire-larigo, exerçant par leur silence ou leur nuisance la pire des censures qui puisse être infligée à un écrivain à l’écriture de tonnerre comme Léon Bloy. Il va de soi que refuser la confusion entre morale et littérature ne conduit pas à donner des blancs-seings à Bloy mais, tout en vomissant certaines diatribes pour le moins antisémites, à lui reconnaître plus que du talent. Et une certaine modernité : « Notre époque de faiseurs d’affaires et de cabots dans tous les genres est tellement abjecte que rien, je crois, – sinon la fuite ailée de Mercure ou l’indifférence du spectateur –, n’est presque plus capable de toucher personne ». Et l’on peut être étonné de lire une critique du spectaculaire intégré, en ces pages, longtemps avant la quête des situations. Il n’y a pas que le Bloy de la diatribe, il y a aussi celui qui crache sur le Catholicisme des bourgeois par amour de Dieu et pratique mystique ; celui qui réclame de l’homme qu’il « meure de bas en haut », ce Bloy qui éructe contre l’horizontalité faite sens de la vie de l’homme, l’infâme Chute, l’oubli de la verticalité, de l’être réel. Et ce Bloy là est impressionnant. Et oui, messieurs, oui, oui, l’on peut être républicain et aimer Bloy, n’en déplaise au manichéisme en vogue. Tout comme l’on peut apprécier son style et ses propos incroyables quand il s’en prend à cette même République : « Elle a quinze ans aujourd’hui, notre République, et elle a l’air d’avoir quinze siècles. Elle paraît plus vieille que les Pyramides, cette pubère sans virginité, tombée du vagin sanglant de la trahison ». Pour un peu, l’on croirait écouter un écrivain contemporain évoquer le régime « républicain » féodal sous le joug duquel nous vivons… Mais un écrivain qui oserait de tels mots aujourd’hui serait mis au ban de la société démocratique libérale. Du sens des mots en cette place forte nommée « monde moderne ».

Le Pal, réédition des quatre numéros du journal dirigé par Léon Bloy, accompagnée de documents destinés à un numéro cinq jamais paru, préfacée par Patrick Kéchichian, éditions Obsidiane, 2002, 160 pages, 18 €.