ANARCHRISME !

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Ouvrir des brèches clandestines

C'est plus pratique de rester ici un moment, de gagner ma vie honnêtement à introduire un peu de philosophie dans le cerveau des futurs ingénieurs, des futurs pharmaciens et politiciens. Ne va pas croire un seul instant que je me prenne pour une sorte de héros anarchiste. Je ne compte pas lutter contre l'Autorité, du moins pas ouvertement. J'ouvre peut-être des brèches clandestines.

Edward Abbey, Seuls sont les indomptés

Envoi

En vieillissant

l'esprit

se libère

rebelle

un aigle qui prend son envol

de la falaise

William Carlos Williams, Paterson

Pourquoi nous sommes devenus chrétiens

Hannah Arendt décrit assez justement, quoique brièvement, dans son article "Chrétienté et révolution", les raisons des conversions au christianisme des néo-catholiques Léon Bloy, Charles Péguy, Gilbert Keith Chesterton ou encore Jacq ues Maritain (elle évoque aussi Georges Bernanos, "un seigneur sans peur et sans reproche, que n'entrave aucune admiration pour "la grandeur historique" et que ne touche aucune attraction secrète pour le mal") - il me semble que ces raisons rejoignent, toutes proportions gardées, celles des conversions d'un Jacques de Guillebon, d'un Fabrice Hadjadj ou d'un Falk van Gavetr - et de quelques autres encore qui sont devenus chrétiens en tant que bloyens, péguystes, bernanosiens, chestertoniens... - antimodernes.

"Car ce n'était pas la démocratie que ces hommes haïssaient mais au contraire son absence. Ils n'étaient dupes ni des démocraties qui ressemblaient plus à leurs yeux à des ploutocraties ni des fioritures d'une république qui n'était guère qu'une machine politique. Ce qu'ils recherchaient, c'était la liberté pour le peuple et la raison pour l'esprit. ils furent d'abord guidés par une haine profonde de la société bourgeoise, qu'ils savaient être essentiellement antidémocratique et fondamentalement pervertie. Et l'objet de leur lutte fut toujours l'invasion insidieuse de la morale et des standards bourgeois dans tous les aspects de la vie et toutes les classes de la société. Ils luttaient en réalité contre une menace que pas un socialiste - dont le parti politique, selon Péguy, "est entièrement composé d'intellectuels bourgeois" - ne prit véritablement au sérieux, à savoir l'influence envahissante de la mentalité bourgeoise dans le monde moderne."

"Depuis le tournant du siècle ces convertis, semblerait-il, ont senti que leur propre champ d'action était la politique et que leur devoir était de devenir de véritables révolutionnaires, c'est-à-dire plus radicaux que les radicaux. Et en un sens ils avaient raison, raison au moins aussi longtemps qu'ils restèrent dans la négation pour mener leur offensive. Il était certainement plus radical de répéter qu'"il est plus facile pour un chameau de passer par le chas d'une aiguille que pour un homme riche d'entrer dans le royaume de Dieu" que de citer des lois économiques."

"Toute la culture occidentale se trouvant menacée une fois que l'autorité bourgeoise s'engageait sur la voie de l'impérialisme, il n'est pas surprenant que les armes les plus anciennes, les convictions fondamentales de l'humanité occidentale, aient suffi au moins à montrer l'étendue du mal.Le grand avantage de ces écrivains néo-catholiques fut d'avoir, lors de leur retour au christianisme, rompu avec le modèle de leur milieu plus radicalement qu'aucune autre secte ou aucun autre parti.Ce fut leur instinct de publiciste qui les poussa vers l'Eglise. Ils étaient à la recherche d'armes, et étaient prêts à les prendre où ils les trouvaient ; et ils en trouvèrent de meilleures dans le plus ancien des arsenaux que dans les demi-vérités rassises de la modernité. Publicistes et journalistes sont toujours pressés - c'est la maladie de la profession. Là se trouvaient des armes dont on pouvait s'emparer sans attendre : deux mille ans n'avaient-ils pas prouvé leur utilité ? Les meilleurs parmi les convertis savaient d'amère expérience qu'on se sentait mieux, plus libre et plus raisonnables en acceptant la grande exigence de la foi chrétienne plutôt qu'en acceptant le tumulte de modernisme, qui impose jour après jour plus fanatiquement une doctrine tout aussi absurde.

"Ils trouvaient plus dans le christianisme que l'utile dénonciation de la perversion de l'homme riche. L'accent mis par la doctrine chrétienne sur la condition restreinte de l'homme était une philosophie suffisante pour donner à ses adeptes une perception aiguë de l'inhumanité inhérente à toutes ces tentatives modernes - psychologiques, techniques, biologiques - de changer l'homme en un superman monstrueux. Ils s'aperçurent que la poursuite du bonheur qui voudrait chasser tout chagrin finirait rapidement par chasser toute gaieté. Ce fut à nouveau le christianisme qui leur apprit que rien d'humain ne peut exister au-delà des larmes et du rire, excepté le silence du désespoir. C'est la raison pour laquelle Chesterton, ayant une fois pour toutes accepté les larmes, put inclure le vrai rire dans ses plus violentes attaques."

"Si tel est le cas des publicistes et des journalistes parmi les néo-catholiques, celui des philosophes est légèrement différent et plutôt embarrassant. Les philosophes par définition sont censés ne pas être pressés. ... Il s'agit seulement de savoir si un philosophe est autorisé à chercher un refuge si rapidement et si brutalement. Il est vrai que les enseignements de l'Eglise représentent encore une citadelle de la raison humaine, et il est tout à fait compréhensible que, dans une lutte au jour le jour, des publicistes comme Péguy et Chesterton s'y soient retranchés le plus rapidement possible. Ce n'étaient pas des philosophes, et ils avaient surtout besoin d'une foi combattante. Ce que Maritain voulait, c'était une certitude qui l'arracherait aux complexités et aux confusions d'un monde où l'homme ne sait même pas ce que le mot vérité veut dire.

Mais la vérité est une déesse difficile à adorer parce que la seule chose qu'elle refuse à ses adorateurs est la certitude. La philosophie qui s'intéresse à la vérité a toujours été et sera probablement toujours une sorte de docta ignorantia - extrêmement savante et par conséquent extrêmement ignorante. Les certitudes de saint Thomas d'Aquin offrent un guide spirituel remarquable et restent bien supérieures à tout ce qui a été inventé à des époques plus récentes. Mais la certitude n'est pas vérité, et un système de certitudes est la fin de la philosophie."

Hannah Arendt, "Chrétienté et révolution" (The Nation, 161/12, 22 septembre 1945), in La philosophie de l'existence et autres essais, Payot, 2015

Master Autonomie et Anarchie

Compétences visées :

Savoir vivre sans les autres

Travailler seul (contre tous)

Savoir se servir d'une arme

Apprendre à déjouer les pièges de l'Etat

Fabriquer des explosifs avec des produits ménagers

Savoir faire sauter des infrastructures publiques ou privées

Fomenter des troubles

Faire démarrer une voiture sans clé

Rédiger des documents subversifs

Option 1 : Hacking et luddisme

Option 2 : Survivalisme et société

Inscriptions libres et révolutions permanentes

La montagne qu'il faut déplacer

La montagne qu'il faut déplacer pour libérer le processus vers une éthique, c'est tout simplement ceci : cessez de penser au bon usage de la terre comme à un problème exclusivement économique. Examinez chaque question en termes de ce qui est éthiquement et esthétiquement juste autant qu'en termes de ce qui est économiquement avantageux. Une chose est juste lorsqu'elle tend à préserver l'intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique. Elle est injuste lorsqu'elle tend à l'inverse.

Almanach d'un comté des sables, Aldo Leopold, éd. Aubier, 1995 (ISBN 2700728475), partie III (« En fin de compte »), p. 283

La lutte pour l'ennui

Nous luttons tous pour la sécurité, la prospérité, le confort, la longévité et l'ennui. Le cerf lutte avec ses longues pattes souples, le vacher avec ses pièges et ses poisons, l'homme d'État avec son stylo, la plupart d'entre nous avec des machines, des bulletins de vote et des dollars, mais cela revient toujours à la même chose : la paix pour notre temps. Un succès relatif en ce domaine n'a rien de pernicieux, peut-être même est-il la condition nécessaire d'une pensée objective, mais une sécurité excessive ne recèle, semble-t-il, que des dangers à long terme. C'est peut-être cela, l'idée contenue dans la proposition de Thoreau : le salut du monde passe par l'état sauvage. C'est peut-être cela, le sens caché du hurlement du loup, bien connu des montagnes, mais rarement perçu par les humains.

Almanach d'un comté des sables, Aldo Leopold, éd. Aubier, 1995 (ISBN 2700728475), partie II (« Quelques croquis »), p. 172

Notre idée abrahamique de la terre

L'écologie n'arrive à rien parce qu'elle est incompatible avec notre idée abrahamique de la terre. Nous abusons de la terre parce que nous la considérons comme une commodité qui nous appartient. Si nous la considérons au contraire comme une communauté à laquelle nous appartenons, nous pouvons commencer à l'utiliser avec amour et respect. Il n'y a pas d'autre moyen si nous voulons que la terre survive à l'impact de l'homme mécanisé, et si nous voulons engranger la moisson esthétique qu'elle est capable d'offrir à la culture.

Almanach d'un comté des sables, Aldo Leopold, éd. Aubier, 1995 (ISBN 2700728475), partie I (« Almanach d'un comté des sables »), p. 14

Du danger de ne pas posséder une ferme

On court deux dangers spirituels à ne pas posséder une ferme. Le premier est de croire que la nourriture pousse dans les épiceries. Le second, de penser que la chaleur provient de la chaudière. Pour écarter le premier danger, il convient de planter un jardin, de préférence assez loin de toute épicerie susceptible de brouiller la démonstration. Pour le second, il suffit de poser sur ses chenets une bûche de bon chêne, loin de toute chaudière, et de s'y réchauffer tandis qu'une tempête de neige maltraite les arbres au-dehors. Pour peu qu'on l'ait abattu, scié, fendu et transporté soi-même, en laissant son esprit travailler en même temps, on se souviendra longtemps d'où vient la chaleur, avec une profusion de détails qu'ignoreront toujours ceux qui passent le week-end en ville près d'un radiateur.

Almanach d'un comté des sables, Aldo Leopold, éd. Aubier, 1995 (ISBN 2700728475), partie I (« Almanach d'un comté des sables »), p. 22

Autodafé

"Quand persuadé de ces principes, nous parcourons les bibliothèques, que nous faut-il détruire ? Si nous prenons en main un volume de théologie ou de métaphysique scolastique, par exemple, demandons-nous : contient-il des raisonnements abstraits sur la quantité ou le nombre ? Non. Contient-il des raisonnements expérimentaux sur des questions de fait et d'existence ? Non. Alors mettez-le au feu, car il ne contient que sophismes et illusions".

(David Hume, Enquête sur l'entendement humain, 1748)

Pâques anarchristes

Blaise Cendrars

Pâques à New York

à Agnès

Fléchis tes branches, arbre géant, relâche un

peu la tension des viscères,

Et que ta rigueur naturelle s’alentisse,

N’écartèle pas si rudement les membres du Roi

supérieur…

Fortunat

(traduction Remy de Gourmont, Le Latin Mystique.)

[Flecte ramos, arbor alta, tensa laxa viscera

Et rigor lentescat ille quem dedit nativitas

Ut superni membra Regis miti tendas stipite …

Fortunat, Pange lingua.]

Seigneur, c’est aujourd’hui le jour de votre Nom,

J’ai lu dans un vieux livre la geste de votre Passion,

Et votre angoisse et vos efforts et vos bonnes paroles

Qui pleurent dans le livre, doucement monotones.

Un moine d’un vieux temps me parle de votre mort.

Il traçait votre histoire avec des lettres d’or

Dans un missel, posé sur ses genoux.

Il travaillait pieusement en s’inspirant de Vous.

À l’abri de l’autel, assis dans sa robe blanche,

il travaillait lentement du lundi au dimanche.

Les heures s’arrêtaient au seuil de son retrait.

Lui, s’oubliait, penché sur votre portrait.

À vêpres, quand les cloches psalmodiaient dans la tour,

Le bon frère ne savait si c’était son amour

Ou si c’était le Vôtre, Seigneur, ou votre Père

Qui battait à grands coups les portes du monastère.

Je suis comme ce bon moine, ce soir, je suis inquiet.

Dans la chambre à côté, un être triste et muet

Attend derrière la porte, attend que je l’appelle!

C’est Vous, c’est Dieu, c’est moi, — c’est l’Éternel.

Je ne Vous ai pas connu alors, — ni maintenant.

Je n’ai jamais prié quand j’étais un petit enfant.

Ce soir pourtant je pense à Vous avec effroi.

Mon âme est une veuve en deuil au pied de votre Croix;

Mon âme est une veuve en noir, — c’est votre Mère

Sans larme et sans espoir, comme l’a peinte Carrière.

Je connais tous les Christs qui pendent dans les musées;

Mais Vous marchez, Seigneur, ce soir à mes côtés.

Je descends à grands pas vers le bas de la ville,

Le dos voûté, le coeur ridé, l’esprit fébrile.

Votre flanc grand-ouvert est comme un grand soleil

Et vos mains tout autour palpitent d’étincelles.

Les vitres des maisons sont toutes pleines de sang

Et les femmes, derrière, sont comme des fleurs de sang,

D’étranges mauvaises fleurs flétries, des orchidées,

Calices renversés ouverts sous vos trois plaies.

Votre sang recueilli, elles ne l’ont jamais bu.

Elles ont du rouge aux lèvres et des dentelles au cul.

Les fleurs de la Passion sont blanches, comme des cierges,

Ce sont les plus douces fleurs au Jardin de la Bonne Vierge.

C’est à cette heure-ci, c’est vers la neuvième heure,

Que votre Tête, Seigneur, tomba sur votre Coeur.

Je suis assis au bord de l’océan

Et je me remémore un cantique allemand,

Où il est dit, avec des mots très doux, très simples, très purs,

La beauté de votre Face dans la torture.

Dans une église, à Sienne, dans un caveau,

J’ai vu la même Face, au mur, sous un rideau.

Et dans un ermitage, à Bourrié-Wladislasz,

Elle est bossuée d’or dans une châsse.

De troubles cabochons sont à la place des yeux

Et des paysans baisent à genoux Vos yeux.

Sur le mouchoir de Véronique Elle est empreinte

Et c’est pourquoi Sainte Véronique est Votre sainte.

C’est la meilleure relique promenée par les champs,

Elle guérit tous les malades, tous les méchants.

Elle fait encore mille et mille autres miracles,

Mais je n’ai jamais assisté à ce spectacle.

Peut-être que la foi me manque, Seigneur, et la bonté

Pour voir ce rayonnement de votre Beauté.

Pourtant, Seigneur, j’ai fait un périlleux voyage

Pour contempler dans un béryl l’intaille de votre image.

Faites, Seigneur, que mon visage appuyé dans les mains

Y laisse tomber le masque d’angoisse qui m’étreint.

Faites, Seigneur, que mes deux mains appuyées sur ma bouche

N’y lèchent pas l’écume d’un désespoir farouche.

Je suis triste et malade. Peut-être à cause de Vous,

Peut-être à cause d’un autre. Peut-être à cause de Vous.

Seigneur, la foule des pauvres pour qui vous fîtes le Sacrifice

Est ici, parquée, tassée, comme du bétail, dans les hospices.

D’immenses bateaux noirs viennent des horizons

Et les débarquent, pêle-mêle, sur les pontons.

Il y a des Italiens, des Grecs, des Espagnols,

Des Russes, des Bulgares, des Persans, des Mongols.

Ce sont des bêtes de cirque qui sautent les méridiens.

On leur jette un morceau de viande noire, comme à des chiens.

C’est leur bonheur à eux que cette sale pitance.

Seigneur, ayez pitié des peuples en souffrance.

Seigneur dans les ghettos grouille la tourbe des Juifs

Ils viennent de Pologne et sont tous fugitifs.

Je le sais bien, ils t’ont fait ton Procès;

Mais je t’assure, ils ne sont pas tout à fait mauvais.

Ils sont dans des boutiques sous des lampes de cuivre,

Vendent des vieux habits, des armes et des livres.

Rembrandt aimait beaucoup les peindre dans leurs défroques.

Moi, j’ai, ce soir, marchandé un microscope.

Hélas! Seigneur, Vous ne serez plus là, après Pâques!

Seigneur, ayez pitié des Juifs dans les baraques.

Seigneur, les humbles femmes qui vous accompagnèrent à Golgotha,

Se cachent. Au fond des bouges, sur d’immondes sophas,

Elles sont polluées par la misère des hommes.

Des chiens leur ont rongé les os, et dans le rhum

Elles cachent leur vice endurci qui s’écaille.

Seigneur, quand une de ces femmes me parle, je défaille.

Je voudrais être Vous pour aimer les prostituées.

Seigneur, ayez pitié des prostituées.

Seigneur, je suis dans le quartier des bons voleurs,

Des vagabonds, des va-nu-pieds, des recéleurs.

Je pense aux deux larrons qui étaient avec vous à la Potence,

Je sais que vous daignez sourire à leur malchance.

Seigneur, l’un voudrait une corde avec un noeud au bout,

Mais ça n’est pas gratis, la corde, ça coûte vingt sous.

Il raisonnait comme un philosophe, ce vieux bandit.

Je lui ai donné de l’opium pour qu’il aille plus vite en paradis.

Je pense aussi aux musiciens des rues,

Au violoniste aveugle, au manchot qui tourne l’orgue de Barbarie,

À la chanteuse au chapeau de paille avec des roses de papier;

Je sais que ce sont eux qui chantent durant l’éternité.

Seigneur, faites-leur l’aumône, autre que de la lueur des becs de gaz,

Seigneur, faites-leur l’aumône de gros sous ici-bas.

Seigneur, quand vous mourûtes, le rideau se fendit,

Ce que l’on vit derrière, personne ne l’a dit.

La rue est dans la nuit comme une déchirure,

Pleine d’or et de sang, de feu et d’épluchures.

Ceux que vous aviez chassés du temple avec votre fouet,

Flagellent les passants d’une poignée de méfaits.

L’Étoile qui disparut alors du tabernacle,

Brûle sur les murs dans la lumière crue des spectacles.

Seigneur, la Banque illuminée est comme un coffre-fort,

Où s’est coagulé le Sang de votre mort.

Les rues se font désertes et deviennent plus noires.

Je chancelle comme un homme ivre sur les trottoirs.

J’ai peur des grands pans d’ombre que les maisons projettent.

J’ai peur. Quelqu’un me suit. Je n’ose tourner la tête.

Un pas clopin-clopant saute de plus en plus près.

J’ai peur. J’ai le vertige. Et je m’arrête exprès.

Un effroyable drôle m’a jeté un regard

Aigu, puis a passé, mauvais, comme un poignard.

Seigneur, rien n’a changé depuis que vous n’êtes plus Roi.

Le Mal s’est fait une béquille de votre Croix.

Je descends les mauvaises marches d’un café

Et me voici, assis, devant un verre de thé.

Je suis chez des Chinois, qui comme avec le dos

Sourient, se penchent et sont polis comme des magots.

La boutique est petite, badigeonnée de rouge

Et de curieux chromos sont encadrés dans du bambou.

Ho-Kousaï a peint les cent aspects d’une montagne.

Que serait votre Face peinte par un Chinois ? ..

Cette dernière idée, Seigneur, m’a d’abord fait sourire.

Je vous voyais en raccourci dans votre martyre.

Mais le peintre, pourtant, aurait peint votre tourment

Avec plus de cruauté que nos peintres d’Occident.

Des lames contournées auraient scié vos chairs,

Des pinces et des peignes auraient strié vos nerfs,

On vous aurait passé le col dans un carcan,

On vous aurait arraché les ongles et les dents,

D’immenses dragons noirs se seraient jetés sur Vous,

Et vous auraient soufflé des flammes dans le cou,

On vous aurait arraché la langue et les yeux,

On vous aurait empalé sur un pieu.

Ainsi, Seigneur, vous auriez souffert toute l’infamie,

Car il n’y a pas de plus cruelle posture.

Ensuite, on vous aurait forjeté aux pourceaux

Qui vous auraient rongé le ventre et les boyaux.

Je suis seul à présent, les autres sont sortis,

Je me suis étendu sur un banc contre le mur.

J’aurais voulu entrer, Seigneur, dans une église;

Mais il n’y a pas de cloches, Seigneur, dans cette ville.

Je pense aux cloches tues: — où sont les cloches anciennes?

Où sont les litanies et les douces antiennes?

Où sont les longs offices et où les beaux cantiques?

Où sont les liturgies et les musiques?

Où sont tes fiers prélats, Seigneur, où tes nonnains?

Où l’aube blanche, l’amict des Saintes et des Saints?

La joie du Paradis se noie dans la poussière,

Les feux mystiques ne rutilent plus dans les verrières.

L’aube tarde à venir, et dans le bouge étroit

Des ombres crucifiées agonisent aux parois.

C’est comme un Golgotha de nuit dans un miroir

Que l’on voit trembloter en rouge sur du noir.

La fumée, sous la lampe, est comme un linge déteint

Qui tourne, entortillé, tout autour de vos reins.

Par au-dessus, la lampe pâle est suspendue,

Comme votre Tête, triste et morte et exsangue.

Des reflets insolites palpitent sur les vitres…

J’ai peur, — et je suis triste, Seigneur, d’être si triste.

« Dic nobis, Maria, quid vidisti in via? »

– La lumière frissonner, humble dans le matin.

« Dic nobis, Maria, quid vidisti in via? »

– Des blancheurs éperdues palpiter comme des mains.

« Dic nobis, Maria, quid vidisti in via? »

– L’augure du printemps tressaillir dans mon sein.

Seigneur, l’aube a glissé froide comme un suaire

Et a mis tout à nu les gratte-ciel dans les airs.

Déjà un bruit immense retentit sur la ville.

Déjà les trains bondissent, grondent et défilent.

Les métropolitains roulent et tonnent sous terre.

Les ponts sont secoués par les chemins de fer.

La cité tremble. Des cris, du feu et des fumées,

Des sirènes à vapeur rauques comme des huées.

Une foule enfiévrée par les sueurs de l’or

Se bouscule et s’engouffre dans de longs corridors.

Trouble, dans le fouillis empanaché des toits,

Le soleil, c’est votre Face souillée par les crachats.

Seigneur, je rentre fatigué, seul et très morne …

Ma chambre est nue comme un tombeau …

Seigneur, je suis tout seul et j’ai la fièvre …

Mon lit est froid comme un cercueil …

Seigneur, je ferme les yeux et je claque des dents …

Je suis trop seul. J’ai froid. Je vous appelle …

Cent mille toupies tournoient devant mes yeux …

Non, cent mille femmes … Non, cent mille violoncelles …

Je pense, Seigneur, à mes heures malheureuses …

Je pense, Seigneur, à mes heures en allées …

Je ne pense plus à vous. Je ne pense plus à vous.

New York, avril 1912

Traité sur la meilleure manière d'échapper au monde

" Voilà des années que je veux écrire un Traité de la disparition. Pas une oeuvre littéraire mais un texte uniquement composé de conseils pratiques dont n'importe quel écolier terrestre pourrait tirer profit. Un chapitre d'introduction suivi d'une série de formules. Les pères de familles prendrait le livre en main et passeraient à l'acte. Un Traité sur la meilleure manière d'échapper au monde. Si l'exercice est mené à son terme, le corps et l'esprit deviennent des fantômes. La personne qui a disparu est toujours là, mais sur le plan social, elle est invisible. C'est alors que commence la partie gratifiante de l'exercice : elle réapparaît, elle est ailleurs ; elle se recompose sous une autre forme, une forme libre et non contrôlable. "

Alexandre Friederich, FORDETROIT, Allia, 2015

Ils ne risquaient pas le burn out

Naguère, les spécialistes citaient volontiers ces mots de Thomas Hobbes pour caractériser la vie des chasseurs-cueilleurs : « sale, grossière et brève. » Ils semblaient devoir travailler dur, être mus par la quête quotidienne de nourriture, souvent au bord de la disette, manquer des conforts quotidiens élémentaires tels que lits moelleux et vêtements adaptés, et mourir jeunes.

En réalité, c'est uniquement pour les citoyens prospères du premier monde, qui n'ont pas à produire eux-mêmes leurs vivres, que la production alimentaire réalisée dans des régions lointaines est synonyme de moindre travail physique, de plus de confort, de libération de la disette et d'une plus longue espérance de vie. La plupart des paysans, agriculteurs et éleveurs, qui constituent la grande majorité des producteurs alimentaires du monde, ne sont pas nécessairement mieux pourvus que les chasseurs-cueilleurs. Les études de leur « budget temps » indiquent que leurs journées de travail sont plus lourdes, non pas moins, que celles des chasseurs-cueilleurs. Les archéologues ont établi que les premiers agriculteurs étaient plus petits et moins bien nourris, souffraient de maladies plus graves et mourraient en moyenne plus jeunes que les chasseurs-cueilleurs qu'ils remplaçaient. Si ces premiers agriculteurs avaient pu prévoir les conséquences de l'adoption de la production alimentaire, sans doute se seraient-ils abstenus.

JARED DIAMOND De l'inégalité parmi les sociétés : Essai sur l'homme et l'environnement dans l'histoire

Notre prétention de supériorité

Nous pouvons détruire les animaux plus facilement qu’ils ne peuvent nous détruire : c’est la seule base solide de notre prétention de supériorité. Nous valorisons l’art, la science et la littérature, parce que ce sont des choses dans lesquelles nous excellons. Mais les baleines pourraient valoriser le fait de souffler et les ânes pourraient considérer qu’un bon braiement est plus exquis que la musique de Bach. Nous ne pouvons prouver qu'ils ont tort, sauf par l’exercice de notre pouvoir arbitraire. Tous les systèmes éthiques, en dernière analyse, dépendent des armes de guerre.

Bertrand Russell

We can destroy animals more easily than they can destroy us; that is the only solid basis of our claim to superiority. We value art and science and literature, because these are things in which we excel. But whales might value spouting, and donkey might maintain that a good bray is more exquisite than the music of Bach. We cannot prove them wrong except by the exercise of arbitrary power. All ethical systems, in the last analysis, depend upon weapons of war.

Mortals and others: American essays,1931-1935, Bertrand Russell, éd. Routledge, 1996 (ISBN 0-415-12585-5), chap. If Animals Could Talk, p. 121

Interroger les chemins

« C’est toujours à contrecœur que j’ai demandé mon chemin, j’y ai toujours répugné. Je préfère interroger les chemins eux-mêmes, et les essayer. Essayer et interroger, c’est ma façon d’avancer. »

(Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, « De l’esprit de lourdeur », 2)

Le noyau central de l'esprit vivant d'un homme

"Je pense que tu devrais radicalement changer ton style de vie et te mettre à faire courageusement des choses que tu n’aurais jamais pensé faire, ou que tu as trop hésité à essayer. Il y a tant de gens qui ne sont pas heureux et qui, pourtant, ne prendront pas l'initiative de changer leur situation parce qu'ils sont conditionnés à vivre dans la sécurité, le conformisme, toutes choses qui semblent apporter la paix de l'esprit, mais rien n'est plus nuisible à l'esprit aventureux d'un homme qu'un avenir assuré. Le noyau central de l'esprit vivant d'un homme, c'est sa passion pour l'aventure. La joie de vivre vient de nos expériences nouvelles et donc il n'y a pas de plus grande joie qu'un soleil chaque jour, nouveau et différent. Si tu veux obtenir plus de la vie, il faut perdre ton inclinaison à la sécurité monotone et adopter un mode de vie qui te paraitra dans un premier temps insensé. Mais une fois que tu seras habitué à une telle vie, tu verras sa véritable signification et son incroyable beauté."

Alexander Supertramp (Christopher McCandless) - Into the wild

L'abbé athée

« Pesez bien les raisons qu’il y a de croire ou de ne pas croire, ce que votre religion vous enseigne, et vous oblige si absolument de croire. Je m’assure que si vous suivez bien les lumières naturelles de votre esprit, vous verrez au moins aussi bien, et aussi certainement que moi, que toutes les religions du monde ne sont que des inventions humaines, et que tout ce que votre religion vous enseigne, et vous oblige de croire, comme surnaturel et divin, n’est dans le fond qu’erreur, que mensonge, qu’illusion et imposture. »

Abbé Jean Meslier (1664-1729)

Retour sur l'écologie intégrale

"L'écologie intégrale est un terme et concept que j'ai forgé il y a une dizaine d'année (écologie intégrale égale écologie humaine plus écologie environnementale, pour faire bref) et qui a même été repris par le pape après l'avoir été par les milieux écologistes chrétiens…

Mais j'ai découvert récemment que Leonardo Boff l'avait également utilisé il y a une douzaine d'années également, mais justement comme dépassement d'une conception religieuse de l'écologie et précisément pas comme le concept chrétien et catholique à ancrage biblique et théologique que j'avais forgé et qui est précisément celui repris comme concept central dans la dernière encyclique pontificale après avoir connu une fortune récente dans les milieux écolos-cathos - et maintenant que le-pape-l'a-dit, il est repris comme un mantra par tous les écolos-cathos et souvent instrumentalisé comme synonyme de l'écologie humaine : il est surtout utilisé par de nombreux cathos pour mettre en avant l'écologie humaine alors que quand je l'ai créé et mis en avant c'était pour rappeler aux cathos qu'il n'y avait pas que l'écologie humaine mais aussi l'écologie naturelle, environnementale, et que les deux sont indissociables.

Quoi qu'il en soit, je me retrouve aujourd'hui davantage dans le concept postcatholique et postchrétien d'écologie intégrale telle qu'entendue par Boff, au sens d'une écologie plénière, holiste, que dans celui que j'ai créé et qui est devenu la doctrine officielle de l'Eglise catholique et que je trouve trop anthropocentré. Anthropocentrisme que je trouve nettement à l'oeuvre dans telle définition de l'écologie intégrale : "si elle est réellement intégrale, c'est-à-dire si elle met l'homme et sa culture au premier plan. " C'est là que je ne suis pas d'accord. Bien sûr, l'écologie doit être aussi culturelle, politique et sociale : "Ce dernier point implique que l'écologie doit être soucieuse de lutter contre les situation d'exploitation et d'injustice. Elle doit se placer du point de vue des populations soumises à toutes forme de spoliation et du côté des travailleurs. Elle doit aussi défendre le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, de leurs langues et de leurs cultures."

Je suis parfaitement d'accord sur ces points, et c'est précisément tout ce que je défends sans discontinuer depuis près de vingt ans dans mes engagements et mes écrits, et ce pour quoi j'ai lutté une dizaine d'années au sein de l'Eglise en me fondant sur les ressources spirituelles, sociales, politiques, etc. du christianisme, pour opérer cette nécessaire "révolution culturelle" et "conversion écologique" (selon les mots de Jean-Paul II) dans l'Eglise. Mais pour moi cela n'implique pas de mettre "l'homme et sa culture au premier plan", et c'est d'ailleurs ce en quoi je me sépare des Eglises et de leur anthropocentrisme déguisé en théocentrisme, et que je suis pour l'interprétation la plus radicalement écologique de Genèse 1 que je défends depuis une douzaine d'années (avant même d'avoir lu Callicott…) qui met la Création tout entière au centre et non l'homme - l'homme n'étant qu'une partie de la Création, et le "péché originel", la chute consistant en vouloir s'approprier, manipuler le paradis, le jardin, la Création, le monde en vue de servir ses propres fins (voir les premiers chapitres de mon premier livre paru en 2005, Le politique et le sacré, qui reprennent et développent des idées initialement parues dans les dernier numéros d'Immédiatement en 2002-2003). Je suis pour un grand décentrement vers le biocentrisme et l'écocentrisme.

J'étais déjà ouvertement et officiellement écologiste, anarchiste, régionaliste, autonomiste, populiste, socialiste et communiste libertaire, anticapitaliste, décroissantiste, indigéniste, etc., (j'ai même fait partie des Black Blocs, et pour moi même la CNT était trop molle, trop partisane, trop archaïque, trop sectaire, etc. …) : avant ma période de conversion (intellectuelle, politique, idéologique avant tout) au christianisme, qui a parfois émoussé le tranchant de l'expression de mes positions sans jamais les annuler : je n'ai d'ailleurs pas changé, maintenant que je ne suis plus croyant - si ce n'est plus chrétien au sens culturel -, et ce sont mes convictions profondes qui ont d'ailleurs agi comme un levain dans la pâte : au bout d'un moment, le voyant rouge qui s'allume et te dit "interdit de penser" ceci ou cela fait que tu ne peux plus rester dans quelque Église ou secte (ou parti) que ce soit. J'ai trop vu les extrapolations et élucubrations des Eglises (toutes les Eglises, catholiques, protestantes, orthodoxes comprises) pour arranger, accommoder et compromettre les Evangiles avec le monde, l'esprit des Evangiles et l'esprit du monde (à commencer par saint Paul), pour ne pouvoir être chrétien autrement que sous la forme "anarchriste" - et finalement, unitarienne, tolstoïenne, agnostique, athée… Les Eglises, toutes les Eglises, ne sont rien d'autre que des compromis, voire des compromissions, de l'Evangile et du monde. C'est à la fois leur grandeur et leur misère. Je crois toujours à la force révolutionnaire de l'Evangile, de l'esprit évangélique, qui, pur, ferait exploser toutes les Eglises et leur religion pagano-sacrifielle : ce sont elles, qui comme l'alliance des pouvoirs judéo-romains il y a deux mille, crucifient encore chaque jour le Christ sur les autels. Les Eglises sont judéo-païennes, sacrificielles, elles ne sont pas chrétiennes, pas évangéliques - ou si peu.

Je ne suis pas intolérant vis-à-vis de la foi, mais j'ai parfaitement le droit d'en exprimer ma vision : je trouve le christianisme beaucoup trop anthropocentrique sous déguisement théocentrisme (anthropomorphisme et anthropocentrisme clairement revendiqué d'ailleurs dans le "Dieu fait homme pour le l'homme devienne Dieu") et je pense que le christianisme notamment occidental (Athènes + Rome + Jérusalem) a eu une part importante dans l'émergence de la modernité, de son anthropocentrisme conquérant et de la destruction de la nature et des sociétés prémodernes.

Je trouve tous ces combats pour la défense des cultures et des langues beaux, justes, légitimes, intéressants, etc., mais j'ai le sentiment que là n'est pas ma place - notamment peut-être à cause de mon étrangeté radicale, car finalement je ne suis rien d'autre que français, et Français de multiples origines européennes non enraciné dans une région particulière, non issu de quelque part, d'un lieu, d'un pays - mais que ma place et mon combat personnels sont davantage dans l'écologie, la pensée et la défense de la nature notamment sauvage.

Me décentrer, me désanthropocentrer, me biocentrer, m'écocentrer.

Je suis passé sur côté deep-ecologist de la force. Le christianisme et son humanisme m'ont longtemps réfréné, je me suis réfréné longtemps à coup de grandes doses de christianisme pour conjurer ce que je suis vraiment, ce que j'ai toujours été : un inhumaniste, un écologiste profond. J'ai toujours pensé que nous étions trop sur terre, et autres pensées interdites, de tendance nietzschéennes, heideggeriennes, etc.

Mais j'ai enfin secoué le joug que je portais volontairement, je deviens ce que je suis, ce que j'ai toujours été.

Un écologiste radical.

Je prône l'égoïsme et le repli sur soi vis-à-vis de la pression sociale et plus largement humaine, mais pour et par l'ouverture sur l'autre que soi, le radicalement autre que soi qui est le non-humain, la nature. Je pense que nous sommes pourris d'altruisme jusqu'à la moelle, mais un altruisme qui est un égoïsme d'espèce. Je prône l'égoïsme individuel vis-à-vis des sollicitations et des pressions aujourd'hui démesurées de l'espèce humaine sur chacun de ses membres comme sur l'ensemble de l'écosystème planétaire et le grand altruisme, un altruisme élargi aux animaux, à l'ensemble du vivant mais aussi du non-vivant, des minéraux, des paysages...

Comme Soljenitsyne et bien d'autres, je prône l'autolimitation (économique, technologique, démographique...) de l'espèce humaine. D'ailleurs, si on relit le Nouveau Testament, c'est la positon de Jésus (contre la famille, le mariage, etc.), avant d'être en partie trahie par l'Eglise gagnée à l'idéologie familialiste-nataliste.

Deus sive Natura. Gaïa. Pacha Mama. Soeur Notre Mère la Terre.

Dans ma période chrétienne (et écologiste chrétienne), j'oscillais entre l'interprétation intendante et l'interprétation primitiviste de Genèse 1 (cf. Callicott).

J'ai tempéré par le christianisme mon écocentrisme/biocentrisme viscéral pendant une dizaine d'années.

Je suis d'accord sur la nécessité des luttes sociales, culturelles, etc., dans une écologie intégrale mais en désaccord avec tout anthropocentrisme. Une authentique écologie intégrale est écocentrique et non anthropocentrique.

Je ne crois plus en l'écologie humaine : je crois qu'il faut à la fois une (auto) réduction drastique de nos modes de vie et de nos populations humaines et animales domestiques. Je pense que l'humanité est globalement incapable de l'une comme de l'autre et que cela se résoudra de manière catastrophique et involontaire - non sans un appauvrissement et une perturbation globale des écosystèmes - et de l'écosystème global.

Je suis à nouveau pleinement sur la position de l'écologie radicale, profonde, intégrale en un sens plus intégratif et moins anthropocentré que le premier sens que j'ai forgé et qui est devenu la doctrine officielle de l'Eglise.

Ma position sur la question, c'est en gros la Décroissance + l'Ecologiste. Limite étant un lieu de conversion des chrétiens à l'écologie, de propagande, de propaganda ecologiae...

Je reviens globalement en les approfondissant à mes positions "antimodernes", "conservatives-révolutionnaires", "anarcho-anticapitalistes" et "écologistes radicales" de la seconde période d'Immédiatement - avant qu'elles ne soient atténuées par le christianisme comme, malgré toutes ses dimensions révolutionnaires, anthropocentrisme et pacifisme de démilitarisation des oppositions.

Je ne regrette pas d'avoir fait du bon travail de propagande écologique et sociale au sein de l'Eglise - qui plus est de bonne foi !"

Falco Peregrinus

Croissez et multipliez ?

"Pour ce qui est de l'interprétation de Genèse 1:28, il est clair qu'on ne peut totalement dédouaner la civilisation "judéo-chrétienne" d'une responsabilité dans la crise écologique, mais il est clair que cette interprétation (comme l'ensemble de la civilisation "judéo-chrétienne") a connu un infléchissement très fort à l'époque moderne. Par ailleurs, si la modernité scientifique, industrielle, etc., est issue de la civilisation européenne, on ne pas imputer à la seule dimension judéo-chrétienne de cette civilisation la crise écologique : la civilisation européenne est aussi bien gréco-romaine que judéo-chrétienne et on peut également l'imputer à un certain héritage gréco-romain (raison, empire, anthropocentrisme...) et notamment à une certaine reprise de cet héritage lors de la Renaissance ou de la Révolution française : mais c'est surtout l'inflexion moderne de cet héritage européen qui est en question. Il me semble que la crise écologique globale n'est tant pas due au "Croissez et multipliez" biblique, qu'à la modernité techno-industrielle qui est sortie (dans toute la polysémie du terme) de la civilisation européenne. (Par ailleurs, les Pascuans comme d'autres sociétés non chrétiennes n'ont pas eu besoin de la Bible pour connaître un effondrement écologique - cf. Jared Diamond. Ou la Chine contemporaine.)

Je crois que l'homme s'est de tout temps découpé une théologie ou une mythologie à sa mesure, et à la mesure de ces moyens : l'interprétation théologique (de ce verset biblique par exemple) me paraît au moins tout autant symptomatique que programmatique. Ce qui m'intéresse et que je défends depuis des années, c'est une interprétation écologique de la Bible (comme je défendrais une interprétation écologique de chaque grande tradition, religion, civilisation...) : il y a plus de deux milliards de chrétiens sur terre, autant essayer de les influencer en ce sens, surtout si le pape s'y met...

Je trouve intéressant cependant de montrer que le planning familial mondial est avant tout une offensive pour limiter le nombre de pauvres afin de ne pas négocier le mode de vie des riches - les émissions respectives de gaz à effet de serre de ces populations respectives étant à cet égard éclairant.

Comme l'ont rappelé les théologiens de la libération, toute théologie est contextuelle - et je suis un partisan de la théologie contextuelle, cet autre nom de la théologie de la libération que j'ai véritablement découverte en Palestine en 2009-2011. Je faisais depuis le début des années 2000 sans le savoir de la théologie contextuelle / de la libération avec ma théologie directe ou sauvage, comme la prose de Monsieur Jourdain.

L'explication mono-causale biblique de la crise écologique ne tient pas. Bien sûr, un certain dualisme chrétien est en cause, mais il me semble justement qu'il ait pris cette inflexion typiquement dualiste sous l'influence du platonisme et en interaction avec celui-ci. Ce qui est intéressant, c'est que les chrétientés orientales non occidentales (non byzantines et surtout non romaines, non grecques et surtout non latines, non platoniciennes et non aristotéliciennes) réputées les plus sémitiques ou les plus proches de l'esprit sémitique (les Eglises dites aujourd'hui orthodoxes orientales), bref les plus "bibliques" (syriaques, coptes, arméniens, éthiopiens, etc.) sont les plus éloignées de la mentalité industrielle techno-scientifique moderne et que rien de tel n'a émergé chez eux - ce qui serait contradictoire avec leur "biblisme" plus pur, non paganisé par la philosophie grecque et la culture romaine...

Bien sûr, la technè grecque n'est pas la Technique moderne, mais le "croissez et multipliez" génésique n'est pas non plus la croissance contemporaine - ce sont les transformations/mutations de ces concepts et surtout de ces réalités qui est en jeu et en cause.

(Bien sûr le "croissez et multipliez" ne tient plus dans un monde limité, et c'est justement une interprétation spirituelle de cette injonction que promeut le prophète et messie juif Jésus il y a déjà deux mille ans, comme je l'ai développé dans mon Ecologie selon Jésus-Christ : aucun natalisme ni familialisme chez Jésus - bien au contraire, promotion du célibat, de l'abstinence, etc. "Allez et évangélisez toutes les nations" remplace le "Croissez et multipliez" en l'interprétant dans un sens spirituel. Saint Paul préconise le célibat, "Ne vous mariez que si vous brûlez", le non remariage des veufs et veuves, etc. Il y a la une transformation radicale que le christianisme institutionnel et officiel a en partie adoucie dans son accommodement avec le monde - et notamment sa conciliation-dilution avec/dans l'Empire.)

Pour moi, c'est en gros à travers le christianisme occidental la jonction du dualisme platonicien et du réalisme aristotélicien qui a permis l'émergence, notamment à partir de la Renaissance, de la mentalité techno-scientifique moderne - Descartes apparaissant typiquement-symboliquement à la fois comme le dernier philosophe scolastique (mais aussi platonicien avec son dualisme radical) et le premier philosophe scientifique (Galilée également, etc.) - modernité qui est sortie dans tous les sens du terme de la chrétienté gréco-romaine occidentale.

(Ce que lui reprochent d'ailleurs les orthodoxes, d'avoir permis l'émergence de l'athéisme : à saint Thomas d'Aquin qui affirme que "la raison mène naturellement à Dieu", saint Justin Popovic répond que "la raison mène naturellement à l'athéisme". D'où la connivence des antimodernes avec les orthodoxes encore plus qu'avec les franges les plus traditionnelles du catholicisme, déjà tridentines donc modernes, si modernes...)

Et c'est notamment le rapport romain à la nature et l'environnement qui me semble avoir profondément et concrètement marqué l'Europe : conquête, soumission, colonialisme, impéralisme, juridisme, étatisme, propriété comme usus et abusus (totalement opposée à la propriété collective et conditionnelle de la Bible), etc. - auquel la superstructure dualiste-platonicienne et réaliste-platonicienne allait comme un gant - ainsi que l'universalisme monothéiste chrétien plus efficace que le paganisme comme religion impériale.

Le monde moderne est tout autant une "hérésie" chrétienne que païenne, il me semble justement qu'il est tout autant plein d'idées païennes devenus folles que chrétiennes - idées romaines notamment (l'Europe comme Empire, etc.). La généalogie des valeurs chères à Nietzsche est primordiale, mais il est important de ne pas tout y réduire (c'est la vieille tendance cognitive de ramener l'inconnu au connu) : un réductionnisme généalogique passerait à côté des profondes mutations que connaissent les valeurs et les réalités qui les portent. Nietzsche a souvent vu loin, mais souvent aussi de travers.

Le "Croissez et multipliez" n'est pas un principe absolu, ce n'est pas un des dix commandements, mais la description plus que la prescription de l'origine du monde et de l'humanité - et, comme je l'ai écrit dans L'écologie selon Jésus-Christ, le "croissez et multipliez, remplissez la terre et soumettez-la" adressé aux humains suit le "croissez et multipliez etc." adressé aux animaux - et donc ne peut entrer en contradiction avec celui-là. De plus, au sixième jour, contrairement à une vulgate interprétative anthropocentrique aussi courante que mensongère, ce n'est pas l'homme qui est le couronnement de la Création et qui est déclaré "très bon" mais l'ensemble de la Création avec l'homme inclus : "Dieu vit tout ce qu'il avait fait : Cela est très bon etc." De l'homme seul, il n'est même pas dit qu'il est bon en lui-même, contrairement aux autres moments et éléments de la Création. Le "croissez et multipliez" n'est en fait pas plus actuel que les ordres d'hécatombe et d'anathème de la conquête de Canaan (sauf pour certains groupes sionistes religieux...). Ce qui est actuel pour des chrétiens, c'est le Nouveau Testament, la réinterprétation jésuanique/christique de l'ensemble de l'Ancien Testament - et qui le passe à un crible très serré.

La seule solution pour passer de la stratégie r (on a beaucoup d'enfants, mais on ne s'occupe pas beaucoup d'eux) à la stratégie k (on en a peu, mais on en prend le plus grand soin), c'est que la stratégie r soit vécue individuellement comme contre-productive (ce qu'elle est déjà collectivement). Pour cela, il faut une révolution-relocalisation de l'économie mondiale qui ajuste l'autosuffisance locale/nationale/continentale sur les ressources propres et les limites écologiques. Pour moi, la révolution/transition démographique suivra la révolution/transition économique-écologique. Bref, la décroissance démographique suivra la décroissance économique - mais il est impossible et vain (et injuste) de vouloir limiter la croissance démographique même de manière coercitive dans un monde qui fait de la croissance (économique, technologique, etc.) son alpha et son omega. (Si l'on limitait la croissance démographique des populations selon leur impact écologique respectif, ce serait la quasi disparition des Européens et Occidentaux + Japonais...)

"On n'a jamais vu une civilisation s'écrouler parce que trop nombreuse." Affirmation idéologique et dogmatique, dont je ne suis pas sûr qu'elle soit juste (je viens de lire Effondrement de Jared Diamond justement) et ce qui n'est peut-être jamais arrivé peut tout de même arriver, malgré notre tendance (très marquée chez toi) à toujours vouloir ramener l'inconnu au connu, au "c'est entendu", etc. - notre écosystème planétaire ayant justement des limites écologiques. Il me semble justement que nous sommes en train de tous devenir des Pascuans - et c'est là tout le problème contemporain.

"La surpopulation est une non-question en soi." Bien sûr, en soi, il n'y a pas de surpopulation - puisqu'il n'y a de surpopulation que dans un rapport entre une population et un écosystème et surpopulation quand les limites de cet écosystèmes sont atteintes - c'est justement là toute la question de la surpopulation - qui est liée chez l'homme à l'exploitation de son environnement et notamment à sa surexploitation - quand l'exploitation atteint les limites écologiques d'équilibre et de renouvellement de l'environnement - en ce sens, il y a sans doute davantage de surpopulation par surexploitation globale (de pression démographique sur l'environnement par exploitation) dans les sociétés industrialisées à faible croissance démographique que dans les sociétés pré-industrielles à forte croissance démographique - mais croire que ces dernières n'atteignent pas les limites de la surpopulation démographique par surexploitation écologique et en seraient préservées par leur monde de vie non industriel est un mythe : même des sociétés agricoles traditionnelles trop nombreuses atteignent la limite écologique de pression démographique - comme le Rwanda, ou l'ampleur du génocide a notamment été multipliée par la pression démographique sur les terres agricoles.

Il y a surpopulation - c'est-à-dire pression démographique atteignant les limites écologiques de l'environnement - quand il y a surexploitation - c'est-à-dire exploitation du milieu atteignant ses limites écologiques. Mais il peut y avoir surexploitation par simple pression démographique sans industrialisation - cf. Rwanda, etc. Exemple : une pratique traditionnelle d'agriculture nomade comme les cultures sur brûlis deviennent une catastrophe écologique quand la population paysanne augmente sans transformer ses pratiques. Et jusqu'à preuve du contraire, les malheurs du monde viennent justement bien de sa population humaine et de ses pratiques...

La surpopulation est un facteur relationnel qui interagit avec d'autres facteurs : il y a surpopulation quand un milieu ne peut plus subvenir aux besoins d'une population. La surpopulation est toujours en lien avec la surexploitation : il n'y a pas de surpopulation en soi, mais toujours surpopulation en tant que surexploitation. À ce titre, en termes alimentaires stricts, il n'y a pas surpopulation humaine globale. Mais on peut aussi penser que la préservation de certaines espèces et de certains milieux, de toutes les espèces et de tous les milieux en fait, (voulue par Dieu dans la Genèse) peut être une raison de limiter la croissance démographique humaine en-deça de simples ratios alimentaires. Jésus prône d'ailleurs l'abstinence sexuelle donc procréative, comme saint Paul.

Les micro-solutions ne prouvent rien : "Pascal Poot fait pousser des légumes sans eau, donc il n'y a pas surpopulation, CQFD." On est dans la propagande, la non-pensée. Les malheurs viennent de la population humaine puisqu'elle seule peut les juger comme tels. Mais là encore on est dans la propagande, dans la non pensée, digne de Stanislas de Larminat : "La nature est elle-même pleine de catastrophes naturelles, donc la catastrophe écologique d'origine humaine est naturelle, etc."

Ce qui compte avant tout, c'est l'impact écologique par habitant, et le nôtre est démesurément plus grand que celui des pays pauvres. Comme l'a défini Paul Ehrlich dans The Population Bomb (1968) qui pointait la surpopulation comme problème prioritaire : I = PAT soit impact environnemental égale population fois affluence (richesse) fois technologie. Autant dire que notre impact, celui du monde développé, a été démultiplié par la richesse et la technologie, malgré notre faible croissance démographique. En toute justice, si nous devions limiter la démographie en fonctions de l'empreinte écologique par habitant, il faudrait à peu près interdire à tous les habitants des pays développés de faire des enfants… Donc la priorité pour nous, ce n'est pas tant de forcer les pays pauvres au contrôle de la natalité que de se forcer à la décroissance économique et technologique. Il est vrai que la démographie est un élément important de la crise écologique, un des trois principaux avec l'économie et la technologie, et qu'il est devenu quasi tabou - mais la remise en cause de la croissance économique et technologique était aussi taboue à la COP21 qui prône l'économie verte, la croissance verte et autres greenwashing du capitalisme mondialisé. Je suis d'accord sur la nécessité de réduire la croissance et même d'inverser la croissance humaine aussi bien économique, technologique que démographique.

Mais...

L'empreinte écologique d'un Américain moyen est dix fois celle d'un Africain moyen, donc les Africains devraient avoir le droit de faire dix fois plus d'enfants chacun que les Américains - ou les Américains ne devraient pas avoir le droit de faire plus de dix fois moins d'enfants que les Africains, c'est-à-dire ne devraient pas avoir le droit du tout de faire d'enfants - idem pour les Européens, les Japonais, etc. - et les sacs plastiques n'y changeront rien : c'est l'empreinte écologique globale par habitant qu'il faut prendre en compte. Il faudrait évidemment interdire totalement la PMA, la GPA, etc. Ainsi, si en en 2100 il y aura moins d'Européens et 4 fois plus d'Africains, c'est en toute justice : qui sommes-nous pour leur interdire de faire des enfants, puisque notre impact écologique par habitant est dix fois supérieur au leur ? Si nous réduisions drastiquement notre mode de vie, nous pourrions peut-être le leur demander, mais dans notre position qui sommes-nous pour l'exiger ou l'imposer ? N'oublions pas l'origine ouvertement raciste de la création du planning familial aux Etats-Unis, qui a été ouvertement créé pour limiter avant tout la natalité des populations noires aux Etats-Unis, et plus généralement des populations non-blanches, non-WASP, pauvres, etc. Le plus simple serait le principe suivant, à la chinoise : chaque couple humain a le droit de faire un seul enfant (ou deux) et les couples infertiles ont le droit d'adopter (mais interdiction de PMA GPA etc.). Mais qui pour l'imposer ?

Enfin, puisque les uns ne veulent pas passer à la décroissance économique et technologique et les autres ne veulent pas passer à la décroissance démographique, de toute façon tout cela va être "solutionné" d'ici 2100 par l'effondrement systémique globale et la dépopulation radicale qui va s'ensuivre... Il est donc indispensable de réduire radicalement et conjointement l'empreinte écologique par habitant dans les pays industrialisés/développés et la croissance démographique dans les pays à forte natalité - l'un ne peut aller sans l'autre - sinon nous allons droit dans le mur écologique. De plus, notre seule légitimité à inciter les Africains et les autres à renoncer à notre mode de vie mais à faire aussi peu d'enfants que nous est de leur donner l'exemple en réduisant drastiquement notre mode de vie (mettons, retour à notre empreinte écologique des années soixante mais dans un contexte low tech et eco tech) pour arriver à une convergence mondiale consensuelle idéale sur le mode de vie éco-soutenable moyen."

Falco Peregrinus

L'envol du faucon

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"Je ne rêve que d'errance, de solitude et de silence. The Wild.

La marche, la méditation, la solitude et le silence - tout ce que je n'arrive plus à avoir dans ma vie quotidienne, professionnelle et familiale.

Alors, pour le moment, j'use de l'outil le plus proche - les mots.

En fait, je me fiche des mots, mais pour le moment je me débats, je me bats contre les morts avec les mots, je les retourne contre eux pour faire exploser tous les discours, c'est une opération de survie - comme en territoire ennemi - en attendant de trouver le chemin de traverse, de désert-désertion.

"Il eût fallu être moine ermite ami..."

Eh oui, ce sera le dernier état de vie d'homme, comme en Inde traditionnelle.

J'ai raté ma vocation de cabanier taoïste.

"Tu n'auras pas été le seul."

L'erreur de suivre le monde, l'Eglise, les modèles et choix proposés-imposés, l'erreur de ne pas suivre sa voie, son instinct profond, de se laisser détourner de soi par les exigences/facilités sociales, morales, symboliques, etc.

Oui, on est nombreux à s'être fait avoir.

Maintenant, il faut hurler, crier, tirer à boulets rouges... Sauve qui peut ! Sauvez-vous ! Sauve-toi toi-même !

The Howl.

Feu !

"Un peu facile d'accuser le monde, ou l'Eglise. Un peu plus difficile d'admettre effectivement sa propre lâcheté, ses choix ratés."

J'admets ma lâcheté et je répands mes choix ratés en public comme en privé ! Mais il faut aussi décrire tout le conditionnement général qui nous détourne systématiquement de nous-mêmes - aussi bien mentalement que très pratiquement, concrètement.

J'accuse comme je m'accuse.

Je reçois toute critique envers moi-même, et je la reprends à mon compte. Je suis critique, profondément - en crise, krisis, discernement, jugement, discrimination.

Et ce n'est pas faute d'avoir tenté des chemins de traverse - mais je me suis fait rattraper par l'intériorisation des exigences sociales, et pour moi, dans mon histoire, c'est l'Eglise et le christianisme qui ont joué ce rôle de conciliation illusoire de mes voies profondes et des exigences sociales-morales de l'humanité-majorité - conciliation illusoire qui recouvrait une régulation et une normalisation réelles autant que sournoises - comme une nasse.

L'Eglise n'est qu'une nasse parmi les autres, un filet jeté sur le monde - Jésus lui-même l'a dit, "Je vous ferai pêcheur d'hommes."

Fuyons dans les profondeurs !

"Et pourtant Jésus n'était pas du genre à se laisser distraire de ses "voies profondes" par les "exigences sociales-morales de l'humanité".."

A moitié. Il n'a fait qu'une partie du chemin. Et l'Eglise a refait cette moitié en sens inverse.

Pour revenir au Temple et à la Synagogue - ce mixte des deux qu'est l'Eglise.

"Le véritable Temple est à l'intérieur de chacun d'entre nous. Par curiosité, quelle moitié a-t-il ratée?"

Ou bien, il n'y a pas de Temple, car c'est encore une construction, une représentation.

L'autre moitié ? La véritable sortie de la religion comme institution, la sortie de l'anthropocentrisme, de l'anthropomorphisme, la vraie libération, le déconditionnement, la vérité - il est resté dans le monde des symboles, des paraboles, des fables, des mythes, de Papa-Dieu, etc.

Papa-Dieu ! Quelle farce !

"Jésus annonçait le Royaume, et c'est l'Eglise qui est venue." (Alfred Loisy)

Sinon, j'ai totalement perdu la foi, par apophatisme. Je suis devenu au sens strict agnostique et athée.

Ce qui n'empêche en rien une forme de mystique cosmique (cf. la vraie piété selon Lucrèce) voire "quantique" - l'esprit et la matière ne sont que deux modes de la même énergie, énergie que certains appellent Dieu, mais qui est un mot trop chargé, trop anthropomorphe pour pouvoir être utilisé sans confusion.

Je n'affirme ni n'infirme rien, je décris juste un état ou une situation avec précision (ou autant de précision que possible, car toute précision langagière n'est qu'une approximation) : au sens strict, étymologique, je suis agnostique, apophatique, athée.

Toute foi est sociologique, idéologique, symbolique - qu'elle soit religieuse, antireligieuse ou areligieuse. Je cherche la non-foi, la véritable incroyance, qui est une ascèse et une libération.

Je ne crache pas pour autant sur les religions ou les expériences religieuses - du moins certaines, toutes celles qui élargissent la conscience et intensifient l'existence - mais je pense qu'elles ne sont que des moyens - des béquilles - de l'expérience de l'existence, de la conscience cosmique, etc.

Elles restent des représentations symboliques de la réalité. Toute représentation est symbolique, mais autant opter pour les plus simples, les plus désencombrées, les plus élégantes, les plus proches possibles de la réalité.

J'ai lu Krishnamurti récemment - Se libérer du connu - que je trouve encore trop religieux, trop spiritualiste, trop idéaliste - même s'il est et met sur la bonne voie.

"The White, the Naked, the Empty, that's what i'm looking for"

"To be with the earth, with the earth alone. To know a world stripped of fiction, comentary and palaver. The radical rendez-vous"

Par-delà nos langages et références propres - chacun suit sa voie et entend sa voix -, tout cela, je le sais (d'un savoir au-delà/en-deça de toute science, de toute connaissance, d'un savoir de nescience et d'inconnaissance) depuis longtemps, depuis toujours - et au moins en conscience depuis l'Inde.

Nietzsche ? Rimbaud ? Dynamiteurs, incendiaires, éclaireurs - mais je les crois plus courageux que ceux qui s'accrochent encore aux figures de la sagesse ou du bonheur - humains, trop humains - comme Krishnamurti, trop spiritualiste, trop idéaliste, trop métaphysicien - trop Indien !

Je me sens plus proche d'un zen radical et débouddhisé, radicalement agnostique et athée, car ce n'est peut-être pas ça, mais il n'y a rien d'autre que ça. Un taoïsme ultra épuré. Un épicurisme - au sens strict (Epicure, Lucrèce) plus quantique qu'atomique - en quelque sorte.

Profonde vérité impossessible que celle de la poussière dans la lumière - et de la lumière dans la poussière !

J'ai souvent été paresseux, mais rarement lâche. J'ai le courage des kamikazes, des têtes brûlées - qui bout en moi inexprimé. Je pourrai finir dans la gueule d'un ours.

Tout cela n'est pas tant un renversement qu'un approfondissement et un élargissement de mes tendances profondes, de mon intelligence du monde - même si bien sûr je renverse deux-trois choses au passage qui obstruaient le champ et le passage.

Si c'est une révolution, c'est au sens premier, strict, étymologique - cosmique.

Retour à soi. Retour au sol. Retour au monde - physique.

Retrouver le sens concret, l'origine physique des mots - trop socialisés, intellectualisés, métaphorisés, idéalisés, spiritualisés. Radical ? Radix, racine.

Extrême ? (terme d'ailleurs que contrairement à radical je n'utilise guère mais qui est facilement projeté sur moi) Exterimus, superlatif d'exterus, extérieur, du dehors.

Retrouver les racines ou la racine, retrouver l'extérieur, le dehors, le grand dehors extérieur, extra-humain, cosmique.

Se libérer des concepts, dogmes, représentations, conseils, préceptes, commandements, modèles, exemples, dieux, guides, savants, sages, maîtres, gourous...

Suivre l'intuition profonde, écouter l'instinct vital.

Ma voie est la marche et le bivouac (la pleine nature, la sauvagerie) et la poésie (donner un sens plus pur - et surtout plus fort, plus aiguisé, plus réel - au mots de la tribus, usés comme de la petite monnaie) et là je suis en train d'y retourner - avec la science dans ce qu'elle a de plus métaphysique ou plutôt même mystique.

La vraie sagesse se moque de la sagesse - et des prétendus sages.

Je préfère les hypothèses les plus simples, les plus dépouillées, les plus rationnelles, les plus raisonnables, les plus réalistes, les plus logiques, les plus économes, les plus sobres, les plus frugales, les plus "décroissantes" en quelque sorte, les plus élégantes, qui sont à la fois les plus mystiques, les plus poétiques et les plus métaphysiques : les hypothèses scientifiques, physiques, astrophysiques, quantiques... - à toutes les hypothèses affabulatrices, mythiques, mythologiques, théologiques, symboliques, chamaniques, animiques, etc., qui me restent très sympathiques comme productions artistiques de l'imagination humaine - que ce soit Cthulhu ou Jéhovah.

"La culture doit servir à aiguiser les sens et non à les user", me dit ma belle-soeur Virginie. Tout est dit.

Comme dit Gary Snyder : "Simplifier l'esprit : comme une lame qui s'aiguise jusqu'à disparaître".

En tout cas, il ne s'agit pas tant pour moi de tout rejeter et rationaliser que d'élargir et d'approfondir le champ - le champ mystérique de l'univers - qui suffit bien à une mystique et une métaphysique - pas besoin d'interposer entre lui et nous le mot trop connoté "DIEU" - même s'il s'agissait du "dieu sans dieu", du "dieu au-delà de dieu"d'Eckhart, autant prolonger la percée apophatique jusqu'au bout et abandonner tout vocable trop chargé - dire juste comme les plus grands mystiques l'être, le néant, la vacuité, le vide, le fond, le profond, le tout, le rien, todo e nada - ou garder le silence.

Voilà tout mon "agnosticisme" et mon "athéisme" - au sens strict.

Je plonge dans le grand réalisme, ayant retourné l'apophatisme contre l'idéalisme, ayant retourné l'apophatisme contre lui-même.

C'est le christianisme - ou la religion - qui m'a en partie détourné de la réalité tout en me donnant l'illusion d'y rester avec l'affirmation du soi-disant réalisme de l'incarnation - et j''ai toujours été sensible à cette dimension "réaliste" ou du moins "incarnée" du christianisme, je dirais même que c'est à cet "incarnationnisme" que je me suis converti à partir du début des années deux mille.

(Cf. mes premiers livres de "théologie directe" ou de "théologie sauvage" déployant un christianisme cosmique et écologique - précisément celui auquel je me suis converti - cf. Lubac, Ratzinger, les Pères...)

Mais je suis allé au bout de la double tendance en tension dans le christianisme - réalisme-incarnationnisme d'une part et idéalisme-au-delàisme d'autre part - l'apophatisme m'a libéré de l'idéalisme en me rendant au réalisme.

Plutôt que de rester dans une entre-deux mythologique (celui du christianisme comme de toute religion), l'exigence philosophique, métaphysique et mystique requiert d'aller au bout de l'apophatisme (qui n'est pas un idéalisme ni un rationalisme mais au contraire un agnosticisme : la reconnaissance de notre ignorance radicale face au pur mystère de l'univers, de l'être) et du réalisme - reconnaître que nous ne pouvons rien dire sur la réalité qui nous excède mais seulement sur celle à laquelle on accède. C'est la voie de la plus profonde humilité - nescience et incroyance.

Nuée d'inconnaissance. Et reconnaître que tous nos récits religieux sont des mythes, des fables.

Au-delà de la foi, de toute croyance. Reconnaître toute croyance comme telle.

Perdre la foi est la meilleure chose qui me soit arrivé depuis longtemps. Comme des retrouvailles intimes avec moi-même, et avec la terre et le cosmos.

Comme disait Edward Abbey: " Si l'imagination de l'homme n'était pas aussi faible, aussi aisément à bout de force, si sa capacité d'émerveillement n'était pas aussi limitée, il abandonnerait pour toujours des fantaisies comme celle du divin. Il apprendrait à percevoir dans l'eau, les feuilles et le silence, plus qu'assez de merveilleux et d'absolu pour se consoler de la perte des anciens rêves."

"Mais as-tu eu la foi, ou seulement l'illusion à force d'auto suggestion ?"

Je pense que dans tous les cas ça n'est que ça, la foi.

Je suis sceptique quant aux raisonnements (mono)logiques d'apparence imparables, et plus largement quant aux capacités réelles de la rationalité humaine dans sa prétention à expliquer le monde - et il me semble que "Dieu" et toute religion ne sont que des expressions parmi d'autres de cette prétention humaine à rendre raison de tout.

Je suis sceptique quant à l'utilité réelle des débats métaphysiques et théologiques pour prouver quoi que ce soit concernant l'existence ou l'inexistence de Dieu - ce qui ne veut pas dire qu'ils ne servent à rien, car généralement, ils servent à chacun à clarifier, aiguiser, affûter, approfondir ses propres réflexions, méditations, ou à libérer sa contemplation de ce qui est.

Je le constate, ayant débattu de Dieu d'un côté puis de l'autre.

Mais Dieu ne se met pas aux voix.

L'existence ou l'inexistence de Dieu ne se prouve pas, mais s'éprouve.

La foi, comme dit Pascal, c'est Dieu sensible au coeur, non à la raison.

J'ajouterai que si la foi fait des miracles, cela n'implique pas nécessairement l'existence de Dieu. Les miracles peuvent d'un point de vue agnostique ou athée venir de la foi elle-même, qui déplace des montagnes.

J'accueille donc tout témoignage de foi comme "de bonne foi" : je ne mets pas en doute ce que le témoin dit avoir vécu, mais je n'en ai forcément pas la même interprétation que lui : pour moi, c'est un témoignage de foi, qui n'implique pas nécessairement l'existence de l'objet de la foi (Dieu, etc.).

"Si la clarté se retire, le néant doit être ta consolation dans la désolation.

Si tu perds la lumière, sache que tu n'as pas perdu Dieu même "

(Angelus Silesius)

J'ai lu et relu Silesius qui m'a accompagné pendant des années, et je retiens de lui - dans un sens athée et écologiste : "La rose est sans pourquoi."

J'ai plutôt l'impression d'être, sans Dieu, dans la clarté, la consolation et la lumière justement."

Falco Peregrinus

Les chiens fous



Les « ni Dieu, ni maître » fleurissent toujours sur les routes sanglantes qui mènent vers le tombeau des civilisations. Certes, la poésie des Debord, des Ferré, soulève encore les tripes : mais ces hommes sont acceptables dans leur état, c’est-à-dire celui de bouffon, et non dans celui de politique. C’est la grande erreur du XXè siècle et de nos pères en particulier que d’avoir cru dans la poésie – et ainsi d’autres avant eux avaient cru dans le flot des paroles de la pythonisse ou dans le foie du chameau – comme moment politique. On a laissé les chiens fous vaquer dans la cour solennelle des grandes assemblées et ils y ont légiféré.

Nous sommes les enfants de personne, 2005.

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