La souveraineté est un curieux exemple de ces concepts qui sont valables dans un ordre des choses et illusoires dans un autre. Il perd son poison quand il est transféré de la politique à la métaphysique. Il y a dans l'ordre spirituel un concept valable de souveraineté. Dieu, le Tout séparé, est Souverain sur le monde créé.

Dans l'ordre politique, et à l'égard des hommes ou des organes qui sont chargés de guider les peuples vers leurs destinées terrestres, il n'y a pas d'usage valable du concept de souveraineté. Parce qu'en denière analyse, nul pouvoir terrestre n'est l'image de Dieu, ni le vicaire de Dieu. Dieu est la source même de l'autorité dont le peuple investit les hommes ou ces organes, mais ils ne sont pas les vicaires de Dieu. Ils sont les vicaires du peuple, et ils ne peuvent être divisés du peuple par aucune propriété supérieure essentielle.

Aux Yeux d'une saine philosophie politique, il n'y a pas de souveraineté, c'est à dire de droit naturel et inaliénable à un pouvoir suprême transcendant ou séparé, dans la société politique. Ni le prince, ni le roi, ni l'empereur n'étaient réellement souverains, bien qu'ils portassent le glaive et les attributs de la souveraineté. L'Etat non plus n'est pas souverain ; ni même le peuple. Dieu seul est souverain.

Jacques Maritain, L'Homme et l'Etat, 1953.