Je voudrais que les responsables des Eglises qui se désignent comme sœurs tirent les conséquences pratiques de leurs discours. Je ne comprends pas pourquoi alors que depuis plus d’un demi-siècle l’Eglise de Rome et l’Eglise de Constantinople se désignent mutuellement du titre d’ « Eglises sœurs » ne parviennent pas à un accord sur la question de l’hospitalité eucharistique. J’ai montré dans mon livre En attendant le concile de l’Eglise Orthodoxe que les arguments qui sont invoqués côté orthodoxe pour empêcher cette inter-communion ne sont pas convaincants. Au premier millénaire il y avait aussi de nombreuses divergences entre les Eglises et pourtant il y avait un profond sens ecclésial de l’hospitalité eucharistique, une hiérarchie des vérités, une conviction que ce qui unit les chrétiens est bien plus important que ce qui les divise. Plus les évêques attendent et plus malheureusement le monde se déchire. Porter ses responsabilités signifie parfois déplacer les gens dans leurs habitudes de pensée.

Il y aurait pourtant des choses pratiques à faire qui permettraient aux évêques orthodoxes de faire ce qu’ils disent. Par exemple dans mon exposé sur l’avenir de l’Eglise orthodoxe en Occident au colloque de l’Institut saint Serge j’ai rappelé que les Eglises orthodoxes ont toujours refusé de nommer un évêque orthodoxe de Paris par reconnaissance de la réalité de l’Eglise locale catholique. Pourquoi ne pas faire un pas de plus en reconnaissant que le primat (le protos) de l’Eglise une est le président de l’Assemblée des évêques catholiques de France ? Cela permettrait d’organiser de façon juste la globalisation sur la base du principe territorial fondé par la vie eucharistique de l’Eglise tout en respectant le principe pastoral fondé sur le lien personnel et existentiel entre l’évêque et sa communauté où qu’elle soit.

J’ai le sentiment que sur les questions de fond il y a une convergence qui va crescendo entre catholiques, protestants et orthodoxes tant en France qu’au niveau du Conseil Œcuménique des Eglises ou au sein d’autres enceintes. En fait nous sommes en train de prendre conscience par l’épreuve du feu de ce qui nous réunit, à savoir la foi dans un Dieu trinitaire et la foi dans la mort et la résurrection du Christ. Face à la montée d’une religion néo-gnostique et désincarnée qui fait florès sur les ruines des idéologies, et il faut bien le dire sur les misères des petits clubs chrétiens repliés sur leurs identités, le rassemblement chrétien se produit de façon presque sauvage, au cas par cas. Je sais certes que la situation du christianisme est complexe. C’est la raison pour laquelle j’ai parlé d’une situation post-œcuménique où les vraies lignes de tension ont lieu aujourd’hui au sein de chaque confession chrétienne, entre zélotes, prosélytes et spirituels. Mais sur la question de l’origine créée, personnelle, du monde, ou de la primauté du droit de l’enfant à vivre avec ses parents sur celui du droit à l’enfant, je crois qu’il y a un consensus de fond.

Entretien avec Antoine Arjakovksy, directeur de recherches au Collège des Bernardins à Paris et directeur émérite de l’Institut d’Etudes Œcuméniques de Lviv en Ukraine.

ZENIT 13.02.2013