Ô Suisse, puisses-tu ne pas connaître à nouveau l'invasion des barbares ! Je parle de tes propres barbares, des hordes autochtones, tu vois qui je veux dire. Les barbares sont des nomades. Ils ne sont barbares que parce-qu'ils sont des nomades. La culture commence avec la première cabane, le premier persil semé. Le premier arrosoir versé est aussi le premier dialogue avec le génie du lieu. Il parle sa langue à lui, ce génie, mais il comprend toutes les autres. Il aime les divers accents, le bernois, le schaffhousois, le thurgovien; ce qu'il déteste, c'est le français fédéral. Quand Ramuz lui parle, quand Ramuz arrose ses giroflées, il comprend et répond. Mais quand une compagnie d'assurance imite Montaigne ou Nostradamus, il ne comprend plus rien, ne répond plus rien. Ô Suisse, garde tes cantons comme des vases plein de couleurs pures, ne mélange pas ces couleurs, garde le beau bleu-vert bernois, le jaune d'or du Tessin, ne mélange pas, tu n'obtiendrais que du gris, ce vilain gris justement qui vêt les soldats, hélas, et les douaniers...

Pierre Girard, Amours au Palais Wilson, 1942.