Le rebelle aujourd’hui, c’est celui qui dit oui : oui à la mondialisation heureuse, au consensus post-moderne, à la compote au kiwi-beluga et aux sushis sous cellophane. Sous la chaude couverture d’un discours transgressif, les troupeaux de cyberlemmings envahissants sont les vestales ardentes d’un désordre encadré par les marchands. A bas les Mandrins mandarins et leurs factieux factices !



«Le rebelle du Loft, Johnny le dernier rebelle, Philippe Djian l’écrivain rebelle, la cyber-rébellion, L’Inde continent rebelle, Agassi triomphe en rebelle, La Radio Rebelle Oui FM, Paracelse le rebelle, Rimbaud…». La rébellion est une tendance qui dure. Un « look » qui vend. Le nom (hors du) commun le plus galvaudé aujourd’hui est bien cet ancien titre de gloire qui sentait la poudre à mutins et forçait les admirations secrètes. On le retrouve à toutes les sauces, notamment celle de ce business : la très rebelle attitude lucrative. On est : « tendre et rebelle, sensuelle et rebelle, jeune et rebelle » – un pléonasme presque – ; « côté démon, cuir noir métal et jean usé, toujours vamp un peu trash » lit-on dans les magazines féminins. Le tout dernier en date s’appelle Muteen. Peut-on être taggeur, rebelle et graphiste à la fois demande un quelconque internaute ? On est rebelle comme Milla Jovovich – la Jeanne d’Arc de Besson – dans le DS de cet été ou bien comme Johnny Depp énième version du Brando biker con de L’Équipée Sauvage… Le premier rebelle raté sans sa cause, enfant gâté et précurseur (Rebel without a cause : La Fureur de vivre) avait été James Dean dont seule la mèche était rebelle. Zapata, Robespierre Lénine et Libertysurf Dorénavant, les affiches de la Banque UFF utilisent Karl Marx et Mao. Libertysurf se sert de Zapata, de Robespierre, de Lénine et du Che. Quelques Debordés poussiéreux perdus sur un îlot ont bien vu la manip’ : la récupération sans condition par une génération de cadres et de publicitaires ex-renégats d’une appellation d’origine incontrôlée. Détournement de vocable, annexion de qualificatif, démilitarisation totale de ce qu’on prononçait jadis du bout des lèvres. De nom, «rebelle» est devenu un adjectif fleuri dans le monde du papier glacé et perd toute sa capacité à nuire pour n’être plus qu’une pose. Les hamburgers aussi ont droit à la différence Qu’il soit question de Manu Chao milliardaire chez Virgin et de son patron Charles Branson faux bouffon mais vrai P.D.G, de Technikart le «Je suis partout» du jeunisme ou des Bovistes à postiche du show sage de l’anti-mondialisation, les faux rebelles tiennent le haut du pavé. Les formules creuses des piliers du système prouvent à quel point on peut neutraliser un terme. Françoise Giroud : «Je suis rebelle et c’est un mot qui me vient souvent à la plume, je crois qu’on n’est jamais trop rebelle. Non par principe, pas par détermination – je ne suis pas du tout antisociale – mais je crois qu’il ne faut pas accepter les règlements, c’est autre chose. J’ai été rebelle toute ma vie, surtout lorsque j’étais jeune. Après ça s’est tassé. J’ai été une jeune femme tout à fait rebelle à l’ordre des choses et à l’ordre du monde surtout». Jacques Attali : «C’est l’attitude permanente qu’on doit avoir contre soi-même, tout le temps. Se rebeller contre ses propres conforts, contre ses idées, contre ses certitudes, contre ce qu’on est. Il faut d’abord se rebeller contre soi-même car c’est la condition pour avoir le droit de se rebeller contre les autres. La principale rébellion c’est être capable de ne jamais se mentir à soi-même, de ne pas se payer de mots». Ainsi, les médias, les publicitaires dictent la norme en matons feutrés de la cage dorée. Celle qui vous autorise à consommer les yeux fermés. Comme nous l’intime Burger King : «Parfois, vous devez briser les règles». Vous êtes «born to be wild» nous dit Lucent Technologies et Apple n’aime bien sûr que «les fous ou les marginaux». Ford s’offre Dennis Hopper dans un remake d’Easy Rider. Le logo de Fun Radio reste : «rebelle, contestataire» et les nouveaux slogans de Quick seront bientôt «Halte à la routine» et mieux «Les hamburgers ont droit à la différence». Nike cite Burroughs et se sert de Revolution des Beatles puis finit par créer «La République Populaire du Football». La FNAC est «agitateur officiel» ! On se parfume à L’Anarchiste chez Caron. Bref, le même ordre est donné à tout le monde de Think different. La Propagandastaffel fonctionne à plein. Goebbels n’était qu’un nain comparé aux élites qui ont phagocyté des termes autrefois prononcés avec mépris par les conservateurs. Les logocrates aujourd’hui récupèrent la phraséologie révolutionnaire pour asseoir leur pouvoir. Elle est l’instrument de domination d’une classe sur toutes les autres. Marx le disait : «Plus une classe assimile les éléments forts des classes dominées plus cette classe est dangereuse.» L’AX de Citroën devient «Révolutionnaire» dès les années 80. Le slogan est ce cri de guerre – autrement dit l’abandon de la réflexion – lancé par ces élites. L’agence de pub RSCG, les Publicis et autres bradeurs de savons mettent au monde cette culture hybride et oxymorique du rebellisme. Les élites d’antan reposaient sur la richesse, la bravoure militaire, ou le savoir, celle d’aujourd’hui sur le double discours rébellion-collaboration. Le conflit de classes est absorbé comme par une couche-culottes par une génération d’opportunistes, de faux forbans, d’ex-babouvistes reconvertis devenus les kapos du peuple à coup de réclames martelées. La schlague y est verbale, ludique, des jeux de mots ! Tous candidats au clonage Ceux qui ont coopté les charmants idéaux de la contre-culture ont à leur tour engendré la race janusienne des bobos, ou la réconciliation hypocrite des contraires les plus éloignés. On les croise affublés d’un ticheurte rouge d’Ernesto Guevara à la sortie des banques ou des start-up. Les fonctionnaires-papas de la rébellion officielle gouvernent et distribuent les uniformes sous couvert de cette liberté formelle, c’est à dire la carte bancaire. «La rébellion c’est le mouvement» clament-ils en hérauts masqués de la vaseline à enculer le populo. «Et si la bourse profitait à tous ?» susurrent-ils en faussets faustiens au creux de nos oreilles. Etymologiquement le rebelle est celui qui recommence la guerre. La vraie, celle qui fait mal, avec du gros sang rouge un peu foncé et souvent contre l’ordre bien établi. Le rebelle prend des risques et à la fin l’attend le peloton d’exécution. Le faux rebelle partout présent n’en est que plus facile à démasquer. L’Homo Festivus au mono-plat congelé et Cyber-Gédéon et Turbo-Bécassine ont remplacé Joseph Prud’homme mais la typologie contemporaine voit dans cet Homo Rebellius son type le plus achevé. Sa pensée pré-mâchée et codifiée souvent manichéenne assortie de poncifs téléra-mesques, son argot-banlieue emprunté, son psittacisme, sa télévision «pleine de solutions pour une petite planète», ses envolées philanthropiques restent visibles et ses indignations – révolte des vaincus- s’essoufflent vite. Demain matin, il se lève pour aller bosser. Les lutins – sacs technos en bandoulière – en rollers enrôlés forment cette branche mutante de faux rebelles. Des cyber-ploucs aux «graves» ravers épileptiques des danses de Saint-Guy programmées, les adeptes technoïdes du monde du lendemain sont tous candidats au clonage. Ces atomes libres et sujets bondissants, ces cobayes marsipuliques sont les proies idéales du système carcéral-consommateur Netolâtre et philonéiste. Fidèles du faux ton transgressif de Canal Plus et des «Guignols», ils miment à peu de frais quelques énervements contre toutes les barrières – prôner la non-monogamie raisonnée, par exemple – sans savoir qu’ils établiront celle inhumaine, aliénante et pathologique d’une consommation jamais satisfaite. Ces re-bêlants moutonnent aux portillons vêtus d’un pantalon de l’US Army et tatoués barbaresque pour se donner des airs de dur. En tribus disparates d’über-trendy ils s’attifent de grandes marques au gré des stratégies des départements-marketing. Aucune des icônes de la rébellion, et des plus récentes, n’est épargnée. Les émeutiers du «Black Block» sont les futures figures de mode : «Noir radical» (L’Officiel), «Black Mode» (DS), «Ultranoir» (Printemps)... Le rebelle a le doigt sur la couture du pantalon. Quant à Rachid, le vrai rebelle qui brûle dix voitures en banlieue et lapide les pompiers il est «casseur» ou bien «voyou». Alchimiste pervers, le publicitaire a pignon sur rue et change en merde tout ce qu’il touche. Il revend sa camelote lors de «la Nuit des Publivores» avec affiche de style Chine Populaire à l’époque du «Bond en Avant». L’esprit des campagnes à venir «du millénaire» confie l’un d’eux dans un court Credo démophile évoquera la spiritualité… Dominique de Roux déclarait vouloir fusiller une soixantaine de P.D.G dans les fossés de Vincennes s’il n’était au pouvoir qu’une semaine. En 2001, le trompeur de peuple est publicitaire. Élargissons immédiatement le champ de tir.

Guillaume Jaulin, Vrais moutons et faux rebelles, Immédiatement