ANARCHRISME !

Tous casseurs !

Editorial, Immédiatement, no°19, octobre 2001. Numéro dédié à Carlo Giuliani.

« Le monde moderne a le feu dans ses soutes et va probablement sauter. » Georges Bernanos

LE CORPS HUMAIN fait son entrée dans le siècle. Le 11 septembre, les corps fanatisés d’un groupe de partisans kamikazes se sont transformés en missiles, projetés à New-York contre le Centre du Commerce Mondial. Le 21 septembre à Toulouse, ce sont des corps infiniment mobilisables qui ont été anéantis par l’explosion de l’usine à engrais AZF, frappés par la main invisible de l’économie. A New-York comme à Toulouse, c’est la souveraineté criminelle, de partisans dans un cas, et de l’économie dans l’autre, qui a mutilé et disloqué des milliers de corps humains.

Dans le même temps, la publicité, la pornographie, le culte de la santé et de l’éternelle jeunesse façonnent le corps glorieux et technicisé de la marchandise vivante. Le mannequin, l’actrice porno, la fille jeune & jolie, le golden boy exhibent désormais l’ombre de ce qu’ils ont tué en eux : l’humanité. Dans le devenir du monde, la réification est l’impossible tentative d’abolir la distance entre les choses et soi. Il faut être jeune, et beau, à tout prix.

Ces corps infiniment exposés sont ceux dont la littérature de marché, vomie par la vilaine « rentrée littéraire », vante la transparence. Notre temps a réalisé le projet Sadien de La Philosophie dans le boudoir : notre monde est un château de Silling, où tous les aspects sont codifiés, soumis au regard. Quand les anciennes distinctions s’abolissent, que le public et le privé deviennent indifférents, la catastrophe est ce qui vient alors réaliser la promesse marchande : dans les corps éviscérés, comme dans la publicité, l’intérieur est mis à l’extérieur.

Nous assistons maintenant à la dislocation du Léviathan de Hobbes, ce corps formé par tous les corps des individus. L’individu Hobbesien, qui n’était qu’une fiction, s’est finalement incarné dans le consommateur-citoyen. Ce qu’il faut abattre en nous, c’est bien cette bête de labeur, cet animal rationnel et sa raison calculante.

Plus que jamais, vivre en France est absurde. Les images se dilatent et la vie rétrécit. Cet été, à Gênes, nous avons vu à l’œuvre l’ennemi du nouvel Empire du Bien : le casseur. L’heure est au sabotage.

La malveillance est une arme à la portée de tous. Le festivisme ambiant doit nous inciter à ne pas participer à la fausse joie, mais plutôt à saper « la confiance des ménages ». Nous ne prônons pas l’acharnement pénaliste contre les pollueurs ou les trafiquants de drogue ; nous ne cherchons pas à renforcer un lien social synthétique, car la mise en équivalence marchande a transformé toute qualité en ersatz. Les rôles s’échangent désormais sur le marché des apparences. Nous récusons tous les rôles auxquels l’organisation sociale existante nous assigne, et nous récusons son langage. Assumons, immédiatement, l’absence de tout drapeau.

Immédiatement !

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