S’il ne nous appartient pas de sonder le cœur et les reins d’un homme – qui nous a établis pour être son juge ? – il ne nous est pas interdit pourtant de considérer les implications morales de son geste final. Çà et là, on a entendu, jusque chez des chrétiens, se manifester une admiration étrange pour le suicide de Dominique Venner. Mais est-ce de l’admiration pour un héroïsme supposé, ou plus profondément la manifestation d’un appétit surgi du fond des âges, d’un appétit païen pour le sang qui coule ? On peut reconnaître au moins à l’anti-chrétien Venner d’être conséquent avec ses principes. On ne peut en revanche que demeurer estomaqué par le respect qui pétrifie des disciples du Christ devant cette orgueilleuse apothéose. Le mouvement qui pousse un homme à écrire : « Je crois nécessaire de me sacrifier pour rompre la léthargie qui nous accable » et encore : « J’offre ce qui me reste de vie… » est éminemment répugnant pour qui croit à l’Incarnation, à la mort et à la résurrection du Fils de Dieu. Ce suicide eût pu rester le drame solitaire d’un homme égaré : il est stupéfiant qu’il se change en un sacrifice propitiatoire pour un monde retourné deux mille ans en arrière, certes limité mais suffisamment important pour être significatif, qui dévoile ainsi son désir secret. Le choix de l’autel de Notre-Dame, qui n’a pas été édifiée seulement par le génie des aïeux de Dominique Venner mais aussi par celui des miens, des vôtres, et de tous les Français, caractérise encore plus profondément la contradiction interne de sa mise à mort : se sacrifier dans une « éthique de la volonté », pour perpétuer « sa race et son esprit », là où s’actualise chaque jour la mort et la résurrection de l’Unique agneau, le seul qui puisse donner volontairement sa vie et la reprendre, parce qu’il est le Maître de la Vie, indique encore plus loin quel mouvement satanique sous-tend ce geste.

Nul ne dispose de sa vie, et Dominique Venner qui l’a reçue d’un autre, pas plus que qui que ce soit. Ou alors il nie l’ordre dans lequel il entend s’inscrire, celui qui va contre « les désirs individuels envahissants ». Ecrire en même temps que son suicide montrera qu’il n’est pas « esclave de sa vie » à la différence de tous les médiocres de notre genre est purement absurde. S’il s’agit du mariage homosexuel et de l’adoption et de la PMA et de la GPA, comment quelqu’un qui fait profession de maîtriser sa vie peut-il reprocher à ses contemporains de vouloir la fabriquer en laboratoire pour se satisfaire eux-mêmes ?

Les traditionnistes qui pensent selon Venner n’ont en vérité aucun argument valable à opposer au « mariage pour tous ». Ou alors, il faudrait qu’ils nous prouvent que sous le régime de leur paganisme bien-aimé, dans les forêts où trône Yggdrasil, la répudiation était interdite, le père n’avait pas le droit de vie et de mort sur ses enfants et que le mariage libre, indissoluble et monogame était la coutume. Ils ne le pourront pas. Ils se sont mis en devoir aujourd’hui, par haine d’une modernité qui pourtant leur ressemble comme une sœur, de défendre ce qui est proprement chrétien sans avoir compris les fondements de l’enseignement du Christ.

Celui-ci avait pourtant dévoilé les choses cachées depuis la fondation du monde. Ils ont du l’oublier. Ou leur volonté de puissance, nietzschéisme à la petite semaine, a fini par reprendre le dessus. Savent-ils au moins que le sang appelle le sang ? Le sacrifice païen de Dominique Venner, s’il continue de les stupéfier ainsi, les mènera à l’horreur. Qu’ils prennent garde. Il ne les délivre de rien, il les enchaîne au vieil autel de Caïn.

Pendant que l’un se suicide, un autre, calmement, modestement, petitement, loin du spectacle, fait la grève de la faim. C’est ici qu’est le fort, parce qu’il est faible, c’est ici qu’est le vrai puissant. Mais il a été écrit que la Croix serait folie pour les païens. Elle le reste aujourd’hui encore. Stat Crux.

Il n’y aura pas de Walhalla pour accueillir Dominique Venner après la mort, et il ne boira pas dans des crânes. Nous prions pourtant pour que le vrai Père, celui qui n’est pas homicide et qui connaît le secret des âmes, lui ouvre grand les portes de Son amour et de Sa miséricorde.



La Nef