L’échec de la Manif pour Tous, échec en tant que le but précis et immédiat n’a d’évidence pas été atteint, si l’on considère qu’il s’agissait de faire obstacle à la loi étendant le mariage à deux personnes du même sexe, cet échec ne demeurera que si nous continuons de penser l’action politique dans le vieux cadre délétère de cette démocratie pseudo-représentative.

Que nous dit en effet ce système qui oppose à dix manifestations gigantesques étalées sur huit mois, à mille et une actions locales, la légitimité d’un président et de sa majorité parlementaire élus au rabais et seulement sur le rejet des précédents ? Que nous dit-il sinon que l’insurrection populaire, que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et à se gouverner eux-mêmes ne sont que des leurres rhétoriques, et que la sophistique du débat démocratique fonctionne à plein régime ?

Les preuves de la dépossession complète de notre liberté politique sont innombrables et patentes : cette Europe qui, comme le montre brillamment l’économiste Frédéric Lordon, ne ressortit plus du gouvernement habituel puisque ses fins et ses moyens sont constitutionnalisés dès l’origine par les traités – d’ailleurs refusés par les peuples, on s’en souvient – mode d’agir qui empêche quelque élu que ce soit d’influer sur la ligne. Banque centrale, déficits, dette, tout est inscrit dans une constitution primitive devant quoi toute volonté, quelles que soient les circonstances extérieures, doit plier. Les lois générales du marché sont une autre indication précieuse de notre impuissance de membres du corps politique. Les banques sont trop grosses, trop fortes pour nous, on nous a prévenus. Quoiqu’elles décident d’entreprendre, comme prêter en dépit du bon sens, comme jouer contre leurs clients mêmes, notre économie est tellement droguée à leur came qu’il est impossible de les débrancher. Les punir serait nous punir. Vous ne leur aviez rien demandé ? Ou quand vous leur avez demandé, elles ont refusé de vous prêter ? Même punition : c’est vous qui les renflouerez, avec sur la tempe le revolver du détenteur monopolistique de la « violence légitime » qui s’appelle l’Etat et qui est devenu de longtemps leur serviteur obséquieux.

Le despotisme est avéré. Nous ne le savons que trop bien. Mais il dispose de ce cruel avantage par rapport aux anciens despotismes d’être sans visage. Nulle tête à couper pour le faire tomber. Vous n’être spas contents ? Adressez-vous à la machine. Même les totalitarismes du XXème siècle avaient encore cette ironique décence d’être entre les mains de partis. Machines froides aux cent visages, mais que l’on savait encore vaguement identifier. Le despotisme contemporain ne correspond à personne. Il n’est que le fruit de mots et de chiffres, alignés par d’obscurs personnages qui n’ont eux-mêmes aucun pouvoir sinon de dérouler jour après jour le programme sinistre sans auteur que la neutralisation pseudo-démocratique a imposé à tous.

Cette situation politique qui nous est faite est intolérable et pourtant, soit que nous soyons tétanisés, soit que plus probablement nous ne sachions où aller, nous la supportons. Les droits qui nous ont été gracieusement abandonnés sont ceux de jacter, de battre le pavé et de produire. A peu près tout le reste est soumis à censure et transféré à la machine qui, on le sait, est plus forte que nous. Après tout, elle ne fait pas d’erreur, elle, elle est performante et ne râle jamais.

La question qu’il faut encore se poser et qui est, nous paraît-il, celle de fond est la suivante : n’avons-nous pas erré depuis plusieurs siècles dans une fausse conception du politique ? Nous ne parlons même pas ici de cette politique, française surtout, qui a écarté symboliquement, dans les mots et dans les actes, toute référence au christianisme. Nous parlons, plus loin encore, de cette politique dite sans doute par antonyme de la souveraineté et de l’Etat. Depuis qu’elle est née et s’est développée petit à petit sur les ruines du Moyen-Âge, à mesure que l’Etat devenait plus souverain, le citoyen, le sujet, l’individu, la personne, l’homme enfin, devenait lui moins souverain, moins libre, moins raisonnable. La raison a été hypostasiée et inscrite au sommet des constitutions pour ceci précisément qu’on la déniait à l’esprit humain. Les droits de la conscience ont toujours été plus violés et les protections multiples, millénaires et efficaces que l’homme avait bâties, communautairement, pour sa défense, ont été brisées. On se souvient de l’affaire des « enclosures » dans l’Angleterre en voie de modernisation, où les communaux étaient enclos, privatisés, au détriment des habitants des lieux. Ils se révoltèrent, ils furent écrasés, bien entendu. En réalité, cette « enclosure » était celle de la conscience.

Il ne s’agit pas moins aujourd’hui que de faire sécession. Sécession non pas en tant que communauté chrétienne, mais en tant que communauté humaine guidée par l’anthropologie chrétienne qui est la seule exacte. Retrouver les vraies libertés immédiates, locales, la vraie représentation à échelle humaine. Small is beautiful, c’est plus exact que jamais, et non seulement économiquement, mais politiquement. Aimer la France, c’est peut-être aujourd’hui déserter le champ du faux politique, vraiment totalitaire, qui est celui des partis et des élections nationales faussées. C’est recouvrer notre conscience.

Paru dans Permanences