Le génie d’Olivier Maulin est si simple qu’il est impossible à reproduire. C’est même à cela qu’on le reconnaît. Empruntant au meilleur du polar sa structure narrative linéaire, notre homme est l’inventeur des personnages féeriquement banals, ou l’inverse, si touchants et sympathiques dans leur hénaurmité qu’on aimerait aussitôt qu’on les découvre qu’ils existent. Le bocage à la nage, c’est encore une fois le merveilleux à la portée des bouseux, la farce chestertonienne, celle qui sait que l’homme qui ouvre au matin son portail d’un air décidé est l’homme des grandes aventures. Dans une Mayenne hésitant entre ennui postmoderne et débraillé préhistorique, le VRP en monte-escalier électrique pour vieillards naïfs y rencontre le châtelain passionné d’alchimie et le naturiste crudi-végétarien ennemi de toute civilisation se gausse du flic comme le chouan du bleu. Epopée grotesque et rigolarde, mélange de méditation sur la fausseté d’un monde technicisé et de cavale de pieds-nickelés, ce tour de force humoristique est plus sûrement que n’importe quelle thèse gonflée de ses notes de bas de page une charge féroce contre un présent désenchanté dont les catégories de jouissance standarisée nient la possibilité même d’une humanité. Olivier Maulin, spécialiste en recréation de nains, de monstres champêtres et d’hamadryades, fait définitivement partie de cette opposition qui s’appelle la vie. On attend encore que l’œuvre qu’il a ébauchée depuis maintenant sept ans reçoive la reconnaissance qu’elle mérite. Nul doute pourtant que son esprit, subversif et capiteux, ait déjà pénétré l’âme de se contemporains immédiats. Et comme savait encore le grand Gilbert Keith, si « l’homme sain est celui qui a un coeur tragique et une tête comique », Olivier Maulin n’est décidément pas malsain.


Olivier Maulin, Le Bocage à la nage, Balland, 2013, 266 pages, 19,90 e.

Paru dans La Nef