La petite église Saint-Ilie de Bârlad, en Moldavie roumaine, dans l’est du pays, n’est pas assez grande pour accueillir les 800 fidèles de la ville et des alentours, venus écouter la messe de ce 4 avril. Sur le parvis de l’église, les croyants piétinent sous leurs parapluies colorés. À l’intérieur, une foule compacte d’hommes et de femmes ont les yeux rivés sur l’archiprêtre Vasile Laiu. Fier dans sa robe crème et or, le regard droit, il commence son prêche. Sa voix tremble, son émotion est palpable : « la messe d’aujourd’hui est spéciale, commence-t-il, car elle constitue la manière par laquelle nous, les habitants de Bârlad, montrons notre solidarité avec la lutte nationale contre les gaz de schiste. Chantons ensemble contre la fracture hydraulique ». Un hymne s’élève, repris en cœur par les fidèles.

Une église, un endroit étrange pour lutter contre l’exploitation des gaz de schiste. Mais c’est le dernier refuge où les habitants de Bârlad ont pu faire entendre leur voix, la mairie ayant refusé, il y a deux semaines, d’autoriser la manifestation de ce 4 avril. C’est le groupe d’initiative citoyenne de Bârlad, composé de l’archiprêtre, d’une notaire, de deux géologues, d’un ancien militaire et de plusieurs ingénieurs, qui avait choisi cette date pour marquer le premier anniversaire de la mobilisation contre le projet d’exploitation des gaz de schiste par la fracturation hydraulique.

En février dernier, plus de 8 000 personnes avaient manifesté contre le géant américain Chevron, qui détient une concession de 600.000 hectares dans la région de Bârlad, au nord-est du pays. Cette compagnie possède trois autres concessions au bord de la Mer noire, et elle attend le feu vert du gouvernement pour commencer la prospection. Cependant, la Roumanie ne dispose pas de cadre légal pour exploiter ce type de gaz, et c’est ce vide juridique qui sert d’argument aux uns comme aux autres.

D’autres manifestants se sont massés devant l’église, avec pancartes et bannières. Gabriela Lungu, une femme brune aux yeux bleus, qui arbore un costume traditionnel moldave, porte l’une de ces pancartes. Habitant à Coroieşti, un village situé à 20 kilomètres de Bârlad, cette assistante sociale d’une quarantaine d’année est de toutes les manifestations depuis un an. Comme beaucoup, Gabriela a peur pour la qualité de l’eau de son village, mais ce qu’elle défend, c’est aussi un certain mode de vie. « La grande majorité de la commune que je défends, vit de l’agriculture de subsistance, les gens élèvent des animaux, cultivent la terre, ils se nourrissent de leur récolte avec l’eau de la région. Et c’est cette agriculture de subsistance qui sera détruite si Chevron commence à exploiter les gaz de schiste dans notre département ».

Gabriela se dit « fière » d’habiter à Coroieşti où, comme dans onze autres communes du département, le conseil municipal a récemment interdit l’exploitation des gaz de schiste par la méthode non-conventionnelle, et cela sous la pression des communautés locales. Pourtant, les manifestants sont bien loin de se sentir soutenus par la mairie de Bârlad. Mirela David, une professeur de physique, discute devant l’église avec deux amies. « Les autorités locales ont été les premières à se mobiliser contre les gaz de schiste, mais après avoir été élues en juin, elles ont retourné leur veste, explique-t-elle, la preuve c’est qu’elles n’ont pas autorisé la manifestation d’aujourd’hui. Elles ont probablement reçu des ordres du Premier ministre Victor Ponta, qui est du même parti que ces élus locaux »...

Pourtant, c’est en juin, juste avant que l’Union sociale-libérale (USL) - l’actuelle coalition gouvernementale - ne remporte haut la main les élections municipales, que Victor Ponta avait instauré un moratoire sur l’exploitation des gaz de schiste. Alors que ce dernier a expiré en décembre, le Premier ministre s’est récemment prononcé en faveur de ce type d’exploitation.

Ces retournements sont attentivement suivis par le groupe d’initiative citoyenne de Bârlad, qui ne manquent pas de réagir. « En ce moment, nous sommes extrêmement vigilants », explique l’archiprêtre Vasile Laiu, à l’issue la messe. « Avant de commencer la phase de prospection, Chevron a encore besoin de deux avis, l’un concernant l’environnement et l’autre, l’eau. Nous serons donc très attentifs à la manière dont ces avis seront accordés ». En attendant, les anti-gaz de schiste trouveront toujours en Roumanie un endroit où protester - que ce soit à l’église ou dans la rue – pour faire entendre leur colère.

Courrier des Balkans