Jamais manifestation n'avait rassemblé autant depuis ces trente dernières années. De la Défense à l'Arc de Triomphe, une foule gigantesque a osé élever la voix contre un projet de loi qu'elle juge, pour des raisons personnelles, philosophiques, politiques ou religieuses, tout à fait destructeur. Un million quatre-cent mille manifestants, c'est indéniable, d'autant plus que les avenues Foch et Carnot étaient également débordantes de cette masse contestataire, lasse d'être ainsi méprisée par un pouvoir qui semble avoir perdu tout sens de l’honneur. Un tel chiffre frappe ardemment car il représente 2,1% de la population française, ce qui signifie que dans toute la métropole, une personne sur cinquante a eu le courage de faire le déplacement, avec tous les coûts que cela implique, qu'ils soient financiers ou temporels, allant même jusqu'à sacrifier sa seule journée libre de la semaine. C'est dire la détermination d'une France à qui l'on refuse l'expression et ce, malgré les tentatives de désinformation d'une presse au main d’un gouvernement qui souhaitait instiller le doute quant à la maintenance de la manifestation à quelques jours du 24 mars. Et puis, n'oublions pas les cœurs bien nombreux qui étaient en ce jour fatidique avec nous. N'oublions pas tous ceux qui n'étaient pas là malgré eux, et que nombre d'entre nous représentions dans le cortège. Je marchais moi-même pour toute ma famille ainsi que pour un ami ne pouvant être présent, et j'imagine ne pas être le seul à l'avoir fait. En ce sens, la Grande Armée qui s'est levée ce jour-là transcendait les avenues sur lesquelles nous étions, elle dépassait de beaucoup les frontières de la capitale et s'étendait dans la France toute entière. Si nous avons gagné aujourd'hui, c'est uniquement par le nombre. Hélas, le nombre ne vaut rien dans cette France vendue à l'individualisme et à l'égoïsme d'une minorité qui, nous sachant dans l'ensemble pacifiques, s'est octroyé le droit de nous mépriser encore plus en nous infligeant une véritable défaite médiatique. A l'ère des technologies de l'information et de la communication, la manipulation médiatique fait et défait l'opinion publique à tel point qu'elle est devenue l'arme des puissants dans sa volonté d’asservissement de la majorité. Il importe donc de rétablir par tous les moyens cette vérité qui fut celle de notre mouvement et de décortiquer par le détail les manipulations et les mensonges que furent ceux du gouvernement et de leurs séides médiatiques.

Héroïque troisième âge: pourquoi les vieux sont les plus courageux

Hugo n'a pas manqué d'héroïser Gavroche ce courageux gamin de Paris mort sous les balles et sur les barricades à la suite de l'insurrection de juin 1832. Dimanche, s’il y avait une catégorie de personnes dont il faille impérativement mentionner l'héroïsme, c'est bien les personnes âgées, venues nombreuses pour défendre l'avenir de leurs descendants. Le hasard m'a fait croisé dans le métro, au retour de la Manif', un couple de personnes âgées, très âgées, et dont les traits témoignaient d'une profonde tristesse. Quelques larmes perlaient sur les joues de la pauvre dame, tandis que son mari, l'allure squelettique et le visage affreusement pâle lui serrait la main avec un amour devenu si rare dans ce monde moderne. Et les voilà s'adressant à moi voyant le drapeau que j'avais à la main. Ils me témoignent alors toute leur douleur de voir le monde qu'ils avaient aidé à reconstruire au sortir de la guerre disparaître sous les coups d'une idéologie destructrice. L'œil de l'homme brille un peu, il se remémore Vichy, la Libération, la joie de repartir après la sinistre défaite. Puis il m'explique les regrets qui le prennent désormais. Regret d'avoir tant sacrifié, regret d'avoir tant donné, regret d'avoir voulu construire quelque chose de viable. Sa femme étouffe un sanglot et d'une voix presque silencieuse ajoute "Et dire qu'on va mourir la France dans cet état... On lui aura tout donné pour ça... Vivement qu'on disparaisse, là-haut tout ceci ne nous rendra plus malades". Et Comme elle a raison. Vivement qu'ils disparaissent, tous ces vieillards méprisés par milliers. Certains partisans du mariage pour tous ne se sont pas gênés pour dire que cette Manif' de la honte comme ils osent la surnommer (avec leur idiotie caractéristique) n'était composée que de vieillards grabataires à deux pas du tombeau. Les tweets nauséabonds pullulaient à l'instar d'un "Il est 21h00, tous les manifestants enlèvent leurs dentiers" ou "Dans dix ans on ne se souviendra de ces manifestants qu'en allant fleurir leurs tombes". Comment ne pas être pris du vertige de l'indignation et de quelques violentes pulsions à la lecture de ces propos terrifiants ? Au contraire, il faut saluer avec force le courage de ces personnes dévouées pour une cause qui leur semble juste. Et c'est d'autant plus courageux qu'ils ont déjà vécus, que l'essentiel de leur vie sur terre est passée, et qu'en somme leur contestation se veut purement désintéressée et profondément altruiste, songeant avant tout à leur descendance et à notre avenir à tous. Tout cela force le respect et c'est donc avec beaucoup d'émotions que je ne pouvais m'empêcher de sourire avec fierté à toutes ces personnes âgées croisées au hasard de la manifestation.

Une Concorde nationale: ni de gauche ni de droite

Les médias ont, par tous les moyens, voulu faire croire que cette manifestation n'était qu'un vulgaire rassemblement UMP ou de sympathisants de droite. Il s'agit là aussi d'un mensonge d'autant plus terrible qu'il cherche à politiser un mouvement qui se veut avant tout au-dessus de tous les clivages. Alors témoignons ! Nous qui étions dans la manifestation pouvons dénoncer avec force un tel mensonge. Toutes les religions se trouvaient représentées dans le cortège, juifs, musulmans, catholiques, protestants, agnostiques et, bien sûr, de nombreux athées. Symbole fort pour l'amie qui m'accompagnait et pour moi, c'est l'association musulmane Fils de France qui nous a donné les drapeaux aux couleurs de la manifestation. Dans les rangs, on croisait de nombreux maires arborant fièrement l'écharpe tricolore et clamant avec d'autant plus de force leur appartenance au Parti Socialiste, preuve s'il en est, qu'être de gauche ne veut pas dire soutenir pareil projet de loi. De plus, il n'était pas rare de croiser un nombre important de militants communistes, trotskystes ou non, venus faire entendre leur voix au milieu du brouhaha général, lassés de se voir traiter de traîtres par une frange importante de l'élite politique de gauche. En ce sens, le clivage politique gauche-droite ne semble absolument plus pertinent. Que penser en effet d'un gouvernement de gauche se revendiquant socialiste et dont les idées semblent s'aligner parfaitement avec la mouvance libertarienne ? Comme l'Affaire Dreyfus, ce Mariage pour tous nous divise radicalement (preuve s'il en est que la loi est terriblement mauvaise), mais pouvons-nous dire qu'il recalibre l'espace politique français ? Ce n'est guère une chose aisée, mais on ne peut nier qu'il semble se dessiner un antagonisme fort entre d'une part un progressisme individualiste et de l'autre un attachement à l'ordre moral, jugé fortement réactionnaire par les composants du premier. L'avenir nous dira si c'est le cas. En tout cas, une chose est sûre, le projet de loi demeurera très populaire chez les jeunes issus de la génération dite Y (nés entre 1975 et 1995), pour la simple et bonne raison que c'est un pur effet sociologique d'âge. La jeunesse a des aspirations fougueuses, elle s'imagine pouvoir changer le monde et se laisse hélas facilement berner par l'usage répété et nocif de tous ces mots qui viennent tuer tout débat que sont "liberté", "égalité", "amour", etc. Mais qu'on ne se trompe pas, sous le miel du propos se cache une réalité bien plus sordide que l'on pourrait résumer par ces mots plus terrifiants encore: "marchandisation des corps", "légifération galopante", "crises identitaires" pour ne citer que trois expressions. La marchandisation des corps est inévitable car ouvrir le mariage aux homosexuels revient à leur permettre l'adoption au regard de la législation européenne, or ce droit à l'enfant ne pourra se faire que dans un encadrement strict que seul la loi du marché sait assurer. La légifération galopante est elle aussi en marche tant les situations nombreuses et incongrues appelleront à combler encore et toujours les vides juridiques sur lesquels nous ne cesserons jamais de tomber, grignotant ainsi encore et toujours plus notre liberté. Enfin, le risque est grand que s'accentuent encore considérablement les nombreuses revendications identitaires qui continueront d'émaner non seulement de la communauté homosexuelle qui, rappelons-le, représente quatre identités bien distinctes (LGBT), mais aussi de toutes les communautés religieuses, y compris la communauté catholique, ce qui serait tout à fait déconcertant au regard de l'universalisme que nous prônons. Bref, c'est la liberté assassinée, c'est l'égalité bafouée au profit des revendications identitaires, et c'est l'amour dénué de ce qui faisait toute sa pureté pour se retrouver compacté dans nos codes civils. La jeunesse n'est bien évidemment pas la seule à défendre ce projet de loi, mais ils se font minoritaires chez les générations antérieures à la génération Y. Hélas, c'est cette minorité qui pose problème. Qui est-elle au juste ? Il s'agit principalement de l'intelligentsia parisienne, de celle que l'on surnomme la gauche caviar, de certains opportunistes qui y voient déjà de grands intérêts, et bien évidemment des journalistes de l'élite médiatique. Laurent Obertone a intelligemment démontré comment les journalistes parvenaient à s'assurer la conservation de leur pré carré et comment ils contrôlaient l'entrée aux grandes écoles de journalisme pour assurer une certaine reproduction sociale intellectuelle afin de garder la mainmise sur le monopole qui est le leur, celui de l'information. Les médias pouvaient craindre beaucoup de l'émergence des réseaux sociaux qui tendaient à faire de chacun un journaliste en puissance, mais heureusement ils ont pu trouver là-dedans un allié de poids, car ce sont les terrains de jeu de la génération Y qui en maîtrise toutes les facettes et qui sait parfaitement faire et défaire les réputations, légitimer ou diaboliser les actions, ou bien encore faire preuve d'humour ou du cynisme avec la pire malhonnêteté intellectuelle qui soit dans la recherche toujours plus éperdue du "like" ou du "retweet". Dimanche fut donc pour eux un buzz permanent. Ce fut leur première victoire sur nous.

Les prétendus débordements: la grossière erreur de Frigide Barjot

Si nos aînés furent incontestablement les grands héros de cette manifestation, il importe de souligner et de rendre hommage aux courageux manifestants qui ont tenté tant bien que mal d'accéder à la place de l'Etoile que le gouvernement nous a refusé dans le mépris que l'on connaît. Le témoignage de Fikmonskov (http://fikmonskov.wordpress.com/2013/03/26/ma-manif-pour-tous-12-ou-trois-heures-sur-les-champs-avec-quelques-amis/) qui relate par le détail la manière dont il a vécu la soirée de dimanche sur les Champs-Elysées mérite que l'on s'y attarde quelques instants. Fikmonskov est un blogueur catholique dont on ne peut songer un seul instant à remettre en cause la bonne foi. Son témoignage est intéressant pour deux raisons. La première c'est qu'il montre bien, étant parti de l'arche de la Défense, à quel point la foule venue était nombreuse et que de facto le faible chiffre de 300 000 qu'ose annoncer la préfecture paraît vraiment très peu crédible. Enfin, il souligne le côté pacifique du mouvement, venu dénoncer avec force, mais sans haine ni violence, le mépris avec lequel on ose nous traiter depuis l'ouverture du débat (si on peut se permettre d'appeler cela un débat). Les débordements eux aussi résultent d'une terrible manipulation, pour ne pas parler d'un complot, sans doute pensée dans le bureau même du ministre de l'intérieur ou dans celui du préfet de police. Si la défaite de la Manif' pour tous était prévisible sur les réseaux sociaux, la bataille n'était pas pour autant gagnée sur le terrain des médias. En effet, les chaines d'informations continues friandes de sensationnel n'auraient pas manqué de diffuser les images de cette foule à perte de vue si il n'y avait pas d'autres choses à montrer. Les débordements devenaient donc une nécessité pour desservir le mouvement. En ce sens, tout avait été planifié pour que ça dérape. Les barrières de sécurité avaient été placées de sorte que de nombreuses ouvertures béantes provocantes incitent les manifestants à s'avancer sur l'Etoile. Certes on peut objecter que ces ouvertures sont nécessaires au cas où une évacuation s'avérerait urgente. Mais pour avoir vu leur mise en place aux alentours de midi, je peux douter considérablement de leur seule fonction de sortie de secours. Avec la forte concentration sur l'avenue de la Grande Armée vers 15h00, les artères alentours ne pouvaient que se remplir considérablement et, triste fatalité, les incidents pouvaient commencer. Très vite, la foule de la Grande Armée a senti que quelque chose n'allait pas, qu'il se passait quelque chose du côté de l'avenue Foch comme en témoignaient les inscriptions qui s'affichaient sur les écrans géants. La peur s'emparait de certains, craignant de voir le mouvement discrédité par l'extrémisme d'une minorité. Très vite Frigide Barjot, accompagnée de Jean-Pierre Raffarin, s'est désolidarisée des manifestants impliqués dans les prétendus débordements. Si pareil geste peut sembler raisonnable, il n'en demeure pas moins qu'il prouve qu'elle ignorait totalement ce qu'il se tramait derrière la tribune. Et puis comment pouvait-elle condamner les manifestants qui ne voulaient finalement obtenir que ce qu'elle leur avait promis deux mois durant, c'est-à-dire de marcher sur les Champs-Elysées ? Sa condamnation a ainsi été ressentie comme un abandon, une concession faite au gouvernement, alors même que l'union sacrée des manifestants s'avérait une nécessité. J'ai pu ainsi recueillir le témoignage d'un étudiant en droit Maurrassien qui en veut vraiment à Frigide Barjot et qui dit même la détester devant sa frigidité trop prononcée. Je peux le comprendre, même si finalement Barjot fut terriblement Maurrassienne sur ce coup là, car il ne faut pas oublier que le 6 février 1934, l'Assemblée Nationale ne fut épargnée de la haine des manifestants seulement grâce au refus de Charles Maurras de monter à l'assaut du palais Bourbon. L'ironie du sort a quelque chose de savoureux à ce niveau là. Mais l'erreur est là, car il ne fallait absolument pas se désolidariser. Les médias n'en ont que faire de toute façon. Ce qu'il aurait fallu faire ? La question se pose toujours. Pour ma part je reste persuadé que nous aurions pu gagner en entourant pacifiquement l'Etoile, la force du nombre aurait fait le reste. La victoire aurait été chargée de symbolique. Hélas encore pour nous, ce fut une défaite là aussi.

Méprisants gouvernants: pourquoi il faut continuer malgré l'apparente inutilité de l'action

La défaite est amère. Le gouvernement tient sa revanche sur notre manifestation exemplaire du 13 janvier dernier. Il jubile d'avoir dans ses mains toutes les preuves de notre éclatante victoire (notamment les photographies aériennes que nous ne verrons jamais) et de pouvoir la grimer en une lamentable défaite. L'utilisation disproportionnée du gaz et des coups de matraques est la preuve que les policiers avaient reçu l'ordre de chercher l'affrontement et de répondre de manière virulente à la première provocation, aussi futile soit-elle, venue de notre camp. Du haut de l'arc de Triomphe, les séides du gouvernement nous contemplaient. Et ils nous méprisaient. En témoigne cette photographie terrifiante montrant le doigt d'honneur insulteur d'un anonyme en direction des colonnes de manifestants à perte de vue. Voilà tout ce que le gouvernement nous répond. Alors continuons, ne nous résignons pas, ne sombrons pas dans la haine ou dans la violence. Il nous faut continuer le combat avec d'autant plus de force qu'il est juste.

Alexis Judet