Tournée vers l'extérieur, happée au beau milieu de ses démarches par des organisations tentaculaires, ou des alphabets, dont je ne peux point médire pour mieux pouvoir m'en étonner, assignée nuit et jour par téléphone, tenue de passer par toutes sortes de philtres politico-sociologiques, ce qu'on appelle la vie, la vie tout de suite, la bonne vie instinctive, popote et géniale, la vie, vous m'entendez bien ! ne s'accorde plus le temps de rêver, ne se contemple pas volontiers dans la glace, et refuse de se regarder vivre. Elle est à bout. Ceux de ma génération assistent avec une mélancolie, qu'il serait vain de vouloir céler, à la disparition des intimités, et même de l'intimité tout court. ; on dira que chaque génération à ses prérogatives et entend faire ses découvertes toute seule. Bien sur Renan avait déjà noté la chose avec humour : Il faut bien que jeunesse de chaque génération se passe. Mais il avait de mon temps des filons et des politesses qui nous reliaient aux ainés, des lois cachés de bonheur ou de méditation qui n'étaient pas remise en question quand arrivait le moment de passer le flambeau à des coureurs plus frais.

Léon-Paul Fargue, Au temps de Paris, 1947.