Le processus qui, si on ne l’arrête pas, abolira l’homme, va aussi vite dans les pays communistes que chez les démocrates et les fascistes. Les méthodes peuvent (au premier abord) différer dans leur brutalité. Mais il y a parmi nous plus d’un savant au regard inoffensif derrière son pince-nez, plus d’un dramaturge populaire, plus d’un philosophe amateur qui poursuivent en fin de compte les mêmes buts que les dirigeants de l’Allemagne nazie. Il s’agit toujours de discréditer totalement les valeurs traditionnelles et de donner à l’humanité une forme nouvelle conformément à la volonté (qui ne peut être qu’arbitraire) de quelques membres ″chanceux″ d’une génération ″chanceuse″ qui a appris comment s’y prendre. La conviction que l'on peut inventer des idéologies à volonté et donc traiter les gens comme des préparations chimiques, des spécimens, commence à affecter notre langage. Autrefois on tuait les malfaiteurs ; aujourd'hui on liquide "les éléments antisociaux". La vertu est devenue intégration et le zéle dynamisme, et des garçons qui semblent avoir le potentiel d'exercer des responsabilités sont du "matériau à faire des cadres". Plus surprenant encore, les vertus d'économie et de tempérance, et même celle d'intelligence ordinaire, sont des "freins au chiffre d'affaire".

C.S Lewis, L'abolition de l'homme, 1943.