Miguel de Unamuno, influencé par Tolstoï et Marx, a recherché le caractère socialiste traditionnel dans le mouvement carliste populaire. En octobre 1895, voici ce qu’il écrivait à J. Costa :

" Il est un événement peu étudié, me semble‑t‑il, dans notre histoire contemporaine : c’est la dernière guerre civile carliste. J’en ai été témoin et en grande partie victime dans mon enfance. Par la suite, je me suis employé à l’étudier, et voici près de huit ans que je fais des recherches sur ses causes et ses raisons.

On y découvre, entre autres choses, un grand fond de socialisme rural. J’ai recueilli d’anciennes proclamations, des journaux carlistes, etc. ; de tout cela, je pourrais composer une étude sur les éléments de socialisme dans la dernière guerre civile. Mais ce qu’il y a de vraiment curieux, c’est un plan de gouvernement présenté à don Carlos, en 1874, par José Indalecio de Caso, don Julio Nombela (qui habite encore notre ville) et le chanoine Vincent Manterola. Ce plan contient par exemple ce qui suit :

1. — Il y aura des certificats de profession au lieu de certificats d’identité ; celui qui ne justifie pas d’une profession ne pourra même pas être en justice.

2. — On imposera à l’aristocratie l’obligation de fonder et de diriger des colonies agricoles.

3. — Les gens aisés seront forcés de prendre en tutelle des orphelins pauvres (le plan dit : « ordonner ce qu’ordonne la charité »).

4. — Considérant qu’« on gouverne pour les riches aux dépens des pauvres et que ce devrait être le contraire… la petite propriété sera dispensée de tout tribut, de tous frais d’inscription et autres dépens, moyennant une surtaxe progressive sur la grande propriété ».

5. — Le travail sera représenté par le travail.

Enfin, il y aurait de quoi recopier en entier cette très curieuse utopie sociale, selon un plan et un schéma symétrique. Si cela vous intéresse, vous pouvez trouver l’ensemble, avec mention du sort qui lui a été réservé, au chapitre I, livre V, de Julio Nombela, « Derrière les tranchées, dernières pages de la guerre et de la paix de 1868 à 1876 » (Madrid, 1876, 2e édition).

Quant à moi, je pourrais ajouter à ce projet bon nombre de proclamations et de manifestes et des extraits de brochures carlistes, antérieurs à la guerre, qui montrent que les idées résolument favorables à la décentralisation (guerre à la ville) et socialistes contenues dans ce projet exprimaient le sentiment des masses carlistes. Lorsque Dorado a traduit « le Socialisme catholique » de Nitti, je lui ai parlé de ce plan remarquable et aujourd’hui presque ignoré, qui me paraît un bon précédent doctrinal. Et je n’ai pas abandonné le projet d’écrire quelque chose sur ce qu’on peut appeler le socialisme carliste, en utilisant les matériaux que j’ai réunis pour un autre ouvrage en préparation. Je me borne, pour l’instant, à attirer votre attention sur ce document.

J’espère aller pour ces fêtes dans un village en pleine campagne où j’ai entendu parler il y a un an de coutumes économiques telles que celle de léguer la terre prise à ferme (ou : les terres vierges défrichées) au fils cadet ou, s’il y a quelque enfant infirme ou handicapé, à celui‑là de préférence. Je vous enverrai aussitôt les données que je pourrai recueillir. "

Anarchisme et non-violence n°29 (avril/juin 1972), L’Espagne révolutionnaire, De la doctrine sociale de l’Église à 1864.