Mercredi, le Congressional Budget Office (CBO) a publié un rapport qui prévoit pour 2013 des conditions très graves de récession aux USA, avec perte de deux millions d’emploi, si le Congrès ne parvient pas à prendre en mains le problème du déficit titanesque des finances publiques. C’est en fait à une direction politique paralysée que le CBO s’adresse, avec un rapport qui constitue un choc politique et psychologique fondamental pour les USA.

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On voit le Système touché dans ses axes fondamentaux, dans son domaine US dont la supériorité dans le domaine catastrophique est désormais un fait avéré, emporté dans une crise qui suit inexorablement sa course d’aggravation et d’eschatologisation. L’American Dream continue à être déchiqueté dans une évolution cauchemardesque, qui restitue l’inversion de tous les critères fondamentaux de ce mythe. Il y a d’abord la paralysie extraordinaire d’un système politique qui semblait prodigieusement bien organisé pour contrôler et administrer selon ses propres intérêts une masse humaine d’une considérable importance. Désormais, ce système, organisé pour être centriste, consensuel, etc., se découvre extrémiste et fracturé d’antagonismes sans issue, produisant par ses vertus même une situation de blocage que rien ne permet de briser. Il s’ensuit que le système économique et financier est incapable de reprendre son souffle, de retrouver les artifices qui lui permettraient de durer (dans quel but ? Question indiscrète…). Le deuxième axe fondamental est la dévastation extraordinaire de la “classe moyenne”, orgueil et sécurité à la fois du système de l’américanisme, réduite en charpie dans un processus qui découvre avec une violence extraordinaire la logique totalitaire de destruction de l’être humain. Enfin, l’intervention de la catastrophe écologique et climatique, où l’Amérique occupe la première place dans sa manufacture par rapport au système de production et de consommation d’énergie qui caractérise le Système depuis deux siècles, semble avoir un aspect presque symbolique : avec l’établissement de plus en plus avéré, qu’on croirait presque organisée, d’un système climatique monstrueux, désormais hostile à l’organisation économique et sociale du Système, on a l’impression d’une espèce de revanche de la nature, – certainement, ce symbole-là va finir par peser d’un poids de plus en plus lourd dans nos jugements.

Il s’agit des USA mais il ne s’agit plus des USA (ce pourquoi, plus haut, la comparaison entre USA et Europe nous paraissait n’avoir aucun sens pertinent). C’est une civilisation, un monde, une conception d’être qui sont en cours d’effondrement. Les USA mènent la course malgré tous les montages et autres narrative parce qu’ils sont le cœur grondant de cette chose qui nous dévore, le cœur à la fois grondant et d’une infinie fragilité ; la fragilité US est à l’exacte mesure de son apparente puissance, comme la dynamique d’autodestruction du Système accompagne et remplace peu à peu sa dynamique de surpuissance. Même si elles aident encore un peu, les explications économiques, sociales, politiques et historiques sont notablement insuffisantes pour l’embrassement et la compréhension du phénomène.

Il se passe aujourd’hui quelque chose de cosmique, qui dépasse nos conceptions et explications habituelles. Il est plus que temps que nos capacités de réflexion, et principalement notre raison si elle parvient à se dégager du diktat du Système, envisage la situation en cours selon des références et des inspirations plus audacieuses, beaucoup plus audacieuses que celles que nous autorise le Système. C’est ce que nous essayons de faire autant que nous le pouvons, en suggérant constamment l’intervention de “forces métahistoriques”, de phénomènes qui dépassent l’organisation humaine… Il est tout simplement inacceptable et scandaleux que notre raison, toujours sous le diktat du Système, soit limitée dans ses enquêtes, ses réflexions et ses hypothèses, aux seules capacités humaines et aux seules explications humaines. Quand on observe le résultat final de ces “capacités humaines” et la pauvreté des “explications” de la catastrophe, on est conduit à se demander à quoi sert la raison si elle se trouve limitée à ces références… Il est extrêmement urgent de libérer notre raison de l’insupportable référence humaine, sans quoi toute recherche de compréhension du phénomène et de ses conséquences suivra le même chemin que le Système qui propose comme solution de la crise de poursuivre la même démarche, en l’accentuant encore, qui a conduit à la crise.

Mis en ligne le 24 août 2012 à 11H32

Philippe GRASSET

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