Benoît XVI l’a rappelé encore récemment, la politique doit être « une forme supérieure de la charité ». Cette charité en acte et en vérité est la ligne de crête de toute action politique chrétienne.







« Etant donné qu'il existe une culture hédoniste qui veut nous empêcher de vivre selon le dessein du Créateur, nous devons avoir le courage de créer des îlots, des oasis, puis de grands terrains de culture catholique, dans lesquels vivre le dessein du Créateur. »

Benoît XVI, Dialogue avec les jeunes, 6 avril 2006







Le temps n’est ni à l’ « enfouissement » ni au « communautarisme », il est à la visibilité et à l’action. A l'invitation de Benoît XVI, les catholiques doivent former des communautés ouvertes et missionnaires qui soient de véritables plates-formes d’évangélisation : « Nous avons besoin d'îles où la foi en Dieu et la simplicité interne du christianisme vivent et rayonnent ; d'oasis, d'arches de Noé dans lesquelles l'homme peut toujours venir se réfugier. Les espaces de protection sont les espaces de la liturgie. Reste que même dans les différents mouvements et communautés, dans les paroisses, dans les célébrations des sacrements, dans les exercices de piété, dans les pèlerinages, etc., l'Église cherche à offrir des forces de résistance, puis à développer des zones de protection dans lesquelles la beauté du monde, la beauté de l'existence possible, devient de nouveau visible en contraste avec tout ce qui est abîmé autour de nous. »1




Sans tomber dans le « victimisme » systématique et la rivalité mimétique (christianophobie / homophobie), il est légitime et nécessaire de rappeler avec le pape que le christianisme est la première religion persécutée dans le monde, et que le « laïcisme radical » et le « relativisme subliminal » de nos sociétés postmodernes sont une forme grave et pernicieuse d’atteinte à la liberté de conscience et de religion.




Cependant, loin d’entretenir chez nous un complexe obsidional, cette situation somme toute normale2 doit au contraire stimuler notre activité : c’est dans l’adversité que se forge la combativité, et le combat spirituel n’échappe pas à la règle.




Mais notre témoignage ne doit pas s’aligner sur l’agressivité qui est la signature du monde et de ses lobbies, mais s’attacher à la force de la vérité : « On a donc besoin d’un laïcat catholique bien formé et courageux, au fort sens critique de la culture dominante, qui se dresse face à un sécularisme réductif qui voudrait délégitimer la participation de l’Église au débat public sur les questions fondamentales. »3




Dépasser notre impuissance

C'est entendu, comme la philosophe Chantal Delsol l'a souligné dans une déjà fameuse tribune4, le monde ne peut pas nous entendre parce qu'il ne comprend pas notre langage. Non seulement notre vocabulaire théologique lui est étranger, mais encore notre sémantique philosophique, juridique et politique : nature humaine, loi naturelle, bien commun, etc. « Chez nous, toutes les valeurs traditionnelles sont chrétiennes, et quand la chrétienté s'efface, c'est comme si on nous retirait le sol sous les pieds - plus rien ne reste. »5




Dès lors, l’évolution qui sape les fondements mêmes de la vie et de la société (avortement, euthanasie, mariage homosexuel, etc.) paraît inéluctable, car nous n’avons rien de d’audible donc de crédible à lui opposer. « Pourquoi inéluctable ? Parce que, dans nos sociétés, tous les arguments susceptibles de s'opposer à ces mesures sont d'ordre religieux. Et nos concitoyens n'ont plus de religion. »6




Il est certes indispensable de former les catholiques sur ces questions fondamentales, et de les rappeler au monde, mais il faut également trouver un langage stratégique, en pleine vérité, qui permette de se faire entendre, de passer de la défensive à l'offensive et de sortir de la prise d'otage des bons sentiments : « Puisqu’ils s’aiment… Puisqu’ils souffrent... » Quand le monde nous parle de souffrance et d’amour, nous répondons souvent « morale », ou « éthique », alors qu'il faut répondre « amour », mais amour plus grand, charité supérieure.




Et renouveler l’annonce kérygmatique de la foi en réaffirmant notre enracinement dans la culture chrétienne : « Toute personne réaliste ne peut ignorer les difficultés actuelles de l’Église. Mais ceci ne doit pas nous empêcher de croire nécessaire la préservation d’un ordre social enraciné dans la tradition judéo-chrétienne, et de croire dans une nouvelle génération de catholiques dont l’expérience et les convictions seront décisives pour maintenir et raviver le témoignage de l’Église dans la société. »7




Défendre les plus vulnérables




Comme cela a déjà été ébauché8, il semble que la thématique de la vulnérabilité pourrait être mise en avant pour réarticuler et réactualiser l'ensemble de la doctrine sociale de l’Eglise (dont les fameux « points non négociables ») de manière offensive, en parlant un langage humaniste « intégral » que le monde puisse entendre tout en le dépassant dans le chantage affectif et sentimental qu'il utilise pour faire avancer ses fausses « bonnes causes ».




L'attention à la vulnérabilité, c’est le souci des personnes vulnérables (foetus, enfants, handicapés, personnes âgées, malades, souffrantes, en fin de vie, mais aussi pauvres, sans-abris, immigrés, prisonniers, victimes, etc.) mais aussi des biens vulnérables, matériels et immatériels (environnement, culture, société, nation, etc.).




On peut ainsi hiérarchiser, équilibrer et surtout incarner toutes les notions et thématiques de la doctrine sociale de l’Eglise (bioéthique, mariage, famille, enfance, éducation, économie, justice, société, écologie, immigration, nation, culture, etc.) en les recentrant sur cette priorité de la protection et de la promotion des personnes et des biens vulnérables.




Cela permet notamment de dépasser la seule focalisation sur les « points non négociables » et l'opposition stérile (mais souvent mutuellement reprochée) entre priorité bioéthique (« cathos de droite ») et priorité socio-économique (« cathos de gauche »), et d'attaquer le libéralisme, l’individualisme, le relativisme et l’hédonisme sous toutes leurs formes.




A cet égard, il est temps de prendre en compte l’unité du libéralisme, qu’il soit économique, politique, moral, social, « sociétal », etc., qu’il soit de « droite » ou de « gauche ». Il également temps de noter le rôle dominant du libéralisme économique comme véritable moteur des autres formes et de méditer la tranchante sagesse d’un Jacques-Bénigne Bossuet : « Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes. »9




Il faut parler et agir en sorte que les adversaires de la vie soient sur la défensive, et dévoilent ce qu’ils sont vraiment : des partisans du nihilisme moral et de l’eugénisme social, qui promeuvent l’élimination des plus vulnérables.




Cette authentique culture de la vie ne doit pas avoir peur de s’affirmer en rupture et dissidence d’avec nos « sociétés permissives contrôlées » et leur « culture de mort » dominante : « Dans le contexte de la société européenne, les valeurs évangéliques, encore une fois, deviennent une contre-culture, tout comme elles l’étaient au temps de saint Paul. »10




Loin de s‘en tenir à une attitude réactive, il nous faut reprendre l’initiative, en déployant une charité active, en actes, exigeante et multiforme, la seule qui reconquiert le terrain pas à pas, mètre par mètre, et surtout personne par personne. Qu'en accueillant, promouvant et défendant activement les plus vulnérables nous unifions défense de l'enfant à naître, du pauvre, du vieillard et du moribond - car c'est la même cause !




Comme l’a rappelé Benoît XVI à Milan le 2 juin dernier : « Ainsi, la politique est profondément ennoblie, devenant une forme supérieure de la charité. »11







Par Falk van Gaver

Source : La Nef N°239 de JUILLET-AOUT 2012




1 Benoît XVI, Lumière du monde, Bayard, 2010

2 « Le serviteur n’est pas plus grand que son maître. S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi. » (Jean 15, 20)

3 Benoît XVI, Discours aux évêques américains en visite ad limina, 12 janvier 2012

4 « Non au mariage homosexuel! », Le Figaro du 21 mai 2012 ; cf. Christophe Geffroy, « Arrêter le déclin? », La Nef N. 238 de juin 2012

5 id.

6 id.

7 Benoît XVI, Discours aux évêques américains en visite ad limina, 12 janvier 2012




8 « L’attention portée à la naissance et à la mort naturelle ne doit évidemment pas nous détourner de la vie qui court entre les deux. Les chrétiens restent mobilisés par l’option préférentielle pour les pauvres et la sollicitude pour toutes les formes de vulnérabilité. », Observatoire sociopolitique du diocèse de Fréjus-Toulon, « Votons pour la vie ! », 6 juin 2012

9 Œuvres, Gallimard, 1961

10 Benoît XVI, Discours à la jeunesse de Malte, 18 avril 2012

11 Discours aux autorités de Lombardie, 2 juin 2012