Après l’excitation des élections, l’été vient, l’été est venu et son grand calme blanc. Les vacances, bénies soient-elles, qui nous permettent de prendre du champ, du recul – de la longueur, de la largeur, de la hauteur, voire de la profondeur… Les aoûtiens prennent la place des juilletistes, les aoûtats remplacent les moustiques. Bientôt, dans le flou de l’horizon, là-bas, au loin, la rentrée, cahiers de classe, auto-boulot-dodo et débats parlementaires, mais pour le moment le soleil a tous les droits, idole estivale à laquelle sacrifient les masses bronzées. Et c’est la mer, la mer toujours recommencée…




Alors, rien de nouveau sous le soleil, comme disait dans la vieille Bible l’Ecclésiaste, dit aussi Qohélet ? Et pourtant, nous avons déjà un avant-goût de ce que nos nouveaux président, gouvernement et parlement nous préparent : des projets de lois en grave contradiction avec le respect de la vie et la dignité de la personne humaine, de la famille et du mariage. Nous sommes au pied du mur, c’est certain, conscients de la vulnérabilité de tout ce qui fonde notre humanité, et l’ensemble des organisations qui défendent la vie, la famille et le mariage, comme nos amis des AFC (Associations Familiales Catholiques) sont sur le pied de guerre.




De guerre, vraiment ? Dieu merci, « nous ne sommes plus au Moyen-Âge », et il s’agit pour nous avant tout de combat spirituel, et de lutte sociopolitique. Mais les métaphores guerrières restent parfois, toutes proportions gardées, appropriées, et nous ne pouvons pas déserter. Comme disait Charles Péguy, refuser de combattre et demander à Dieu la victoire, cela est mal élevé. Et notre sainte patronne, jeune bergère faite chevalière, ne déliait pas mystique et politique : « Messire Dieu premier servi », jusqu’à s’armer, jusqu’au bûcher… Alors, sans désespérance et sans ressentiment, il nous faut faire notre travail, tout notre travail militant, en nous en remettant à Dieu, comme Jeanne : « Les hommes bataillent, et Dieu donne la victoire. »




Cette aventure inouïe – une pucelle commandant les armées royales et renversant le cours de l’histoire – doit nous inspirer quelque chose de radicalement neuf, en nous branchant à la source de toute inspiration, de toute radicalité et de toute nouveauté : l’Evangile. L’Evangile, toujours neuf, toujours nouveau du soleil de toute justice…




C’est l’Evangile de la charité qui inspira au bienheureux Frédéric Ozanam (1813-1853), à peine âgé de 20 ans, de fonder les Conférences Saint-Vincent-de-Paul au service des pauvres, des démunis, des miséreux, c’est l’Evangile de la vérité qui conduisit sa brillante carrière universitaire, défense et illustration de la civilisation chrétienne en plein siècle positiviste, c’est l’Evangile de la liberté qui dicta son journalisme militant pour la jeune démocratie avec Lamennais, Lacordaire et Montalembert, c’est l’Evangile de la justice qui motiva son engagement politique et social en faveur des classes populaires et des prolétaires de la première révolution industrielle. C’est l’Evangile intégral, donc social, qui en fit l’inventeur, un demi-siècle avant le pape Léon XIII qui lui rendra hommage, de la doctrine sociale de l’Eglise : « L’Evangile est aussi une doctrine sociale », écrit-il en pleine révolution de 1848.




C’est encore et toujours l’Evangile qui lui fait défendre en même temps l’institution sacrée du mariage contre les projets de loi établissant le divorce : « Tout attentat au mariage et à la famille est une profanation de la Justice, une trahison envers le peuple et la liberté, une insulte à la Révolution. »1 Car dans la famille, « nous trouverons la possibilité et la garantie des progrès sociaux les plus hardis. »2




A l’instar du bienheureux Frédéric Ozanam, pour lequel un authentique « socialisme » était forcément chrétien, loin de nous en tenir à une attitude purement réactive, défensive, nous devons déployer toute l’inventivité et la créativité de l’Evangile social, intégral, au service de tous ceux qui sont vulnérables et de tout ce qui est vulnérable.3

Loin de laisser le monopole du cœur et du social à ceux qui sapent les fondements même de la vie humaine, « il est temps d’en faire le partage et de reprendre notre bien, je veux dire ces vieilles et populaires idées de justice, de charité, de fraternité. »4

1 Frédéric Ozanam, « Du divorce » (1848). Cf. Frédéric Ozanam, Les Origines du socialisme / Du divorce, L’Oeuvre, 2012

2 Idem. Voir aussi Jacques de Guillebon, Frédéric Ozanam, la cause des pauvres, L’Oeuvre, 2011

3 Cf. Falk van Gaver, « Une forme supérieure de la charité », La Nef N. 230, Juillet-Août 2012

4 Frédéric Ozanam, « Les origines du socialisme » (1848). Cf. Frédéric Ozanam, Les Origines du socialisme / Du divorce, L’Oeuvre, 2012