Le monde extérieur a cessé d'être un monde pour devenir cette pure extériorité des vains objets où nous nous servons des mots sans y attacher rien de notre âme , comme des signes conventionnels, non de vocables. La plupart des actes utiles sont appauvrissants et même destructeurs pour la parole, qui se fractionne en terminologies dont chaque terme est le résultat d'une abstraction. Nulle part cette mécanisation n'est plus sensible que dans le domaine des sciences de l'homme, où il est à la fois sujet et objet. Au demeurant quelle peur de la subjectivité chez les hommes voués à la pure intelligence... C'est peut être que le fonctionnement de celle-ci à vide aggrave en nous la sensation nauséeuse d'un manque, d'une réalité perdue et refusée.

Ce qui manque à la terre et aux hommes, c'est l'eau qui met fin à la sécheresse spirituelle : c'est le Chant . Plus nous hante l'obligation d'être utile, plus nous sommes minés par la vanité de notre effort babélien et vide. Seul ceux dont s'ouvre l'abîme intérieur découvrent l'inanité de l'utile qui n'est qu'utile, l'immense besoin de louange qui pourrait irradier en tout acte humain et triompher aussi de l'absurde. Ils sont prêt à faire silence pour se joindre au silence de l’Être.

Pierre Emmanuel, Le désert et le puits, Esprit, septembre 1963.